mercredi 23 avril 2025

Lyon. Opéra, le 13 décembre 2012. Haendel: Le Messie. Orchestre, Chœurs , maîtrise, solistes dirigés par Laurence Cummings. Deborah Warner: dramaturgie, mise en scène.

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Mettre un oratorio en situation opératique, en lui inventant un « récit » cohérent, voire actuel : le geste a déjà été plusieurs fois tenté. Ici, avec le Messie , c’est Deborah Warner qui incarne pour l’Opéra de Lyon l’architecture grandiose de Haendel. Sa théâtralisation, d’évidente sincérité, emporte une adhésion nuancée. Laurence Cummings conduit brillamment l’ensemble, et tout spécialement des Chœurs très inspirés.


Beethoven et Monsieur Plume

Muss es sein ? (le faut-il ?). Es muss sein (il le faut)… Ou : « Si ce train pouvait n’être pas passé, j’en serais fort heureux. Mais puisqu’il est déjà passé… » et il se rendormit ». De l’épigraphe du 16e Quatuor de Beethoven à la résignation d’Un Certain Plume chez Michaux, le spectateur du Messie haendelien opératiquement revisité demeure soumis à… la balance parfois perplexe du jugement. De toute façon, il savait au départ que le pari d’un discours dramaturgique en oratorio – sous le pavement des bonnes intentions, la plage d’une musique intangible … – présentait difficultés et attraits. Mais que la qualité des intervenants empêcherait que l’aventure bascule dans quelqu’une de ces provocations psycho-rigides et branchées (mais sur quoi ?) qui parfois sévissent en plateaux lyriques.


Une conception chorale, dehors et dedans

Donc, trois phases de mise en espace-temps, où nous dirons tout de suite – notre tendance au classicisme un rien vieux-jeu ? – que la première, en son patchwork renforcé de modernité « quotidienne », nous a inégalement convaincu. Cela commençait pourtant bien – le lent-vif instrumental, d’abord en formes abstraitement immobiles puis dans la frénésie « circulatoire » des « villes tentaculaires et folles » -, mais vite le propos dérive, ou s’émiette en « tableaux (moins) parisiens » que londoniens ou new-yorkais. Comme si la dramaturge Deborah Werner oscillait entre grandiose dérisoire des solitudes et anecdotisme d’histoires en fragments de collages sociologiques : conception « chorale » (c’est à la mode) et recherche un peu laborieuse d’une unité dans « la bonne nouvelle » qui rassemble la première partie de l’oratorio. Le « dehors » d’un espace public (notamment rues, salles d’attente et couloirs de métros ou gares) alterne avec un « dedans » de nature familiale (appartement et occupations banales, chambre d’hôpital à l’étage maternité, galopade espiègle d’un « petit gâteau de miel » binoclard…), sans qu’on arrive à une synthèse directrice. Il s’y affirme pourtant déjà une maîtrise technique – panneaux de projection vidéo, jeu des lumières, et surtout un « maniement » en souplesse et habileté du chœur, on y reviendra plus loin – qui est saluée… de loin, sans réelle intimité affective.


La Passion, la Résurrection et l’Arbre de vie

Les deux autres parties se rassemblent en se resserrant sur une perspective de la sacralité chrétienne, et d’ailleurs les « fonds de scène verticaux » accueillent les témoins d’une histoire de l’art, entre suavités du Docteur Angélique de la peinture italienne et sévérités du « dur désir de Dürer ». La mobilité moderniste s’y fixe en scènes plus symboliques – ainsi le « jeu » avec les instruments de la Passion, ou l’a(A)gneau sacrifié -, et même si demeurent des éléments de la « vie contemporaine » ( ainsi l’agonie dans le lit d’hôpital, cette fois « plausible » et traitée de fort émouvante et respectueuse façon), ils sont moins hétéroclites et gratuitement disposés. Une esthétique de la tradition s’y insère harmonieusement, tel ce superbe arbre doré qui fait écho à la peinture renaissante et dispense ses grâces de branches harmonieuses puis de feuilles en pluie conclusive.


La musique, c’est de la musique

Bien sûr, le spectateur « classique » d’opéra, intrigué et sollicité par cette mise en action et image, a tendance à focaliser sur le principe d’une mise en scène, quitte d’avance à traquer ce qui pourrait le choquer, ou au contraire à se laisser convaincre par ce qu’il découvre dans la nouveauté. Or Monsieur de Lapalisse invité – que ce soit au temple, à l’église, ou en lieu habituel de concert – dirait avec le bon sens qui a fait sa tautaulogique gloire que « la musique c’est de la musique ». Et qu’il convient donc d’en juger aussi en quittant des yeux la scène et ses gestuelles. Alors, ici ? Les satisfactions sont grandes et dominantes. Le chef anglais Laurence Cummings se tient dans la voie du milieu entre le baroquisme militant et une coutume qui solenniserait, voire néo-romantiserait la partition : c’est réalisé avec énergie pulsante, optimisme, maîtrise rassurante de la complexité qui règne devant lui et jusqu’aux arrière-plans de la scénographie. Les interprètes de « son » orchestre lyonnais qui ne sont pas des baroqueux d’habitude stylistique jouent avec franchise un jeu médian, nerveux et équilibré.


Un Chœur digne de l’antique

Ce qui emporte tout à fait l’adhésion, c’est la tenue des chœurs (et maîtrise) que « leur » chef Alan Woodbrige a su mettre en situation d’invention sonore et d’intégration « actrice » collective : la mobilité de la « masse », sa fragmentation éventuelle en petits groupes, la beauté sonore du contrepoint avec les solistes et l’orchestre rompent heureusement avec la gaucherie massive qui alourdit parfois les interprétations en concert et fige le jaillissement haendélien. Mutatis mutandis et alleluia, ils font ainsi rejoindre – par delà le temps baroque – le principe fondateur de ce que les Anciens Grecs inventèrent avec le Chœur du théâtre, témoin- acteur tantôt distancié tantôt submergé de pitié, et ne manque ici qu’un Coryphée dont les Passions vont faire, par transposition, un Evangéliste maître du récit.


Quatuor vocal

Les quatre solistes, eux aussi poussés dans une aire de jeu exigeante où ils deviennent personnages du récit d’ailleurs éclaté que leur attribue Deborah Warner, s’intégrent tout en gardant leur personnalité. Les plus équilibrés sont la basse Andrew Foster-Williams et le ténor Andrew Kennedy, voix éloquentes et agiles mais qui ne cèdent pas à la tentation virtuose du devant de scène. Les deux chanteuses sont en revanche tout à fait « éloignées » de tempérament : la soprano Sophie Bevan prend un visible plaisir scénique à se faire parturiente puis mourante avant que de ressusciter, quitte à ce que la situation grabataire nuise –paradoxalement – à une vocalité qui ne semble pas ici très intériorisée. L’alto Catherine Wyn-Rogers, moins obligée à « l’incarnation de personnages spectaculaires », est à l’inverse émouvante, en un retrait douloureusement discret et fort touchant.


Architecture de lumières

Revenant à la mise en espace, on ne saurait oublier le rôle d’une chorégraphie (Kim Brandstup) docile aux indications modernistes (un rien de hip hop fait même le lien avec entrée, entracte et sortie sur le parvis de l’opéra, comme si on y était…), de même et surtout qu’à la maîtrise constructive du décorateur (Tom Pye) qui intègre aussi un dispositif excellemment coordonné (« 59 Productions »). Quant à « l’architecte de lumières », Jean Kalman, il apporte non seulement la rigueur mobile si nécessaire au déroulement scénique, mais un climat qui par instants fait accéder à l’émotion poétique : cela transcende le prosaïsme inhérent aux aspects sociétaux d’un Messie partiellement rendu au réalisme du « pas si) bel aujourd’hui ».

Resterait à mieux encore approcher, dramaturgie ajoutée aidant, la grandeur de la musique, ces Universaux qui traversent Le Messie en l’irriguant, et qui, n’en restreignant pas la « vision » aux seuls adeptes chrétiens, se nomment, sans abstraction : vie, angoisse, solitude, souffrance, mort, espérance, hors temps mais dans les époques successives.

Lyon. Opéra, le 13 décembre 2012. G.F.Haendel ( 1685-1759): Le Messie, oratorio mis en dramaturgie opératique par Deborah Warner. Orchestre, Chœurs, Maîtrise, Solistes (S.Bevan, C.Wyn-Rogers, A.Kennedy, A.Foster-Williams) sous la direction de Laurence Cummings.

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