mercredi 23 avril 2025

Musicades, « El Cant dells ocells » . Lyon, Salle Molière. Mardi 18 septembre 2007. Concert Debussy, Wolf, Gerhard, Schumann.

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Oriane et les yeux pervenche
Il existe déjà une grande tradition de l’histoire des Musicades, et la tradition, quand elle évite les tentations de la sclérose, oscille entre mémoire active et bonheur de « reconnaître » une culture, des accents inimitables. Le Temps Perdu s’y fait parfois Temps Retrouvé. Pour le 4e concert de la session 2007, il y a même clins d’œil et d’oreille amusés, quand arrive sur scène l’admirable violoniste Marie Charvet : la stature et le port altier, la poétique du comportement élégant évoquent une Duchesse de Guermantes qui aurait échangé son statut de « belle écouteuse » pour venir (re)créer une Sonate de Debussy en compagnie de son non moins admirable complice, le pianiste Josep Colom. (On l’imagine, une telle artiste ne peut qu’avoir les yeux bleus – pervenche – d’Oriane, et l’après-concert permettra de vérifier la justesse de l’intuition.) Pour la Sonate: coulées fluides d’un son de violon qui exalte le chant, carillons sombres du piano, grillons pré-bartokiens, pirouettes au bord de l’abîme, vertige virgulé de la coda, tout est là, neuf, comme en une première audition dans un salon des années quatorze.

Soleil d’Italie et d’Espagne

Puis une sérénade « italienne » de Hugo Wolf (W.Rademacher, G.Radivo, W.Talirz, F.Gouton) nous ensoleille, sauf qu’on y perçoit ce toujours un-peu-grinçant qui murmure la douleur d’être-au-monde chez le compositeur allemand…Les Kandinsky ( C.Bolsi, A.Lacruz, E.Brugalla) font découvrir les séductions d’un Trio (1918) de l’Espagnol Robert Gerhard : ce compositeur encore bien mal connu ici, outre la sympathie que nous inspire son parcours d’opposant à la dictature franquiste, témoigne de qualités hautement harmonieuses. Son kaléidoscope de paysages nous arrive par delà collines et montagnes, folklore de partout alentour qui ne dissimule guère son regard ému vers le citoyen de Ciboure et renvoie les échos du Pantoum de Ravel en son Trio. On aimerait connaître la période ultérieure de Gerhard, schoenbergienne et moderniste. Puis comme à chaque concert de ces Musicades dédiées à la Catalogne, on écoute une nouvelle version du « cant dells ocells », tendrement écrite pour le piano et le violoncelle par Narcis Bonet.

Un sublime Quintette

Et voici venu le temps des retrouvailles avec la haute époque des Musicades, un Quintette de Schumann où Giovanni Radivo, Bruno Pasquier et Francis Gouton se joignent au duo de la Sonate debussyste. Cet opus 44 était, on le sait, mal aimé des « musiciens de l’avenir » ; et si le grand Franz (Liszt) y suspectait l’odore academica di Leipzig, sans doute eût-il mieux évité cette regrettable sottise s’il l’avait écouté avec ce groupe des Cinq ( aux Musicades), parlant d’une seule voix, frémissant d’un souffle unique. Miraculeusement accordés dans l’énergie lumineuse de l’allegro, ils font descendre aux abîmes de la douleur par la « marcia », sauvée de toute banalité dans la fonction sociale du funèbre. Le mouvement lent balance dialectiquement entre le sacré de la mort manifestée et le pouvoir d’une berceuse contre cette mort, puis le frisson tragique d’une chevauchée dans l’espace solitaire. Certains croient que le scherzo ne serait qu’affaire de gammes impeccables au long du clavier : avec les Cinq revient un Liszt diabolique, devenu co-auteur d’une Mephisto-Danse inédite. Et tout est prêt pour l’énergie, exorcisme contrapuntique des ombres maléfiques, dans un Finale d’ivresse maîtrisée. Un seul bloc, un seul corps sonore, et si cela existe, une seule âme : il faut que les Musicades lyonnaises refleurissent ainsi en leur propre image, audacieuse, unanime et chaleureuse. Et ce concert-là, de si bon augure pour les saisons à venir, y aura beaucoup aidé.

Festival Les Musicades. Lyon, Salle Molière, mardi 18 septembre 2007. Claude Debussy
(1862-1918), Sonate violoncelle et piano : Marie Charvet, Josep Colom.
Hugo Wolf (1860-1903) Sérénade pour quatuor à cordes : Winfried
Rademacher
et Giovanni Radivo, violons. Wolfgang Talirz, alto. Francis Gouton, violoncelle. Robert Gehrard (1896-1970), Trio : Corrado
Bolsi
, violon. Amparo Lacruz, violoncelle. Emili Brugalla, piano.
Robert Schumann (1810-1856) , Quintette op. 44. Marie Charvet et
Giovanni Radivo, violons. Josep Colom, piano. Bruno Pasquier, alto.
Francis Gouton, violoncelle.

Crédit photographique
Marie Charvet, violon © Arthur Pèquin

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