Vénéré, Mayr est plus italien que bavarois; exemple singulier de bel cantiste ardent et raffiné qui incarne cette passion des germaniques pour l’italie, depuis Haendel… très vite, avec la poussée indépendentiste du Risorgimento, dès 1845, soit l’année de la mort de Mayr, ses oeuvres sont balayées par celles de Verdi, jeune révolutionnaire engagé dont les opéras sont les emblèmes nouveaux du mouvement social et politique vers l’unité italienne.
Medea est créée à Naples au San Carlo en 1813, juste avant que Rossini ne fasse ses premiers pas (géniaux) sur la scène lyrique, à la demande de Barnaba… L’opéra de Mayr, inspiré d’Euripide, se passe à Corinthe où le roi Créonte organise les noces de sa fille Creuse et de Jason, qui se sépare de son ancienne femme, la magicienne Médée qui lui avait permis de dérober la toison d’or. Mais Egée, le roi d’Athènes auquel était promises Creuse se rapproche de Médée pour faire échouer la nouvelle alliance. Tout le second acte met en scène le dénouement hautement tragique du mélodramma: Médée tuera Creuse en lui offrant une superbe robe empoisonnée; elle tuera aussi les deux enfants qu’elle avait eu de Jason, avant de rejoindre Athènes où Egée qu’elle a aidé à s’enfuir ne lui garantisse sa protection. Jason tente de se tuer mais échoue.
Le succès de l’opéra de Mayr doit beaucoup outre sa partition au livret de Felice Romano, qui signe alors son premier ouvrage avant de travailler avec le génie que l’on sait pour Rossini, Bellini, Verdi. Le Librettiste reprend la construction de la Médée de Cherubini, oeuvre charnière (1797). En apportant au personnage central d’Egée, une nouvelle épaisseur psychologique, Romano renforce la richesse des oppositions; il s’agit ici d’une double trahison: Créuse et Jason en se rapprochant, désavouent les unions préalables, avec respectivement Egée et Médée. D’où l’alliance entre ces deux victimes qui par haine et par vengeance favorisent l’accomplissement de la tragédie finale (assassinat de Créuse, meurtre des enfants de Jason par leur mère Médée.
En 1813, Naples sous tutelle française, applique les canons de l’esthétique hexagonale: recitatifs courts et accompagnatos, abandon du mezzo initial en faveur d’un ténor héroïque et claironnant pour le rôle de Jason (en l’occurence Andrea Nozzari). Conformément au vaste volume du San Carlo et de son orchestre aux effectifs nombreux, Mayr soigne l’orchestration de chaque partition: Rossini puis Bellini s’en souviendront particulièrement; faisant du bel canto, un art lyrique certes favorisant la virtuosité vocale mais préservant aussi le relief et le caractère de l’orchestre.
Dès sa création, Medea in Corinto de Mayr bénéficie aussi de la prestation vocale et dramatique d’Isabella Colbran, diva vedette du San Carlo et bientôt épouse de Rossini. Jusqu’à Norma de Bellini (Scala, 1831), Mayr règne incontestablement sur les scènes européennes, sa Medea incarnant un modèle pour le romantisme italien.
Valeureux et vraisemblables par un jeu jamais outré (facilité à proscrire mais réelle dans ce type de répertoire entre comédie et chant, théâtre et opéra): le Créonte d’Alastair Miles; l’Egée affirmé et tendu du ténor Alek Shrader, surtout la tendre et piquante Créuse de Elena Tsallagova; Ramon Vargas déploie un splendide timbre porté par une ligne jamais en défaut (mais cette hédonisme tenu a-t-il toutes les nuances nécessaires?); plus contradictoire reste la Médée certes dramatiquement engagée de Nadja Michael dont on sait l’implication scénique (précédente Salomé straussienne également au dvd, physiquement aboutie sur la scène de La Scala en mars 2007), mais la voix pose problème (vocalises imprécises et vibrato envahissant, justesse aléatoire); c’est aussi le style qui surjoue; ce portrait féminin assez formidable aurait gagné à plus de subtilité, moins d’acharnement gestique. Il faut dire que la mise en scène de Hans Neunfels est décevante: trop de jeu d’acteurs issu du regietheater, un encombrement là encore gestuel qui pollue constamment la fluidité des airs, et malgré le principe de la galerie surélevée (permettant la lisibilité des intrigues croisées et simultanées), demeure laide, anecdotique, sans aucun souffle. Au choeur (excellent), très souvent sollicité pour les scènes fortes (quand l’armée évoque la mort de Créuse après avoir revêtu la robe empoisonnée offerte par Médée), se joint les solistes (Jason et le couple haineux et vengeur Egée/Médée) en plusieurs tableaux qui doivent être éloquents et sublimes par le tragique, le pathétique et le terrible produits; ici le béton remplace la colonne antique; à force de décalage et d’actualisation, toute l’ampleur tragique néoclassique est perdue. Dommage.
Dans la fosse, Ivor Bolton peine à faire briller une orchestration très détaillée où règnent souvent les bois (clarinette obligée dans les airs de Jason) et la flûte (fruitée, aérienne y compris dans les scènes les plus tragiques). Parfois, la vitalité de l’orchestre (qui regarde du côté de Haydn et de Mozart) dit l’inverse de l’action: des développements aimables et gracieux qui méritaient approche et compréhensions plus ciselées.
Giovanni Simone Mayr: Medea in Corintho, 1813. Livret de Felice Romano. Alastair Milnes (Creonte), Alek Shrader (Egeo), Nadja Michael (Medea), Ramon V
argas (jason), Elena Tsallagova (Creusa)… Bayerisches Staatsorchester. Ivor Bolton, direction. Hans Neuenfels, mise en scène. Enregistré à l’Opéra national de Munich en juin 2010. 2 dvd Arthaus Musik