Luigi Dallapiccola
Il Prigioniero, 1949-1950
Paris, Palais Garnier
Du 10 avril au 6 mai 2008
Direction musicale: Lothar Zagrosek
Mise en scène: Luis Pasqual
Pasqual: contre les despotismes
Mis en scène par le Catalan (né à Reus en 1951, ex directeur du Théâtre de l’Odéon à Paris) Luis Pasqual, la production de Il Prigioniero s’annonce comme un nouvel événement de la scène parisienne. L’homme de théâtre n’a jamais caché l’engagement de son travail comme en témoigne en 2007, la lecture de Don Giovanni de Mozart qui évoquait la dictature de Franco. Le Prigioniero lui permet de traiter à nouveau du pouvoir totalitaire, du despotisme qui presse l’individu, sans rémission ni compassion. Il s’agit de peindre les effets terrifiants de la torture, (arme familière des tyrannies), plus morale et psychologique que physique. Ou les deux.
Torture psychologique
Luigi Dallapiccola (né en Istrie, actuelle Croatie, en 1904) a vécu très jeune la déportation: son père avait osé résister à l’occupation austro-hongroise: la famille fut expédiée à Graz en Autriche en 1917. Marqué par les effets d’un pouvoir autoritaire et inhumain, le compositeur frappé par la musique de Debussy (Pelléas) et l’atonalisme du Pierrot lunaire de Schöenberg, s’engage dès lors dans une musique de protestation. Il a lui-même rédigé son opéra (un prologue, un acte), composé comme le cauchemar intérieur d’un homme incarcéré qui a perdu sous la pression continue dont il est la victime (consentante?), toute idée de résistance, de liberté, de rébellion… Le livret s’inspire de l’un des Contes Cruels de Villiers de l’Isle-Adam, qui situe son action dans l’Espagne de Charles Quint, où sévit l’intolérance et le fanatisme, portés par l’Inquisition. La prison de Dallapiccola est un espace clos sans issue, nouvelle lecture aussi noire et tragique et peut-être plus radicale encore que l’opéra de Janacek, De la maison de morts, récemment donné à Paris, à l’Opéra Bastille cette fois. L’engagement humaniste de Dallapiccola inspire de nombreux compositeurs et musiciens plus récents, tels que Claudio Abbado, Maurizio Pollini ou Luigi Nono.
Le prisonnier sait-il qu’au final, il est lui-même la proie de ses angoisses inconscientes. Sa prison est en lui-même. Et l’action du compositeur peint un être acculé, qui a renoncé, dont la possibilité d’une libération, plus rêvée que réelle, souligne combien il doit d’abord analyser sa propre identité pour s’en sortir. Or le labyrinthe qui l’habite revient toujours et encore, au même endroit, vers la même personne: l’Inquisiteur. Son juge et son bourreau. Triste fatalité d’un destin condamné: comment l’homme seul peut se sortir d’un système répressif?
L’Ode à Napoléon
En préambule à l’opéra de 55 minutes, Gérard Mortier présente L’Ode à Napoléon de Schönberg, d’après le poème de Lord Byron (1814) qui y déverse son hymne libertaire contre le tyran français qui a voulu soumettre l’Europe: cri de liberté contre le général victorieux devenu despote… Quand Schönberg compose la musique de ce qui est pour Pasqual, « un rap dodécaphonique » (écrit pour baryton), il s’agit de dénoncer l’horreur du régime hitlérien… comme Dallapiccola souligne dans son Prigioniero, la terreur du régime mussolinien. Chaque tyran répand les mêmes effets: barbarie, meurtre, souffrance… De quoi préparer le spectateur du Prigioniero de Dallapiccola. Y recueillir son message humaniste.
Illustration: Luig Dallapiccola (DR)