Ludwig van Beethoven
Missa Solemnis, 1824
Les 18 et 20 septembre 2008 à 20h
Paris, Salle Pleyel
Orchestre de Paris. Christoph Eschenbach, direction
Beethoven dont on connaît le désir d’édifier une arche musicale pour le genre humain, saisissant par son ivresse fraternelle, porté par un idéal humaniste qui s’impose toujours aujourd’hui avec évidence et justesse, tenait sa Missa Solemnis comme son oeuvre majeure. Mais pour atteindre à la forme parfaite et vraie, le chemin est long et la genèse de la Solemnis s’étend sur près de 5 années…
Pour l’ami Rodolphe
Vienne, été 1818. Le protecteur de Beethoven, l’archiduc Rodolphe de Habsbourg, frère de l’empereur François Ier, est nommé cardinal. Son intronisation a lieu le 24 avril 1819. Beethoven, qui règne incontestablement sur la vie musicale viennoise depuis 1817, inspiré par l’événement, compose Kyrie, Gloria et Credo pendant l’été 1819. La période est l’une des plus intenses: elle accouche aussi de la sublime sonate n°29, « Hammerklavier » (terminée fin 1818). Les cérémonies officielles en l’honneur de Rodolphe sont passées (depuis mars 1820)… et Beethoven poursuit l’écriture de la Messe promise. Jusqu’à juillet 1821, il écrit les parties complémentaires. En 1822, la partition autographe est finie: elle est contemporaine de sa Symphonie n°9 et de ses deux ultimes Sonates.
Avec le recul, la genèse de l’ouvrage s’étend sur plus de cinq années: gestation reportée et difficile car en plus des partitions simultanées, Beethoven, entre ivresse exaltée et sentiment de dénuement, a du cesser de nourrir tout espoir pour « l’immortelle bien-aîmée » (probablement Antonia Brentano), fut contraint de négocier avec sa belle soeur, la garde de son neveu Karl…
Ce vieux loup solitaire et génial
Beethoven, marqué par la vie, défait intimement, capable de sautes d’humeurs imprévisibles, marque les rues viennoises par son air de lion sauvage, caractériel, emporté mais… génial. Dans les cabarets, il invective les clients, proclamant des injures contre les aristocrates et même les membres de la famille impériale… Mais cet écorché vif a des circonstances atténuantes: il est sourd, donc coupé de son milieu ordinaire, et ne communique, sauf ses percées orales souvent injurieuses, que par ses « carnets de conversation ». Ce repli exacerbe une inspiration rageuse, inédite, que ses proches dont Schindler (son secrétaire), l’éditeur Diabelli (pour lequel il reprend en 1822, les Variations « Diabelli » qu’il avait laissées inachevées en 1820), ou Czerny (son élève) admirent totalement. De surcroît, si les princes d’hier sont partis ou décédés tels Kinsky, Lichnowsky, Lobkowitz, surtout Rassoumowsky (qui a rejoint la Russie après l’incendie dévastateur de son palais et de ses collections en 1814), le compositeur bénéficie toujours d’un soutien puissant en la personne de l’Archiduc Rodolphe, fait donc cardinal, et aussi archevêque d’Olmütz en Moravie.
Vaincre la fatalité
A l’origine liturgique, la Missa Solemnis prend une ampleur qui dépasse le simple cadre d’un service ordinaire. Messe pour le genre humain, d’une bouleversante piété collective et individuelle, l’oeuvre porte sang, sueur et ferveur d’un compositeur qui s’est engagé totalement dans sa conception. Fidèle au credo de Beethoven, l’oeuvre Michel-Angélesque (choeur, orgue, orchestre important), exprime le chant passionné d’un homme désirant ardemment vaincre la fatalité.
Exigeant quant à l’articulation du texte et l’explicitation des vers sacrés, Beethoven choisit avec minutie chaque forme et développement musical. A la vérité et à l’exactitude des options poétiques, le compositeur souhaite toucher au coeur : « venu du coeur, qu’il aille au coeur« , écrit-il en exergue du Kyrie. Théâtralié révolutionnaire du Credo, véritable acte de foi musical, mais aussi cri déchirant et tragique du Crucifixus, méditation du Sanctus, intensité fervente du Benedictus (introduit par un solo de violon) puis de l’Agnus Dei, l’architecture touche par ses forces colossales, la vérité désarmante de son propos: l’inquiétude de l’homme face à son destin, son espérance en un Dieu miséricordieux et compatissant.
Sûr de la qualité de sa nouvelle partition qui extrapole et transcende le genre de la Messe musicale, Beethoven voit grand pour la création de sa Solemnis. Il propose l’oeuvre aux Cours européennes: Roi de Naples, Louis XVIII par l’entremise de Cherubini, même au Duc de Weimar, grâce à une lettre destinée à Goethe (qui ne daigne pas lui répondre!)…
En définitive, la Missa Solemnis est créée à Saint-Pétersbourg le 7 avril 1824 grâce à l’initiative du Prince Galitzine, soucieux de faire créer les dernières oeuvres du loup viennois, avec l’appui de quelques autres aristocrates influents. Beethoven assure ensuite une reprise à Vienne, le 7 mai, de quelques épisodes de la Messe (Kyrie, Agnus Dei…), couplés avec la première de sa Symphonie n°9. Le triomphe est sans précédent: Vienne acclame alors son plus grand compositeur vivant, lequel totalement sourd, n’avait pas mesuré immédiatement le délire et l’enthousiasme des auditeurs, réunis dans la salle du Théâtre de la Porte de Carinthie.
Illustrations: portraits de Beethoven. Beethoven composant la Missa Solemnis dont il tient la partition. Beethoven marchant dans les rue de Vienne (DR)