Le grand retour de la production de l’opéra Atys (1676), créée en 1987, sur la scène qui l’a vu naître et croître avec le succès que l’on sait, l’Opéra Comique, à partir du 12 mai prochain, est assurément l’événement baroque de ce printemps et de ce début d’été (le spectacle tourne ensuite entre autres à Bordeaux et Versailles). L’Avant Scène Opéra en profite légitimement pour rééditer le numéro paru alors, mais complété par un dossier 2011 qui remet en perspective le sens et les enjeux esthétiques, musicaux, interprétatifs d’une totalité qui résume pour beaucoup ce que la « révolution baroqueuse » à apporter de plus éblouissant. Atys comme performance scénique et musicale, théâtrale et lyrique est bien le fantasme du spectateur moderne: une totalité dont la réussite globale opère toujours une passionnante nostalgie. Captivants à cet égard, les articles signés à l’époque (1987) par William Christie (Lully réévalué) et Jean-Marie Villégier (Un rêve noir habité par un soleil). Auxquels répond comme un écho contemporain, la contribution de Laura Naudeix: « Atys, 24 ans après, le sens du passé »… si en 1987, il s’agissait d’éviter le piège de la reconstitution, que signifie en 2011, la volonté de reconstituer la production de 1987? L’auteur aborde avec une justesse lumineuse tout ce qui souligne dans le spectacle le fort impact des amours juvéniles d’Atys et de Sangaride, soudain révélés dans un contexte lugubre, tragique, nostalgique, intensément poétique, celui de l’impuissante déesse Cybèle, celui du règne finissant de Louis XIV, lui-même dépossédé des éclats de sa jeunesse triomphante… le décor unique y paraît tel un cabinet aux illusions spectrales, en gris, argent et nuances lunaires. C’est une oeuvre au noir, foudroyante par ses ténèbres criminelles qui curieusement enchanta à son époque, par un effet de contraste saisissant, l’imaginaire du Roi-Soleil.
Au sommaire d’un dossier particulièrement complet: portrait de Lully (Philippe Beaussant: Le musicien du soleil), la société à la cour de Louis XIV (Pierre Enckell: autour de Louis XIV: une société respectueuse?); Jean Duron analyse : « Atys, l’opéra du Roi » et rédige l’argument; portrait de Philippe Quinault dont les vers d’Atys sont les plus parfaits qu’il ait écrit (Jacques Morel: Philippe Quinault, libretiste d’Atys). Concernant l’oeuvre: après une introduction très argumentée sur la tragédie lyrique qui est aussi un opéra expérimental, Jean Duron développe le commentaire musical et littéraire, analysant acte par acte, scène par scène, les enjeux de l’action, les choix musicaux en regard du livret, intégralement édité, depuis le Prologue, jusqu’à la fin de l’acte V. Point fort de l’action le divertissement ou scène du sommeil d’Atys par lequel la déesse Cybèle fait part de son amour pour le jeune homme (scène 4 de l’acte III).
Parmi les articles composant les « regards sur l’oeuvre »: soulignons l’apport de ceux consacrés à la création de l’opéra à Saint-German en Laye, aux témoignages contemporains (1676) de Madame de Sévigné; les rapports troubles de Lully et Molière, le rôle de Lully dans la formation de l’opéra français. Profitable, les apports du dossier discographique où seules deux des versions montrent les limites de ce Lully revival auquel nous assistons, riche de l’enregistrement le plus récent d’Atys par Hugo Reyne (qui jouait la flûte dans le Sommeil à l’époque de Christie), somptueux coffret édité par le label Musiques à la Chabotterie: le choix de jeunes voix (Romain Champion dans le rôle-titre est époustouflant en vérité) et la restitution instrumentale du continuo selon les airs et les récits, s’y révèlent décisifs. Lecture incontournable pour qui souhaite préparer son écoute du spectacle repris en 2011 et comprendre tous les enjeux poétiques et esthétiques du chef d’oeuvre lyrique du Grand Siècle. Abondante illustration (vignettes et gravures d’époque, photographies de la production Atys 1987).
Lully: Atys. Avant Scène Opéra n°94, réédition 2011. 130 pages. Parution: fin mars 2011. ISBN: 978 2 84385 290 9. 20 euros.
