mardi 22 avril 2025

Maurice Ravel, L’Enfant et les sortilèges (1925)

A lire aussi
L’Enfant et l’écureuil

Ravel qui aimait tant la petite forme,mais aussi la ciselure
instrumentale en une orchestration millimétrée imagine un opéra,
d’après le livret de Colette sur la proposition du directeur de l’Opéra
de Paris, Jacques Rouché. L’action parle de l’enfance et d’un jardin
enchanté…. ou comment l’enfant capricieux et cruel apprend l’humanité
et la compassion dans les yeux d’une petit écureuil qu’il a blessé.
Dans ce regard se joue tout l’avenir de la civilisation…

Maurice Ravel qui a perdu sa mère, Marie, en janvier 1916, – une perte jamais vraiment acceptée-, s’intéresse au livret que l’écrivain Colette a écrit en huit jours, pour le directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché. Le sujet plonge dans l’enfance. C’est une évocation de la figure maternelle, recherchée, adorée. L’Enfant qui n’a pas été sage, se venge sur les objets, les arbres et les animaux de son entourage. A l’esprit barbare et cruel du jeune être, s’oppose bientôt une armée de victimes innocentes, qui toutes directement ou indirectement, ont perdu un compagnon, ont souffert sans raison à cause du petit diable. Chacun se dresse contre le tyran qui finit par demander grâce, suppliant sa mère de le réconforter.
Les sortilèges sont ici la voie du retour à l’ordre : il s’agit d’infliger une punition effrayante et fantastique à la cruauté infantile. Mais du premier tableau où l’Enfant se plaint, joue l’indifférent et le capricieux, jusqu’à la scène de l’appel au giron maternel, que de tableaux féeriques, de nocturnes surréalistes, prétextes à d’amples évocations entre onirisme et délire… le merveilleux s’immisce dans une histoire anecdotique, grâce à la musique de Ravel.

L’oeuvre de sa vie
Après une profonde période dépressive, suite à la mort de sa chère maman, Ravel semble reprendre le goût de l’écriture. Le livret reçu de Colette vient à poing nommé. S’agirait-il comme on l’a avancé, d’un texte d’autant plus opportun qu’il lui permettait d’exorciser un drame qui devait se résoudre?
Cependant l’enthousiasme immédiat suscite une élaboration longue et fastidieuse. Le compositeur mettra près de cinq ans pour accoucher de son oeuvre lyrique. Les objets animés de l’oeuvre résonnent curieusement dans la maison de Montfort-l’Amaury, investie dès 1921. Ravel compose dans un écrin dont il choisi chaque élément, avec comme point d’orgue d’une collection fétiche, le portrait de sa mère, image tendrement chérie.
L’écriture recueille en filigrane les pensées les plus intimes de l’auteur, dans sa relation à sa mère, présence regrettée. L’Enfant, c’est lui. Et par la musique, il joue au magicien, recomposant un monde enchanté, où les horloges, les tasses, les horloges et les théières s’animent, parlent et se lamentent. En pleine gestation, en 1923, Ravel déclare : « je songe à une fantaisie lyrique… dont j’espère faire l’oeuvre de ma vie ».

« Ravel-écureuil » : en quête de pureté
Pour exprimer au plus près, le monde de l’enfance, Ravel dépouille sa manière, nettoie son écriture. Il songe à la naïveté des chansons d’enfants. La quête d’une pureté sonore, cristalline, reste un objectif majeur, déjà esquissé, avant L’Enfant et les sortilèges, dans Ma mère l’Oye. Si le compositeur emprunte une voie musicale pour retrouver l’insouciance de l’enfant, comme une régression salvatrice qui le laverait de toutes les agressions vécues, de la douleur des plaies encore ouvertes, le style de plus en plus épuré dans le chant de l’enfant, signifie pour lui-même l’état retrouvé de l’innocence et de la pureté qui l’habite aussi, aux côtés de ses pulsions cruelles. L’air où l’enfant se guérit de lui-même et retrouve sa pureté originelle, « Toi le coeur de la rose... », est un hymne à l’innocence préservée, qui ressurgit intacte. D’ailleurs, la résolution de cette initiation progressive se précise dans la dernière scène, où sur les mots : « Il est bon l’enfant, il est sage« , les sortilèges, ce lien qui étouffait le petit coeur en l’emprisonnant dans l’esprit de la vengeance, se dissolvent et s’évaporent. La fugue suit le rythme de la respiration naturelle : jamais la phrase ravélienne n’a semblé ici plus évidente, naturelle, comme couler de source. En soignant l’écureuil blessé (« il a pansé la plaie... »), l’enfant est redevenu un homme parmi les hommes, fraternel et compassionnel. Le petit animal donne la clé : « Sais-tu ce qu’ils reflétaient mes beaux yeux ? Le ciel, le vent libre… ». En sauvant l’animal, l’Enfant ressuscite à lui-même et se sauve lui-même.
Cette scène qui inspire la mélodie la plus inspirée de toute la partition, est d’autant plus révélatrice que c’est Ravel qui a insisté auprès de Colette pour introduire la figure de l’écureuil. Colette qui rétrospectivement, aimait parler en 1941 (Journal à rebours), d’un Ravel animal, … » ses mains délicates de rongeur, effleurait toutes choses de son regard d’écureuil ».

La mécanique de l’enchantement
Le rythme de la danse est l’élément moteur de la magie ravélienne. A cela, le compositeur ajoute la fascination de phrases simples, répétées, petites séquences déterminées ou miniatures, dont le cycle fugace s’apparente au tour d’un automate. La mécanique a toujours passionné Ravel. Le prodige des objets inanimés devenant vivants et palpitants, s’apparente à la danse féerique des automates. Le jouet mécanique est un autre élément qui rapproche Ravel de l’enfance.
La vie des objets permet d’inventer de nouvelles destinations pour des éléments de danse qui en sont dépourvues dans leur usage familier : le fox trot entre le théière et la tasse chinoise produit, par exemple, un effet ineffaçable pour ceux qui l’écoutent la première fois.

Cris et « frisson secret de la vie »
A l’évocation de la vie miraculeuse des objets domestiques, Ravel s’ingénie aussi à évoquer le chant et le cri des animaux de la forêt enchantée : coassement des grenouilles, miaulement des chats, bruissement des arbres du jardin… Les sortilèges sont le jeu des miracles de la nature, instruits par de petits êtres magiciens, tous habités par un feu énigmatique et spectaculaire, destiné à impressionner l’enfant.

La partition est achevée au début de l’année 1925 quand Ravel s’apprête à souffler ses 50 ans (le 7 mars). C’est la synthèse stylistique de toute une vie occupée par l’écriture musicale.

CD
Ernest Ansermet
Le monde de l’enfance est abordé avec une sensibilité directe et poétique. La palette des tonalités affectives est remarquablement menée : émotion du duo avec la Princesse, mystère et magie du jardin, lamentation de l’arbre blessé… Flore Wend incarne un Enfant, superbe de malice et d’innocence. Quant à l’orchestre d’Ansermet, – l’orchestre de la Suisse Romande-, il nage dans des eaux de pur enchantement. Coffret 2 cd Decca, collection « historic » (couplé avec le martyre de saint Sébastien).

Crédits photographiques
Maurice Ravel (DR)

Derniers articles

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img