jeudi 24 avril 2025

Monteverdi: Vespro della Beata Vergina (Mencoboni, 2009) 2 cd E Lucevan le stelle

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Voilà une lecture qui pourrait bien changer en profondeur et de façon définitive notre approche du Vespro Montéverdien. La lecture de Marco Mencoboni bouscule toutes les habitudes et traditions ici et là reprises par les baroqueux jusque là écoutés, de Christie (bien dépassé) à Garrido, sans omettre Savall ou les anglosaxons, Robert King et les plus récents dont Christina Pluhar (pas aussi fabuleusement expérimentale). En italien fervent et défricheur, Marco Mencoboni suscitera la polémique: en s’appuyant sur les manuscrit bolonais désormais réinvestis, le chef fondateur de Cantar Lontano, « ose », perturbe, bouleverse la donne interprétative. Son aisance et sa furià italienne que certains dénommeront hystérie sauvage et blasphématoire, engage une réévaluation du manuscrit. En dévoilant tout ce qui fait de Monteverdi un architecte de l’espace et déjà un baroque épanoui, Marco Mencoboni marque l’interprétation de l’oeuvre. Son travail sur les tempi, l’étagement des parties lié à la restitution in situ de la spatialité éclatée de l’oeuvre dans le lieu où elle a été probablement jouée à Mantoue (les tribunes de la Basilique San Bernaba), ce très juste équilibre entre oraison collective et piété recueillie, tout ce qui relève de l’intimité du croyant comme de l’ivresse solennelle, entre écriture liturgique traditionnelle et théâtralité libérée de nouveau style… apparaissent ici avec une acuité variée, d’une intelligence remarquable.

Les Vêpres miraculeuses de Marco Mencoboni

On remarquait l’essoufflement de la pratique baroqueuse. Marco Mencoboni marque l’horizon d’une pierre blanche: jamais les Vêpres n’ont sonné plus somptueuses, sensuelles, monumentales, et aussi humaines (l’intégration des antiphonaires souligne cette humanisation du portique musical, rétablissant malgré ses vertigineuses perspectives, sa nature essentiellement incarnée).

On aime en particulier la violence déclamée et très engagée du Dixit Dominus: incarnation collective, où les masses savent articuler le texte d’une énergie superlative, où les accents déchirants des solistes élèvent encore l’exaltation de la ferveur. C’est une nuée ardente, furieusement investie qui semble descendre des cieux: l’acoustique accuse la dilatation chorale, l’impétuosité générale, une réverbération pas toujours claire (choeur angélique des sopranos de la Sonata sopra Sancta Maria, couvert par les cuivres trop mis en avant), mais l’architecture de la vision s’éclaircit d’une magistrale manière, restituant au Vespro, sa force humaine, son cri collectif qui convoque les compositions monumentales de Tintoret, et la sensibilité individuelle d’un Titien. L’oeuvre souligne un cap essentiel dans l’esthétique européenne: le chef sait nous en exprimer le coeur audacieux, la charge nouvelle, le souffle visionnaire.

Le Nisi Dominus gagne aussi une teinte exclamative surprenante: le concours du choeur, des solistes, des cuivres accorde fastes et prière. Dommage que la prise de son perde une partie des pupitres … pour autant rétablir ce bain sonore tel que les auditeurs à Mantoue en étaient spectateurs en décembre 2009, relève d’un défi technique quasi insurmontable. Le document malgré ses imperfections en matière d’enregistrement (en aucune manière s’agissant de l’interprétation) offre déjà une performance sonore remarquable, éclairant les vertus de la polychoralité dans l’écriture de Monteverdi… qui décidément était fait pour diriger à San Marco de Venise (3 années après avoir écrit ce Vespro décisif). Tout le cycle du Vespro montre plus que la modernité de Monteverdi, sa préscience du baroque à venir: la partition est un retable aux proportions et à l’esthétique jamais entendues auparavant. La voûte de San barbara à Mantoue restitue la dimension supraterrestre de la musique, son amplititude prophétique, sa spatialité colossale. Véritable architecte, Marco Mencoboni, en exprimant les écarts et contrastes des intonations et tempi dès le Dixit Dominus, sait en recueillir la sève expérimentale, la jubilation vocale, chorale et instrumentale (les options des tempi et le rapport des parties choeur, cordes, cuivres de la Sonata sopra Sancta Maria nous paraissent géniales de ce point de vue: tout est ici récapitulé, des siècles romans et gothiques, du raffinement de la Renaissance, toute l’aspiration religieuse à la verticalité immatérielle est remarquablement restituée: Monteverdi a écrit un sommet de la musique céleste et des sphères, qui annonce déjà toute la science des perspectives illusionnistes de la peinture baroque… remercions Marco Mencoboni de nous la faire entendre dans une approche qui ne peut que susciter l’admiration.

Autant dire que nous trouvons la lecture de Marco Mencoboni, neuve, cohérente, d’une tenue captivante. Sa latinità exaltée évite le théâtre comme la préciosité désincarnée. Ecoutez le Nigra Sum d’une sensualité jamais décorative; sommet supérieur encore atteint avec le duo féminin du Pulchra es, d’une lévitation superlative. Evidemment, l’enregistrement capté live dans la Basilique mantouane ajoute à la vérité du document, mais la juste intonation des deux solistes écarte toute réserve. Impression attestée lors du concert inaugural du Festival d’Ambronay 2010 où Marco Mencoboni jouait dans l’Abbatiale sa formidable version.

Audi Coelum qui conclue le cd1, confirme la validité de la scansion lente et solennelle, (quand d’autres la jouent vive et précipitée) de la section qui suit l’imprécation du ténor « Omnes »… marche de sérénité dans le sein miséricordieux et protecteur de la Vierge (la Vierge de Miséricorde est un emblème familier de la peinture sacrée de la Renaissance): l’image sonore est opulente et le tableau choral/vocal d’une indiscutable grandeur baroque, jouant là encore des vertus somptueuses de la spatialité, sous la voûte de la Basilique Santa Barbara de Mantoue. Plénitude dont les horizons radieux et grandioses inscrivent tout le cycle dans une modernité qui souligne l’oeuvre du Monteverdi visionnaire et futuriste.

Accomplissement de cette architecture humaine fervente, le Magnificat nous place d’emblée dans l’opulence et surtout dans l’enchantement sacré (avec le concours du choeur d’enfants et la lumière des flûtes… ): tout concourt à cette réalité nouvelle, un chant, un geste d’une sincérité immédiate qui touche immédiatement car tout est sans affectation ni démonstration. La suractivité des interprètes n’empêche pas au mystère de surgir et de nous saisir (Esurientes: à 9’14 de la plage 6 du cd)…

La vie submerge à chaque section de cette lecture singulière. Sa justesse musicienne fait sa valeur. Il est certain que l’on n’écoutera plus de la même façon les Vêpres de Monteverdi, après l’apport de Marco Mencoboni. Chapeau maestro!

Enregistrement réalisé les 3-4 décembre 2009
à Mantoue (San Barnaba).
8 029582 123275.
E Lucevan Le Stelle. Distribué à partir d’avril 2011 par Intégral.

approfondir
L’équipe de classiquenews.tv était présente lors du concert mémorable des Vêpres de Monteverdi par Marco Mencoboni, présenté en ouverture du festival d’Ambronay 2010. Voir notre reportage vidéo Vespro de Monteverdi par Marco Mencoboni (Festival d’Ambronay 2010):

Ambronay 2010.
Marco Mencoboni. Pour son premier concert dans l’Abbatiale, le festival
d’Ambronay 2010 accueille une nouvelle version des Vêpres de
Monteverdi. La vision de Marco Mencoboni
dont la
compréhension nouvelle s’appuie sur une travail de recherche scrupuleux, bouleverse la compréhension de la
partition sacrée…

Visiter aussi le site du label E lucevan le stelle records

Illustration: Marco Mencoboni (DR)
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