Préférer la nuance à la puissance
L’attente se focalise outre sur le visage fragile et humain de la soprano Patricia Ciofi, (dont on garde en mémoire sa crépusculaire Lucia di Lammermoor de Bellini également à Orange en 2006), intérieure, délicate, chambriste, qui n’en est plus à sa première ‘ »dévoyée » (Traviata), surtout sur le ténor dont on parle, Vittorio Grigolo (32 ans). Né à Arezzo en 1977, le chanteur possède une voix certes, un visuel plaisant; pour autant a-t-il le tempérament nécessaire digne d’un futur grand de l’opéra? L’ex petit chanteur de la Sixtine, qui a été formé dans une école française de Rome, a pu aussi avant son décès en septembre 2007, apprendre auprès du grand Luciano Pavarotti, en particulier travailler le rôle de Rodolfo pour triompher ensuite en 2007 sur la scène de l’opéra de Washington. Mais le timbre clair et l’abattage fluide du ténor en vogue s’est aussi imposé dans le rôle d’Alfredo également en 2007, auprès de… Angela Gheorghiu, rien de moins. Souvenez vous aussi, Arte avait diffusé en direct à à l’antenne et sur internet, le 30 septembre 2008) dans la gare de Zürich une Traviata avec les effectifs de l’opéra local… et dans le rôle d’Alfredo, Vittorio Grigolo chantait le personnage du jeune amant.. Si Grigolo qui vit à Los Angeles s’est taillé une réputation sulfureuse en chanteur crooner, mêlant pop et variété dans un disque déjà décrié par les puristes, il s’agit comme interprète de Verdi, d’un chanteur classique au sens fort du terme. Les deux protagonistes bien que peu puissants, savent compenser par un art de la nuance. Délectable qualité (trop rare) chez Verdi.
Dans une mise en scène très fade et strictement décorative, a-t-elle été uniquement conçue pour le petit écran et la captation cathodique sur France 2 (nous sommes le 15 juillet en direct, de surcroît en prime time…), « la » Ciofi articule, cisèle un chant désormais sur le fil, filigrané, au diapason du coeur, frémissant, bouleversant: pas démonstrative pour un sou, la soprano incarne une Traviata frappée par le destin, amoureuse à en mourir, jamais pathétique, surtout digne et humainement juste. Grigolo sait être son partenaire, avec un art prometteur de la complicité, alliant sensibilité et intelligence: de quoi composer une Traviata intimiste, surtout émotionnelle. Ce qui avait fait le succès de la version cinématographique signée Zeffirelli. Un comble pour Orange dont la démesure favorise les épanchements poussifs et gras, puissants et vociférés. Pour autant la tenue du Philharmonique de Chung devait elle être si distanciée, voire a contrario des deux protagonistes, aussi désincarnée? Voilà une question importante: Chung est-il un chef de fosse? Ecoutez ici ce que fait entendre un certain chef finnois Mikko Franck chez Debussy avec le Philharmonique de Radio France (1 cd Debussy, Mikko Franck, RCA Red Steal, édité à l’été 2009, coup de coeur de la rédaction cd de classiquenews.com).
Mais l’antique théâtre, à l’acoustique époustouflante sait aussi souligner le génie des chanteurs quand ils savent préférer la subtilité à la performance, la nuance au volume. Les deux chanteurs l’ont bien compris. Voilà une production lyrique, côté chanteurs, enfin digne d’Orange.
Giuseppe Verdi: La Traviata. Avec Patrizia Ciofi, Vittorio Grigolo, Marzio Giossi. Frédéric Bélier-Garcia, mise en scène. Choeurs de l’Opéra-Théâtre Avignon, de l’Opéra de Toulon, de l’Opéra de Tours, Ensemble vocal des Chorégies d’Orange, Orchestre philharmonique de Radio France. Myung-Whun Chung, direction.
Illustration: Vittorio Grigolo (DR)