Michel Tabachnik,
chef d’orchestre
Autour du
Sacre du Printemps
Stravinsky, 1913
Paris, Cité de la musique
Jeudi 26 février 2009 à 20h
Anton Webern: Cinq Pièces op. 10
Alban Berg: Altenberg Lieder
Claude Debussy: Jeux
Igor Stravinski: Le Sacre du printemps
Brussels Philharmonic – The Orchestra of Flanders
Michel Tabachnik, direction
Christiane Iven soprano
Le 29 mai 1913, dans le nouveau Théâtre des Champs-Élysées, a lieu la
première du Sacre du printemps, sous la direction de Pierre Monteux. Le
concert en création se termine en scandale retentissant. Le choc est
tel que la houle saisit le public: opposant comme toujours, les
partisans de l’avant garde aux plus conservateurs.
Mais le public sifflait-il réellement la musique? Pas si sûr. Car,
chauffé par la chorégraphie précédente de Jeux de Debussy (dont le
sujet était une partie de tennis), dans la conception de Nijinsky, le
public siffla comme jamais, les « débordements » lubriques du Sacre,
partition païenne, d’une sauvagerie provocante et hideuse. Jeux avait préalablement choqué par ses absences de contours, ces flottements et ses vapeurs en perpétuelle métamorphose…
La musique la plus pertinente, celle qui fait avancer l’écriture et la
pensée esthétique provoque de vives réactions. Aux côtés du Sacre et de
Jeux, les Viennois, dont Berg avec ses Altenberg lieder (créés le 31
mars 1913), suscitent aussi une polémique ardente et fiévreuse. Avec le recul, près de 100 ans après leur création respective, ces oeuvres scandaleuses demeurent les étapes clés de l’histoire de la musique. Le programme de ce concert tend à révéler la force créatrice des fondateurs de la musique moderne: Stravinsky, Debussy, Berg et Webern. Plus qu’une évocation partielle, le sujet du programme exprime la totalité d’un climat artistique décisif, comme en peinture, Picasso et Braque réinventent la modernité par leur système cubiste…
Michel Tabachnik (né le 10 novembre 1942 à Genève) dirige et compose.
L’ex fondateur du Philharmonique de Lorraine à Metz, qui dirigea aussi
à la demande de Pierre Boulez dont il fut l’assistant pendant quatre
années, l’Intercontemporain, oeuvre pour l’éclosion des jeunes
instrumentistes. Il a cofondé ainsi, l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée
en 1984.
C’est un maître des masses, opérant avec une rare précision,
l’équilibre des parties, tout en préservant l’articulation et les
nuances dynamiques.
Comme compositeur, Michel Tabachnik a écrit au moment des célébrations
du Bicentenaire de la Révolution Française, La Légende de Haïsha et Le
Pacte des Onze pour l’Ircam… Depuis 2008, il est directeur musical du
Philharmonique de Bruxelles. Entre 1994 et 2004, il a été impliqué dans
l’affaire scandaleuse de l’ordre du temple solaire, mais blanchi de
toute inculpation. Cette décennie a jeté sur sa carrière une ombre
dépréciative qui s’est traduit par l’annulation de tous ses engagements
comme chef et de toute commande comme compositeur. Un flottement où la
réflexion et le recul nécessaire ont davantage aiguisé la démarche de
l’homme et de l’interprète face à l’existence et au choix des
répertoires.
Le musicien vient d’éditer un texte magistral (De la musique avant
toute chose, chez Buchet-Chastel), où l’esthète et le penseur
reviennent à ses premières amours, l’art et la philosophie. Inspiré par
5 oeuvres capitales du XXème siècle (dont évidemment le Sacre du
printemps de Stravinsky), le musicien précise sa conception vivante du
pouvoir de la musique comme force d’émerveillement et de posture
critique. Celui qui travailla avec Boulez, reste admiratif de Xenakis,
Boulez (évidemment, les deux compositeurs ont poussé leur travail jusqu’aux ultimes
limites de l’atonalité), mais aussi Berio et Stockhausen…
Synthétique, l’homme se révèle dans des digressions apparentes qui en
définitive dévoile la cohérence d’un regard et d’une écoute qui aiment
tisser d’éloquentes correspondances. Ainsi le chapitre sur Pierre Boulez, met-il
en aimantation, l’atonalité, l’abstraction picturale et la notion
d’inconscient chez Freud…
L’observateur des mondes sonores est aussi humaniste: il décrypte
l’évolution de la pensée musicale de Bach à Strauss. Le passage de la
tonalité à l’atonalité est redevable d’un changement de rapport: de
l’homme à Dieu et à la transcendance, puis de l’homme à lui-même avec
l’essor du sentiment et de la psyché… En artiste engagé, percutant,
exigent et généreux, Michel Tabachnik rêve aujourd’hui, d’une musique scandaleuse et
révolutionnaire qui replace la pensée musicale en accord et en avance
sur la marche de l’histoire. Le choix d’un cycle autour du choc
esthétique et musical du Sacre du Printemps de Stravinsky n’est donc
pas fortuit.
Le concert du 26 février 2009 à la Cité de la musique est l’occasion de
mesurer l’art de l’architecte, orfèvre dans la ciselure malgré
l’ampleur de la masse orchestrale. C’est aussi le révélateur des timbres
mêlés, capable en analyste, de détailler sans diluer la tension.
Concert majeur.
Coproduction Cité de la musique, Brussels Philharmonic
Illustrations: Michel Tabachnik (DR)