mercredi 23 avril 2025

Lyon. Chapelle de la Trinité. Le 30 novembre 2008. De l’Italie au Brésil, de Caccini à Villa-Lobos… Una Stella et Judith Gauthier.

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Vocalise poétique

Beaucoup de chant vocal et instrumental dans l’Italie du Baroque, grâce à Una Stella (de Philippe Spinosi) et à Judith Gauthier, dans un esprit d’intimité qui bannit la vanité virtuose pour s’attacher à la profondeur des mélodies et de la vocalise poétique…

Les sons-paysages d’une cantatrice inspirée. Ah l’émouvant, l’intime et profond concert ! L’indisponibilité de la cantatrice Veronica Cangemi eût pu laisser craindre quelque remplacement hâtif. L’histoire ne nous a pas dit si Una Stella et Judith Gauthier ont déjà œuvré en commun, mais la fusion s’éprouve et se savoure, pour aboutir à un baroque d’intuition mais aussi de beauté mesurée, sans avarice d’inspiration mais sans déchaînement d’auto-satisfaction pulsionnelle. D’évidence la voix est de celle qui peuvent techniquement tout – dans l’opéra, ainsi a-t-elle pu être celle de Fiordiligi-la-si-complexe -, et on sait que la culture musicienne de Judith Gauthier va aussi en désir de la création contemporaine, assumée hors de l’esprit-diva, en collectif exposé aux risques. Attitude, vêtement (une harmonie blanche, blonde et noire) sont modernes, sans affectation et en accord avec la beauté « trinitaire » (qui n’a rien d’agité : un baroque à la française, entre deux fleuves, presque modéré…) Et c’est ici grâce à cette générosité intelligente qu’en passant de Monteverdi à Vivaldi, Porpora ou Haendel, on sent que chaque auteur détient au-delà de son style un principe qui anime, c’est à-dire qui ouvre sur le secret de l’âme. Les Vivaldi sont aériens, d’une extrême agitation naturaliste ou figurée de vent et d’eaux ; les Haendel -pourtant eux aussi italiens – témoignent d’une solidité quasi-terrienne, même quand coulent les larmes du « lascia ch’io pianga », harmonieuse redite en éternel retour de la plainte, et l’insulte lancée (« Barbara ! ») a une minéralité de granit entre deux failles de silence. L’art de la chanteuse culmine dans deux airs de Porpora, où remonte des profondeurs une pulsation magique de houle, monde élémental décrit et transposition en toutes les formes du (res)sentiment. Et pour finir, la 5e des Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos, seul ancrage demeuré dans le programme pour l’Amérique Latine, un son-paysage où la voix plane en oiseau sur la forêt et où il fait si bon s’attarder.

Nouvelles Aventures d’Animus et Anima
A ce haut lieu vocal, on s’interroge sur ce que parfois finirait par occulter l’art si séducteur de tant de virtuoses haute-contre et qui forme désormais le goût un peu compulsionnel de certains publics : n’y-a-t-il pas une vertu d’essence particulière (osera-t-on dire : supérieure ?), en ce répertoire latin, dans la voix féminine ? Encore une histoire d’à peine saisissable, et à plus forte raison de prouvable, mais un sentiment de bonheur à l’écoute de ce qui chez une soprano, une mezzo, une contralto vibre doucement et que la peinture italienne inventa plus tôt par le clair-obscur…Ce que justement Claudel – précédemment invoqué dans notre article sur le Festival de la Trinité – distinguait subtilement à partir du latin entre Animus et Anima : le premier, qui est l’esprit « mais qui a un corps violemment charnel, qui respire de tous ses poumons, et de son souffle, construit ». La seconde, l’âme, presque invisible à des yeux humains, a le don et le mystère de la poésie. « Et l’âme se tait dès que l’esprit la regarde. » Oui, peut-être, d’un côté la voix infiniment active, sans trop d’harmoniques, son côté asexué des anges trop parfaits, une mécanique infaillible. En face, et souvent dans une ombre complice, le vibrato et la résonance intériorisés, « l’air du lointain » qui accomplit ce miracle que passion, joie et douleur – sans donner un spectacle nécessairement parfait – y vivent très humainement. Une voix comme celle de Judith Gauthier, quand le rideau de la représentation est tombé, vit encore et pour longtemps dans la mémoire où elle se réfugie.

Masques et Bergamasques
Una Stella, corps instrumental, a lui aussi une « âme ». D’autant plus que les manières en sont simples, avec cette cordialité ouverte aux autres que marque Philippe Spinosi, guitariste au son délicat et qui ne joue jamais au chef, impérieux ou agité, mais incline son groupe vers la réflexion de sensibilité sur les partitions. Les cordes ont une souplesse stylistique étonnante : les violonistes Thibaut Noally, Nicolas Mazzoleni, l’altiste Nadine Davin, et ce son qui sait se raréfier jusqu’à l’infinitésimal, lui aussi magiquement, de la violoncelliste Anne-Garance Fabre-dit-Garrus : ainsi des masques sous le domino gris perle d’une Bergamascha de Luigi Rossi, ou du concerto « Madrigalesco » de Vivaldi avec, en son lento, un air de transparence qui n’appartient qu’à cette musique de rêverie et aux Vues sur la lagune de leur contemporain Guardi….Quant au claveciniste Francesco Corti, en situation soliste dans le Fandango de Soler, il enchante en sublimant la difficulté de faire naître la maniaque obsession rythmique tout en conservant l’esprit initial de poésie qui baigne toute cette pièce étrange. Et encore : n’oublions pas les nouveaux lustres, de « light in progress », très douce au demeurant en ses alternances d’apparition-occultation discrète, et si bien accordés à l’harmonie régnant en ce lieu…

Lyon. Chapelle de la Trinité, dimanche 30 novembre 2008. Œuvres de G.Caccini (1545-1618), C.Monteverdi (1567-1643), L.Rossi
(1597-1653), A.Vivaldi ( 1678-1741), G.F.Haendel (1685-1759), N.Porpora
(1686-1768), A.Soler (1729-1783), H.Villa-Lobos (1887-1959). Una Stella. Philippe Spinosi, direction. Judith Gauthier, soprano

Illustration: Judith Gauthier (DR)

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