En maître absolu des visions successives, Gielen insuffle au ballet sa portée universelle qui dépasse immédiatement son cadre illustratif et son prétexte mythologique: le jeu des timbres, l’alliance et la successions des évocations, surtout la vision du chef, l’organisation et la structuration des plans sonores, sont de purs instants de magie symphonique. Ecoutez la danse lente et mystérieuse des nymphes (plage 6): le chef né à Dresde en 1927 étonne et captive par une science étonnante des pianissimos: il instille à tout le cycle sa torpeur évanescente, ses flottements oniriques qui basculent dans la rêverie et l’inconscience… Se reporter à l’Introduction de la seconde partie, où l’apport du choeur apporte sa vocalité tout autant énigmatique (EuropaChorAkademie, en fusion parfaite avec la texture de l’orchestre).
A l’inverse, la santé sautillante des biches de Poulenc, en rien concernée par la délicieuse et envoûtante torpeur d’un Ravel alchimiste des périodes ténues, entre ombre et lumière, offre un contraste saisissant que Marcello Viotti à la tête du même orchestre sait canaliser, mais avec moins de ciselure et d’analyse, comme d’imagination et de tension, que son aîné dresdois. La performance de Gielen dans Ravel vaut la première place dans une discographie déjà bien documentée, en particulier devant une certaine lecture signée Boulez. Ajoutons que ce volume II de la collection « Les Ballets Russes« , s’inscrit à un niveau proche de l’excellence: le volume I emmené avec une délicatesse sensuelle par Sylvain Cambreling, en particulier dans La Péri de Paul Dukas, nous avait de la même façon totalement convaincus. Enfin précisons que les même interprètes ont récemment publié une version tout autant enthousiasmante des Gurrelieder de Schoenberg (également édité par Hänssler).
Maurice Ravel (1875-1937): Daphnis et Chloé, 1909. EuropaChor Akademie. Michael Gielen, direction. Francis Poulenc (1899-1963): Les Biches, suite. Marcello Viotti, direction. SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg.