jeudi 24 avril 2025

Max Lorenz: Wagner’s Mastersinger. Hitler’s Siegfried 1 dvd + 1 cd Medici arts

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Max Lorenz
(1901-1975)

Superbe documentaire qui doit son intérêt évidemment à la personnalité du ténor légendaire (Heldentenor), allemand, Max Lorenz,
né en 1901 à Düsseldorf, de son vrai nom, Sülzenfuss: il changera de
nom à 20 ans, au moment où formé à Berlin par un professeur estimé, le
jeune homme est prêt à éblouir les scènes du monde.
Mais le profil des témoins et admirateurs suffit aussi à établir, voire rétablir le mythique chanteur: Dietrich Fischer Dieskau, carrément élogieux, ou René Kollo,
autre ténor wagnérien renommé (qui chanta Tristan à Salzbourg sous la
direction de Daniel Barenboim). Le sous-titre du portrait met le doigt
sur une source de trouble à l’égard du ténor: « ténor d’Hitler ». En
vérité, Max Lorenz, incarnant l’idéal du héros wagnérien, qui fut même
dans les années 1930 à 1940, le plus grand Siegfried et le plus
inoubliable Tristan de son temps, fut instrumentalisé, comme beaucoup
de vedette de la scène artistique par les nazis. D’autant qu’après une
tournée aux USA, en 1931, le ténor acclamé qui incarne pour le Met, 5
rôles wagnériens, revient en Europe, relooké, à la mode hollywoodienne,
nouveau dandy artiste qui ajoute à son génie vocal et dramatique, un
zeste de glamour propre aux années 1930, auquels ses contemporains ne
seront d’autant plus indifférents.
De son côté, Winifred Wagner, devenue directrice à Bayreuth, soucieuse
de restaurer la réputation du Festspiele, n’hésita pas à pactiser avec
le diable (d’autant qu’Hitler aimait de façon passionnée les opéras de
Wagner) et que Max Lorenz était devenu l’âme du festival…
Mais les dés ne sont pas joués d’avance ni l’histoire tout à fait
lisse: apprenant que Max Lorenz avait été surpris en 1937, avec un
jeune homme (car il était homosexuel), de surcroît marié à une juive,
Charlotte Appel, ou « Lotte », qui était son agent et qu’il épousa en
1932), Hitler interdit à Lorenz de chanter à Bayreuth !

Pas de Bayreuth sans Lorenz
Ce que l’on sait moins c’est la ténacité de Winifred Wagner à sauver
son Bayreuth: prétextant que sans Max Lorenz, il ne pouvait y avoir de
Bayreuth, le furher céda et accepta que l’auguste ténor reparaisse sur
la scène wagnérienne…
Statut inouï (grâce à la protection personnelle de Goering) quand on
sait que les juifs, sur l’ordre de Goebbels, n’étaient pas admis dans
l’enceinte bayreuthienne… Coûte que coûte, Lorenz protégea et imposa
aussi son épouse et sa belle mère en les emmenant toutes deux en
tournée, à Bayreuth et ailleurs.
Le
film s’appuie sur de nombreuses images d’archives où l’on saisit la
charisme magnétique de l’immense ténor, à la stature divine (il
mesurait 2 m à en croire René Kollo). Mais son immense talent l’a
imposé sur la scène: voix pénétrante, claire, éclatante comme une
trompette, mais avec une intelligence de l’instant capable d’embraser
son jeu… « Il ne représentait pas les notes, il était les notes; il était capable de s’approprier la musique d’une façon exceptionnelle« , précise Dietrich Fischer Dieskau. « Il avait cette clarté nordique à la Nilsson, Flagstat ou Björling« , ajoute René Kollo.
D’ailleurs ce dernier souligne non sans pertinence comme il est facile
mais incorrect d’accréditer l’idéalisation des héros wagnériens,
proches des héros aryens, sacralisés/idolâtrés par l’appareil
hitlérien: « les
héros de Wagner n’ont rien de positif: prenez Tristan, c’est un
handicapé des sentiments, incapable de dire je t’aime; Sigmund est un
fuyard; il y a en chacun d’eux le reflet d’une brisure »

Ajoutons que le héros wagnérien est même maudit, c’est un inadapté qui
collectionne les échecs tragiques: même Siegfried tout rayonnant qu’il
est, se montre bien naïf, objet d’une manipulation honteuse qui
entraînera sa mort et la douleur endeuillé et la fin de Brünnhilde.

Grenzebach, Tietjen, Stassen…
Passionnant, le docu évoque aussi ce milieu bayreuthien et wagnérien de
l’époque où sous la tutelle de Winifred, le chef et metteur en scène, Heinz Tietjen (qui apprend son jeu à Lorenz et, avec le décorateur Emile Preetorius, engage une réforme essentielle de la mise
en scène: symboliste et fantastique, rompant avec le réalisme
anecdotique en usage alors), le peintre illustrateur, spécialiste de
l’iconographie wagnérienne, Franz Stassen (qui fut amoureux de Lorenz qu’il représenta en Parsifal idéalisé) sont évoqués tour à tour.
Au final, celui qui se forma à Cologne, puis Berlin (aux côtés de l’illustre Ernst Grenzebach),
qui échoua à Bayreuth une première fois après avoir été déjà remarqué
par Siegfried Wagner en 1924 (ayant trop répété il usa littéralement sa
voix!!), obtint le premier prix de chant à Dresde en 1927, fut engagé
au Semperoper par Fritz Busch pour chanter… Richard Strauss (Salomé
et Hélène d’Egypte), qui revint à Bayreuth, en triomphateur accompli en
1932, n’eut qu’un seul tort: chanter et se faire applaudir à l’époque
où le régime nazi s’était emparé du pouvoir. Les nouveaux maîtres
allaient instrumentaliser très vite ce génie du chant trop talentueux,
trop charismatique. L’époque avait besoin d’idoles et de modèles.
Or sa résistance courageuse, osant imposer son épouse juive, et même
refuser de chanter Tristan à Vienne en 1943… montrent l’humanisme et
l’intégrité d’un homme que l’on traita après la guerre, et sans
fondement, de chanteur nazi. Une erreur qui blessa amèrement l’artiste.
Le film dévoile son passage à Dresde, la ville de Richard Strauss:
Lorenz y chanta Salomé (sous la direction de l’auteur!) et surtout
Hélène d’Egypte, le si difficile rôle de Ménélas, qui lui ouvrit
ensuite les portes de Vienne et de Berlin…
Meilleur chanteur wagnérien, Siegfried légendaire, Max Lorenz fut
ensuite applaudi à Salzbourg, encore acclamé dans des rôles de
compositions, et aussi dans l’Otello de Verdi… Le ténor James King,
qu’il considérait comme un fils, recueille ses conseils… Il meurt
seul et amer, le 11 janvier 1975.

L’éditeur
Medici arts publie à partir du 22 janvier 2009, en double coffret 1 cd
+ 1 dvd, un hommage au ténor légendaire Max Lorenz (1901-1975), modèle
du chant wagnérien, interprète légendaire de Tristan, Siegfried, mais
aussi Otello de Verdi… « Max Lorenz, Wagner’s Mastersinger, Siegfried d’Hitler », éditions Medici arts (1 dvd + 1 cd). La chaîne Histoire a diffusé ce remarquable documentaire portrait en décembre 2008

Illustration: Max Lorenz (DR). Wilhelm Furtwängler et Heinz Tietjen à
Bayreuth. Max Lorenz a chanté sous la baguette du premier, a
perfectionné son jeu d’acteur et sa présence scénique grâce aux
conseils du second (DR)

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