vendredi 25 avril 2025

Nice. Acropolis, le 15 janvier 2010. Wagner: Parsifal. Orchestre Philharmonique de Nice. Philippe Auguin, direction. Roland Aeschlimann, mise en scène

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Opéra du Graal

Tout le miracle du Vendredi Saint en son enchantement saisissant au III est ici remarquablement restitué grâce à l’intelligence visuelle de la mise en scène défendue par le suisse Roland Aeschlimann: une production passionnante qui s’impose du début à la fin par sa cohérence et ses options référentielles. Créée en 2004 à Genève, la performance s’impose indiscutablement 5 ans après. Nice reçoit donc un spectacle qui en son temps avait marqué les esprits. Avec raisons.
A l’heure où beaucoup, confrontés aux mises en scène « indignes » regrettent soit les décalages dénaturant soit les lectures décoratives, voici une approche lumineuse qui soigne ses images, cisèle ses lumières, offre -enfin- une vision très claire et progressive du « festival sacré » dont a rêvé Wagner à Bayreuth.

Roland Aeschlimann se concentre sur le sens primordial du Graal: aboutissement de la quête des chevaliers mais aussi pour celui qui sait en contempler et comprendre le symbole, état d’une conscience supérieure qui comme chez Parsifal (jeune et nouveau témoin), se trouve soudainement saisi par la révélation si chère à Wagner: vanité et poison du désir, barbarie destructrice de la volonté de pouvoir…
Victime édifiante du désir, Amfortas dont la plaie continuelle dit cette impuissance à servir l’idéal qu’il a désormais bafoué, non sans culpabilité. Proie non moins éclairante aussi, Klingsor, lequel ayant renoncé à tout amour (après s’être mutilé), est possédé par une ambition dévorante, celle du pouvoir total: après avoir dérobé (à Amfortas), la Sainte Lance, il ne cesse de diminuer le pouvoir des Chevaliers, pour conquérir la Sainte Coupe, c’est à dire le Graal lui-même.
Quand paraît Parsifal, la lutte entre les forces rivales est à son comble et dès le début, Gurnemaz (magnifique Kurt Rydl) exprime la déroute et l’agonie d’une confrérie qui ne sait plus servir son idéal. Au I, le dévoilement de la Coupe qui permet aux Chevaliers de refonde leur unité et leur croyance, se trouve amoindri par un officiant (Amfortas) rongé par la faute qu’il a commise.

Avant la réussite du III, où ce sont plusieurs statues de Bouddha qui incarnent la réalisation complète du rituel, l’acte II est pour nous, le sommet de cette production.
On y voit avec tact et économie, la bascule dramatique, en particulier au moment où quand Kundry, « rose d’enfer », séduit le pur innocent, Parsifal. Le baiser que l’enchanteresse vénéneuse donne au jeune homme, suscite chez ce dernier une révélation par réaction: contrairement à l’effet escompté, l’étreinte produit chez lui, un électrochoc. Parsifal comprend la souffrance d’Amfortas. Il décèle la séduction pernicieuse de Kundry: il voit les forces ténébreuses dont la sirène est l’agent opérant.

La production niçoise bénéficie d’une chanteuse exceptionnelle, Elena Zhidkova (photo ci-contre) voix veloutée et miellée, à la diction souple et hypnotique. L’interprète n’exprime pas seulement la magie séductrice de la femme, elle en dit aussi toute l’ambiguïté essentielle. Kundry est elle-même dévorée par la magie noire de Klingsor qu’elle doit servir. Si elle a su séduire Amfortas pour lui dérober la Lance, elle a conscience de sa faute et la confrontation avec Parsifal, après le tableau visuellement très réussi des filles fleurs, est un moment crucial de l’opéra qui est réalisé avec une force saisissante.
Les éléments du décor renforce davantage la progression dramatique qui est en jeu: une énorme lance traverse la scène. C’est évidemment le tribut dérobé aux Chevaliers par Klingsor, l’emblème du pouvoir de ce dernier. Puis, au moment des filles fleurs, le dard devient pointe vénéneuse décoché vers Parsifal, ce nouveau Chevalier que les sirènes doivent envoûter pour le perdre. Enfin, quand à la fin de l’acte, Klingsor paraît, la flèche bascule à la faveur du Pur et inflexible Parsifal, nouveau vainqueur, grâce auquel le sentiment d’amour et de compassion peuvent enfin s’affirmer et conduire à l’Enchantement du III.

Tout cela est magnifiquement dévoilé, mettant en lumière, et le noeud des situations et confrontations psychologiques, et la progression des tableaux qui visuellement, grâce aux éclairages et aux machineries, font de Parsifal, certes un opéra mystique, surtout une scène de pure magie. En de nombreux endroits de l’action, en particulier pour les intermèdes symphoniques, Roland Aeschlimann verse dans l’oratorio et la scène est voilée par un immense aplat de couleur (bleu azuréen), insistant davantage sur les états spirituels et abstraits (ceux vécus pas à pas par Parsifal pendant l’ouvrage).

A Nice, la production prend son ampleur convaincante sur les planches de l’Acropolis, vaste auditorium qui en permet le dévoilement scènique. Piliers de la réussite pour cette reprise attendue et mémorable, la Kundry de Elena Zhidkova et le Gurnemanz de Kurt Rydl. Leurs partenaires défendent avec engagement mais dans une moindre mesure, chacun de leur rôle. On regrette par exemple le chant un peu droit et sommaire de Parsifal (Gary Lehman), comme l’Amfortas qui manque de trouble et de vertige humain, surtout au I, du finlandais Jukka Rasilainen. Mais ces infimes réserves n’entachent pas la réussite époustouflante de cette production que Paris n’a pas su accueillir.
Dans la fosse, le chef Philippe Auguin veille aux couleurs et au continuum dramatique de l’opéra, soulignant tout ce que fait de Parsifal plus un oratorio spirituelle qu’une action anecdotique.

Il s’agit évidemment d’une lecture wagnérienne parmi les plus marquantes de ces dernières années. Avec l’approche de Tristan und Isolde par Olivier Py, offerte récemment par Angers Nantes Opéra (en mai 2009). Et qui venait elle aussi, du Grand Théâtre de Genève (créée en février 2005 sous la baguette d’Armin Jordan). Saluons l’Opéra de Nice d’avoir su discerner les qualités de cette production exemplaire. Surtout de la proposer aux Niçois et à tous les spectateurs du territoire, dans une salle aussi vaste, vers un très large public, sur deux dates.

Nice. Acropolis. Le 15 janvier 2010. Richard Wagner (1813-1883): Parsifal (1882). Bühnenweihfestspiel en 3 actes, créé à Bayreuth, au Festspielhaus, le 26 juillet 1882. Parsifal: Gary Lehman. Kundry, Elena Zhidkova. Amfortas, Jukka Rasilainen. Gurnemanz, Kurt Rydl. Klingsor, Peter Sidhom. Titurel, Victor von Halem. Quatre écuyers, Caroline Mutel, Marie Gautrot, William van der Heyden, Antoine Normand. Six Filles-fleurs de Klingsor, Barbara Ducret, Stéphanie Loris, Marie Gautrot, Catherine Hunold, Caroline Mutel, Lucie Roche. Choeur de l’Opéra de Nice. Choeur d’enfants de l’Opéra de Nice. Orchestre Philharmonique de Nice. Philippe Auguin, direction. Mise en scène et décors: Roland Aeschlimann. Costumes: Susanne Raschig. Éclairages: Lukas Kaltenbäck. Chorégraphie: Lucinda Childs.

Lire aussi notre dossier spécial Parsifal de Richard Wagner.

Illustration: Parsifal par Roland Aeschliman. Acte II. Le rapport des forces du Bien et du mal s’inverse: Parsifal fait basculer l’immense lance, emblème du pouvoir de Klingsor, souverain impuissant en son royaume…

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