mercredi 23 avril 2025

Livres. Vers l’étrangeté, ou l’opéra selon Philippe Boesmans par Cécile Auzolle (Actes Sud)

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bosemans--philippe-vers-etrangete-Riegen-Julie-Yvonne-actes-sudLivres. Vers l’étrangeté, ou l’opéra selon Philippe Boesmans par Cécile Auzolle (Actes Sud)… Philippe Boesmans (né en 1936), compositeur belge, s’est surtout révélé dans l’écriture lyrique, affûtant un regard de lettré critique sur la forme et le sens de l’opéra.
Sa réorchestration du Couronnement de Poppée en 1989 (une œuvre clé baroque de Monteverdi qui résume toute l’histoire du genre) inscrit son travail dans une approche qui apporte pensée et conscience à une œuvre de réécriture, précisant une réponse éloquente au principe contradictoire mais historique de jouer l’ancien dans les grandes salles. Suivent plusieurs partitions contemporaines écrites avec son complice Luc Bondy (Reigen, 1993  d’après Schnitzler ) ou Julie (2005, d’après Strindberg), sans omettre la plus récente pour l’Opéra de Paris (à la demande de Gerard Mortier) : Yvonne, princesse de Bourgogne (2009, d’après Gombrowicz). Ecrit au moment de la création du nouvel opéra pour La Monnaie (livret de Joël Pommerat, 2014), le texte de cet essai esthétique et biographique se perd souvent en conjectures anecdotiques qui perd son fil synthétique.

Sur le texte… Le lecteur suit certes la chronologie restituées des ouvrages ainsi composés, mais dans le dédale des informations rassemblées et de toutes origines (propos recueillis, extraits de presse, témoignages de directeurs associés aux productions – Foccroule et Mortier principalement, car Boesmans demeure un auteur ancré à La Monnaie bruxelloise où il a réalisé une résidence de presque 20 ans!), le sens principal d’une écriture essentiellement intellectuelle émerge avec difficulté. L’écriture tourne autour de son sujet sans vraiment marquer et caractériser une œuvre en cours, ou même livrer des repères. La notion d’étrangeté  » nécessaire  » est proclamée à toutes les sauces comme pour cataloguer définitivement une sensibilité qui finalement échappe à l’auteur. L’étrangeté de Boesmans ne serait-t-elle pas sa contradiction critique tant que le genre musical et lyrique que dans le choix des sujets accordés coûte que coûte à un style aussi précis et méticuleux que cultivé ? En autodidacte, Philippe Boesmans n’en est pas à une contradiction près…

L’humain que vise Boesmans dans ses opéras relève d’un monde cynique et barbare, où la désillusion et le désenchantement règnent sans partage : mais un désenchantement poétique où la musique, dans la dilatation spécifique du temps qu’elle autorise, fait croire à la grandeur éternelle du sentiment. Tout son théâtre qui puise lui-même dans une matière littéraire préexistante, sait cultiver l’illusion de ce rêve dérisoire. Son action est psychologique et ne cesse d’inspecter la violence silencieuse des situations, la nature écœurante des relations où parfois jaillit mais par effet de contraste, l’éclat d’une innocence préservée. Mais au final de Reigen à Julie, et surtout Yvonne, trois œuvres clés de son approche (et de notre point de vue les plus réussis), c’est bien l’action conjointe d’une élégance cultivée de la forme, d’un réalisme sordide lié au sens et au sujet qui s’accomplit à chaque étape d’un parcours de plus en plus critique. De sensibilité raffinée (qui aime jusqu’à l’ivresse les références en tous genres), Boesmans le sceptique enchanté, fait du Berg dans la langue de Monteverdi. A travers le texte diffus, agencé sans organisation structurelle, le lecteur saura extraire l’essentiel pour approfondir sa propre image du compositeur. Mais du chapitre dernier, dédié à l’oeuvre qui se précise, Au Monde (créé en avril 2014 donc), il faudrait une nouvelle rédaction désormais, qui recueille la réception et le sens ultime de la partition créée. On reste donc mitigé sur un texte qui certes à la sincérité de son admiration pour une œuvre fascinante (en ce qu’elle cultive elle-même le trouble et susciter l’interrogation), mais qui reste irrémédiablement hors de son sujet : le mystère Boesmans y reste de fait … total.

Cécile Auzolle : Vers l’étrangeté, ou l’opéra selon Philippe Boesmans. Éditions Actes Sud.  Mars, 2014 / 11,5 x 21,7 / 352 pages. ISBN 978-2-330-03011-7. Prix indicatif : 23 €

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