mercredi 23 avril 2025

Marcel L’Herbier: L’Argent (1928). Musique de Jean-François Zygel 2 dvd Carlotta Films

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Marcel L’Herbier

L’Argent

(1928)

Rare les réussites permettant l’accord de la musique et de l’image. Pari relevé, avec éclat par Jean-François Zygel qui a composé la musique du film L’Argent de Marcel L’Herbier (1928) que réédite en version restaurée, l’éditeur Carlotta films.

Réédition capitale
On doit au film documentaire signé Jean Dréville, réalisé au moment du tournage de L’Argent, en 1928, une bible de renseignements sur la manière dont Marcel L’Herbier (1888-1979) a tourné à la fin des années 1920, son long métrage, libre adaptation du roman éponyme de Zola (paru en 1891). Maîtrise et expérimentation techniques, relecture à la fois expressionniste et poétique du roman initial, inventivité visuelle constante imposent L’Herbier comme ce faiseur de rêves, le premier poète cinématographique dans l’histoire du 7ème art, aux côtés de Fritz Lang qui a déjà réalisé son chef d’oeuvre Metropolis en 1927. L’Argent est aujourd’hui un chef d’oeuvre du cinéma muet que Carlotta réédite en version remastérisée, avec une bande originale composée par le compositeur et pianiste-improvisateur Jean-François Zygel. Comme le dit le musicien, a contrario du cinéma parlant où tout est dit et verrouillé, le film muet permet toutes les clés de lectures, toutes les approches interprétatives, c’est un terreau qui n’étant jamais achevé, interroge de façon continue et constante, l’intelligence et l’imagination critique du spectateur. C’est pourquoi Jean-François Zygel s’est senti immédiatement inspiré par la matière visuelle et poétique du film de L’Herbier.

Marcel L’Herbier, poète visionnaire


L’histoire met l’accent sur l’argent comme force aliénante et irrésistible pour celui qui en détient la jouissance, pour tous ceux qui en en étant privés, succombent inéluctablement à son emprise. La force du film réalisé par L’Herbier en 1928 revient au luxe des décors, dont la démesure magnifiée par les amples mouvements de caméra, exprime la fascination du milieu de la finance et de la Bourse chez celui ou celle qui en est écarté(e). Aristide Saccard, protagoniste incarné par la vedette masculine Pierre Alcover, est ce brillant manipulateur, riche magicien qu’attise le désir de possession de toute chose comme de toute personne. Génial bonimenteur, le financier créée de l’or avec du rien, reconstruit une fortune colossal après avoir tout perdu… Il exprime mieux que tout autre personnage, la volonté de Zola d’écrire sa Comédie Humaine, brossant le portrait des aventuriers modernes dénués de tout scrupule: L’Argent est le volume 18 de son cycle intitulé Les Rougon-Macquart. En apôtre du milieu des affaires et des scandales à répétition, Saccard, maître de la spéculation démoniaque qui est l’arme des temps modernes, est le caractère axial de la saga. Son regard traverse ce qu’il scrute avec envie. Dans les décors marqués par l’omniprésence du style Arts Déco, le trio composé par le juif Gundermann, Saccard et sa maîtresse, la Barone Sandorf (envoûtante Brigitte Helm dans le film) exerce sa pression hypnotique sur les êtres plus faibles comme la jeune et cupide épouse d’Hamelin. Du reste, l’une des scènes les plus envoûtantes du film reste ce duo entre Saccar et la Baronne Sandorf, filmés en une étreinte animale, mi possession mi dévoration, où tour à tour, l’homme puis la femme alternent devant la caméra dans le rôle de la proie et du bourreau.

Musique recréative
La musique composée par Jean-François Zygel renforce la fascination plurielle des images conçues par L’Herbier. Par un phénomène de distanciation narrative, ou, à l’inverse suivant l’action, en bien en décalage ou commentant le déroulement des tableaux, l’écriture musicale sait aussi investir la subjectivité des protagonistes, en exprimant l’état d’âme et les sentiments vécus par un personnage. Proche du style cru et réaliste de Zola qui peint un milieu certes argenté mais dépossédé de tout sens moral et humaniste, Jean-François Zygel souligne l’expressionnisme intense des images de L’Argent, tout en renforçant l’universalisme du sujet sur la grandeur dérisoire des hommes de pouvoir. L’Herbier avait conçu à l’origine pour la « création » du film en salles, au Max Linder en 1929, la lecture simultanée de disques offrant les bruits de la bourse, entre autres: le film a été tourné pendant trois jours au Palais Brogniart, pendant les fêtes de l’Assomption 1928 à Paris. Spectacle total, associant le son et l’image, L’Argent reste une oeuvre maîtresse, le joyau de ce que certains spécialistes ont appelé « la première vague française » du cinéma. En orfèvre absolu du cadrage et de la lumière, Marcel L’Herbier collectionne les visions fulgurantes qui par leur raffinement et leurs nombreuses références picturales comme au cinéma contemporain, révèlent le génie du cinéaste, le premier qui a véritablement donné ses lettres artistiques au genre nouveau. Dandy wildien, créateur visionnaire, -allure féline et pointue à la Cocteau-, Marcel L’Herbier nous laisse dans L’Argent une oeuvre capitale dont la musique composée par Zygel intensifie la richesse sémantique. Autant d’éléments qui font de cette réédition au dvd, un événement majeur.

L’Argent de Marcel L’Herbier (1928, 2h44mn). Nouveau master restauré. Bonus: Autour de l’Argent (documentaire réalisé au moment du tournage du film par Jean Dréville en 1928, 40 mn), « Marcel L’Herbier, poète de l’art silencieux » (documentaire réalisé par Laurent Véray, 2007, 52 mn) + films d’archives: l’arrivéeà Paris de la star Brigitte Helm,révélée depuis Metropolis de Fritz Lang (1927), qui incarne la baronne Sandorf (1 mn), Essais des acteurs (17mn: entre autres: Pierre Alcover et Yvette Guilbert…, « Accompagner le cinéma muet » (intervention de Jean-François Zygel à propos des modes d’écritures musicales qui s’offrent au compositeur désireux d’écrire la musique d’un film muet…). Scènes de la bourse avec et sans bruitage. L’édition double collector comprend aussi un portfolio de 32 pages contenant une riche iconographie photographique concernant le film L’Argent. 2 dvd Carlotta films (durée du film: 2h44mn)

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