Livres. Leyla Gencer par Zeynep Oral (Bleu Nuit éditeur). Voici un texte hommage à la soprano coloratoure turque Leyla Gencer (1928-2008), une première somme que nous attendions avec d’autant plus de curiosité qu’il n’existe pas de biographie sur la cantatrice mythique. Diva des années 1960 et 1970, elle chante Elisabeth1ère de Rossini, ou pour la couverture de ce texte, Caterina Cornaro… La diva turca qui fut la voix des reines romantiques à l’opéra : c’est elle ! Elle aura comme Callas, sa contemporaine, réinventé le chant Donizettien et Rossinien, marqué par son style subtil et très incarné, les opéras verdiens et aussi mozartiens. De ses choix de répertoire, grâce à son engagement sans équivalent alors pour chaque prise de rôle, une nouvelle cohérence artistique se profile, privilégiant ce bel canto romantique italien qui de Bellini à Verdi et comptant Rossini, Donizetti, affirme une intelligence chantante : un modèle absolu pour les jeunes cantatrices à sa succession. Après La Gencer, les divas des années 1980 dont surtout Montserrat Caballe profiteront, marchant dans ses pas (Elisabeth 1ère de Rossini que Leyla Gencer dévoile en recréation mondiale à Palerme en 1971). La « diva turca » demeure un modèle en terme d’intelligence dramatique et de perfection vocale. Ses crises d’humeur sont restées légendaires : inféodant le choix des chefs à sa propre conception des rôles qu’elle avait approfondis comme personne (sinon comme Callas, autres monstre de travail et de perfectionnisme). Le sens de chaque mot, l’intelligence des situations dramatiques, la soumission de la technique pure pour l’articulation du texte et la lisibilité des tableaux dramatiques font de sa Lady Macbeth, d’Elisabeth d’Angleterre, mais aussi de Maria Stuarda, ou Donna Anna et Donna Elivra, des incarnations mémorables.
premier texte biographique sur Leyla Gencer
Reine à l’opéra : la diva turca assoluta
Le livre est un essai biographique en 100 chapitres (signée par la journaliste et éditrice Zeynep Oral en 1992, traduite enfin en français à l’été 2014) : sous la forme d’évocations et de témoignages sur l’une des figures mythiques du chant lyrique, les textes abordent la figure de la diva assoluta qui a contrario de ses consœurs, ne connut pas les honneurs du disque. Pour preuve, hélas, – bonus ô combien délectable cependant-, le cd très judicieusement ajouté au texte, regroupe une collection de joyaux verdiens enregistrés entre 1957 et 1961 sur le vif : on y retrouve les grandes incarnations qui ont dévoilé le génie Gencer : Leonora du Trouvère, Gilda de Rigoletto, Lady Macbeth, Amalia de Simon Boccanegra… Celle qui décida de la vocation du chef Riccardo Muti, qui fut aussi la doublure de Callas… ne laisse pas qu’un chant admirable par sa pleine conscience critique, son exigence, sa culture… Leyla Gencer incarne surtout un tempérament qui savait choisir ses rôles, les défendre sur scène avec un génie dramatique exceptionnel : une vérité brûlante. Tenant tête aux chefs quant à l’interprétation de ses personnages, la diva turca ne cède rien sur l’autel de la perfection lyrique. Elle triomphe légitimement sur la scène de la Scala dont elle devient pendant 25 ans la soprano vedette : ses héroïnes touchent pas leur sincérité raffinée (Traviata), leur véracité expressive (Maria Stuarda)… Défricheuse, La Gencer révèle aussi tout un répertoire celui du bel canto préverdien: avec la complicité des chefs partenaires dont Gavazzeni, Gui, Serafin, Leyla Gencer ressuscite des opéras oubliés, favorisant le retour de Rossini et Donizetti : Belisario, Caterina Cornaro (sous les traits de laquelle Leyla Gencer paraît en couverture du livre)…
Oubliée par son pays, Leyla Gencer qui avait cessé toute activité lyrique et scénique en 1983, ne reçut une distinction de la Turquie qu’en … 1988 (pour ses 60 ans). La diva vécut la reconnaissance qui lui revenait surtout en Italie (entre Milan, Florence, Naples, Palerme…), aux USA (New York) et si peu en France (quelques récitals à Paris au début des années 1980 sur la scène du théâtre de l’Athénée). Sa biographie, mieux structurée, nettoyée des petites erreurs ici et là relevées (non, Ruggero Raimondi n’est pas un ténor! cf. p. 212) attend toujours son auteur, soulignant la nature altière, la volonté radicale, l’instinct artistique exceptionnel d’une diva immensément douée, capable d’une culture inimaginable. Nos réserves n’ôtent en rien le grand intérêt de ce texte vivant, diversifié, conçu d’abord comme un témoignage de proximité, réalisant le premier portrait d’une diva d’exception.
Livres. Leyla Gencer par Zeynep Oral. EAN : 9782358840361. Editions : Bleu Nuit éditeur.