vendredi 9 mai 2025

Molière et Lully, Le Bourgeois Gentilhomme (1670)Arte, les 4 et 11 mars 2007 à 9h30

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Molière & Lully
Le Bourgeois Gentilhomme

Comédie-ballet, 1670

(Câble, satellite, TNT)

Le 4 mars 2007 à 9h30,
première partie.
Le 11 mars 2007 à 9h30,
seconde partie.

Les deux premiers dimanches de mars 2007, Arte rediffuse (après le 9 octobre 2005), une production miraculeuse, celle du duo Dumestre/Lazar, qui revisite avec délices, la comédie-ballet de Molière et Lully, Le Bourgeois Gentilhomme que l’on peut légitimement considérer comme un laboratoire musical et théâtral qui prépare au futur opéra français à venir, la tragédie lyrique (1673).

L’oeuvre
Lors de sa « création parisienne », au théâtre du Trianon, le 10 novembre 2004, nous avions été saisi par la puissance expressive, la féerie et l’acuité du délire comique du spectacle. La tournée qui a suivi a suscité un enthousiasme unanime, auquel la publication en dvd qui nous occupe ici, a donné raison.
Devant la caméra de Martin Fraudeau, la magie du théâtre baroque se révèle. Lueur intermittente des bougies, ombres portées sur les décors ciselés au motif de l’arabesque (lire ci après); déclamation mi parlé mi chantée des acteurs, dans tous les registres: comique, sérieux, tragique, amoureux; la force de l’opéra français, à ses balbutiements, qui ne porte pas encore son nom, jaillit ici avec une intensité première, grâce au collectif des comédiens, chanteurs, danseurs, instrumentistes, réuni par le chef Vincent Dumestre.

Une esthétique jubilatoire
du caractère et de l’arabesque


Caractère à la manière d’un Labruyère, et même contrastes dans la drôlerie la plus délirante : Molière, expert du psychologique et du comique de situation, nous offre dans ce « Bourgeois », l’une de ses galeries de portraits les plus saisissants. Il cisèle avec dextérité les registres du bouffon, du truculent, de la satire aussi. La troupe des acteurs est d’une rare cohérence, communiquant sans s’épargner l’esprit du théâtre comique le plus endiablé. Ce Bourgeois « falstaffien » est le dindon de la farce, le mouton d’une duperie qui va fortissimo : depuis les scènes où chacun de ses professeurs (de danse et de musique, maître d’arme et professeur de philosophie, puis maître tailleur, véritable caricature charge de la créature poudrée Versaillaise) surenchérissent dans la dérision comique jusqu’à ce sommet du délire facétieux : l’intronisation de Monsieur Jourdain en « mamamouchi ». Mais Molière sait aussi atténuer la satire : il ajoute cette naïveté désarmante qui rend son héros comique, si sympathique. Ce dont joue avec tact, Olivier Martin Salvan dans le rôle-titre. La musique de Lully quant à elle, parachève les coups brossés de son complice Molière. Elle renforce l’acuité drolatique de cette sublime bouffonnerie.

Arabesques de la langue
A l’appui des caractères de la scène, le style des acteurs et des décors ajoutent leur contribution à la valeur du spectacle. On ne saurait être ici indifférent à la langue des acteurs. Contours et détours presque ensorcelants d’une langue théâtrale restituée/recréée : contournements chantants et précieux d’une déclamation parlée diphtonguée qui manie consonnes et voyelles, projetées et toutes dites, avec une savoureuse créativité… (Madame Jourdain, tenue par un comédien visiblement « habité » par ce travestissement fidèle à l’époque)… preuve que les tentatives du chercheur linguiste Eugène Green ne sont pas demeurées lettres mortes. Le metteur en scène de ce Bourgeois hors normes, Benjamin Lazar, est lui-même l’élève de Green. Il nous reste à l’esprit le souvenir où le « maître ès français baroque », avait produit à l’occasion d’un premier « mai baroque à Paris », Corneille au théâtre de l’épée de bois à la Cartoucherie de Vincennes, dans les éclairages d’époque (là aussi des bougies par dizaine) et dans une approche nouvelle de l’articulation des textes. Cette diction opérante qui n’a jamais l’arrogance de la reconstitution savante, fait s’écouler le texte de Molière avec une prodigieuse vivacité : sur scène, elle électrise littéralement l’action dramatique et dépoussière les ressorts du comique de chacun des dialogues. Preuve nous est donnée que le théâtre du Grand Siècle n’est pas une récitation morte. Et son « actualité » nous touche tant, dans maints détails de cette scène d’humanité grotesque et « ridicule » (si l’on reprend le registre réclamé par le Roi lors de sa commande à Molière et Lully), qu’on ne cesse de reconnaître tout au long de cette « comédie-ballet » de 1670, que leurs auteurs accordés, préludant aux grands duos de la scène à venir, Mozart et Da Ponte, Strauss et Hofmannsthal, n’ont jamais rien conçu, de plus juste ni de plus intelligent.

Arabesques des silhouettes et des décors

Arabesques aussi, dans la mise en scène, des gestes et attitudes, toutes puisées à la seule source que nous a transmis l’époque de Molière : les peintures du XVIIème siècle. Rhétorique du geste autant que des regards qui d’autant plus « agissants », sont accentués par cet éclairage de lanterne magique : la rampe symbolique que constitue la rangée des bougies allumées pendant les presque quatre heures de représentation, évoque le cabinet féerique de notre enfance, la boîte aux illusions et aux métamorphoses qui a ce pouvoir fascinant de nous transposer, comme par enchantement, sur la scène baroque.
Arabesques contournées enfin, des vantaux décoratifs formant le cadre de l’action : à la manière des cabinets du XVII ème, meubles à transformation contenant toujours un secret mécanisme, la scène du Bourgeois est un espace clos et raffiné où à la lueurs des bougies, paraissent les figures-acteurs dans cet écrin précieux, couvert de figures d’écailles et de laiton cuivré enroulées de palmes et d’acanthes, à la façon d’André Charles Boule, maître de la marqueterie luxueuse, celle qu’affectionnera tant Louis XIV pour Versailles.

La mise en scène de Benjamin Lazar est limpide. Elle est à la mesure de son jeu d’acteur : il campe un maître de Philosophie d’une très efficace finesse et d’une vivacité désopilante, en particulier dans la scène où il s’agit d’arranger le poème de Monsieur Jourdain : « Belle Marquise… ». D’un foisonnement de scènes cocasses et survoltées, d’une ivresse délirante inouïe, Lazar sait doser et conduire la tension jusqu’à son acmé : la cérémonie turque, préambule bouffon d’une totale fantaisie préparant lui-même au Ballet des nations dont Lully fait une surenchère musicale conclusive (jubilatoires « première et troisième entrées » : qu’il s’agisse de l’essaim des fâcheux qui se disputent les livres du distributeur, ou des pas cadencés « des Espagnols », la magie du théâtre opère avec plénitude).

Des interprètes magiciens
pour une œuvre délirante


Ce qui est assurément satisfaisant, c’est l’esprit de la troupe. Porté par un collectif de comédiens-acteurs-chanteurs-danseurs absolument confondants, et dans la saveur burlesque et dans le pastoralisme sensuel et langoureux, le chef d’orchestre, ailleurs directeur du Poème Harmonique (fondé en 1997), Vincent Dumestre, met ici à profit les fruits de ses recherches gravées au disque chez le label Alpha : il nous délecte de son art de l’articulation de ce «français Grand Siècle » dont, si nous n’en ne possédons pas l’exacte connaissance, du moins en avons-nous comme moteur stimulant, une indéfectible nostalgie. Dumestre, maître des dosages de timbres instrumentaux, excellent « diseur de ballets », qui en exprime les rythmes et les accents comme personne, ajoute à l’ouvrage, ce supplément d’âme indicible qui recrée littéralement ce prodigieux laboratoire esthétique : « comédie-ballet », au carrefour de milles registres et d’innombrables formes, jetés là comme de géniales esquisses : de la danse et du chant, de la farce comique et de l’élégie amoureuse, tout s’exalte et produit une forme en devenir, un « work in progress », stupéfiant de vitalité et de cynique vérité où ce Bourgeois aux prétentions nobiliaires, est plus émouvant que détestable.

Le chant n’a pas encore la part belle, l’exemple de la tragédie antique, point encore la primauté sur tout autre sujet : Lully structurera tout cela, trois ans plus tard, en 1673, avec Cadmus et Hermione, première tragédie lyrique de l’Histoire. Ici, on écoute avec ferveur cette science dans la tenue des danses, dans l’équilibre des parties, dans l’acuité des rebonds rythmiques (la marche turque est d’une souveraine netteté). On sent bien que rien n’est laissé au hasard mais tout coule de source. Chaque gestuelle a été soigneusement réglée par Cécile Roussat.

Cette indiscutable production nous fait partager le sentiment inestimable d’assister, – comme Louis XIV, alors jeune monarque fougueux et ardent, tout occupé à la jouissance de ses plaisirs -, à la naissance d’un divertissement de grand style, libre dans sa forme, prodigue par ses effets, conçu par un duo échevelé, les « deux Baptistes » dont la collaboration bien que d’une issue malheureuse, et même fatale pour l’un deux, allait engendrer l’opéra Français à Versailles.

Distribution

Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet de Molière et Jean-Baptiste Lully. Mise en scène : Benjamin Lazar. Chorégraphie : Cécile Roussat. Comédiens : Olivier Martin Salvan, Monsieur Jourdain. Nicolas Vial, Madame Jourdain. Louise Moaty, Lucile. Benjamin Lazar, Cléonte/ le maître de philosophie. Anne Guersande Ledoux, Dorimène. Lorenzo Charoy, Dorante/ le maître d’armes. Alexandra Rübner, Nicole/ le maître de musique. Jean-Denis Monory, Covielle/ le maître tailleur. Julien Lubek, Le maître à danser. Chanteurs : Arnaud Marzorati, le Mufti/ le vieux bourgeois babillard/ l’élève. Claire Lefilliâtre, la musicienne/ la femme du bel-air/ l’Italienne. François-Nicolas Geslot, le premier musicien/ la vieille bourgeoise babillarde/ un Espagnol/ un Poitevin. Serge Goubioud, un Gascon/ un Poitevin/ un chanteur. Lisandro Nessis, un Espagnol/ un Gascon/ un chanteur. Bernard Arrieta, un Espagnol/ l’homme du bel-air/ un chanteur. Arnaud Richard, l’Italien/ le Suisse. Orchestre Musica Florea. Direction musicale : Vincent Dumestre.

Discographie

En complément du dvd, vous pourrez vous reporter, côté disque, sur une gravure « historique » et pionnière (1988), couplée avec « L’Europe Galante » de Campra, (Orchestre de la Petite Bande, direction : Gustav Leonhardt chez Deutsche harmonia mundi). Cette version pourtant ancienne a toutes nos préférences : sa patine n’a pas perdu de sa sublime nostalgie poétique (grâce entre autres, à Rachel Yakar qui y distille une leçon d’articulation et de style. Splendide !)

Approfondir

Visitez le site de la production du Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully par Vincent Dumestre.

Crédits photographiques :
(1) : © Pascal Victoir
(2) : © Robin Davies
(3) : © Pascal Victor

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