Orchestre des Champs Elysées
Saison 2007 – 2008
Gustav Mahler
Cinq Rückert-lieder, 1901-1902
Anton Bruckner
Symphonie n°5
Christian Gerhaher, baryton
Orchestre des Champs Elysées
Philippe Herreweghe, direction
Paris, Salle Pleyel
Dimanche 17 février 2008 à 16h
Bruxelles, Bozar
Lundi 18 février 2008 à 20h
Amour et lucidité
Après s’être longuement inspiré de l’univers enchanté des Knaben Wunderhorn, à la fois épique et anecdotique, lié aux souvenirs de l’enfance (Wunderhorn-Lieder, Deuxième et Quatrième Symphonies…), Mahler, alors en pleine possession de son langage musical s’intéresse aux poèmes de Friedrich Rückert (1788-1866), au lyrisme sensible, particulièrement délicat, dont le romantisme est habituellement considéré comme l’oeuvre d’un poète « mineur ». Au lieu des marches et des danses précédemment développées, Mahler, sur les traces de Rückert, convoque plutôt l’effusion, la tendresse, la suggestion et le repli. La sensibilité du ton qui se déploie est celle d’un sentiment de plénitude amoureuse, car Mahler qui vient d’épouser depuis quatre mois Alma, exprime de manière extatique et radicale la profondeur ivre de son amour pour sa jeune compagne, c’est aussi en filigrane le constat et les ressentiments d’une dignité affaiblie, d’une tristesse lumineuse, d’un tragique adouci car ici le sentiment de mort et de fin n’est jamais vraiment absent, en dépit des images contemplatives et rêveuses. Sur le plan musical, il est juste de considéré les Rückert-Lieder comme l’un des sommets du lied mahlérien: le compositeur peut d’autant mieux s’adonner à son métier compositionnel qu’il dispose à présent d’un lieu « saint » pour écrire et composer, au milieu du motif naturel: sa maison à Maiernigg et son petit « atelier » ou Häuschen, dans lequel il conçoit son cycle symphonique, comme « isolé du monde », tout en étant au coeur de la Nature, réconfortante, fécondante, objet de pure révélation et d’accomplissement.
1. Ich Atmet einen linden Duft (Je respirai un doux parfum): aucune parole n’est nécessaire entre deux âmes qui s’aiment tendrement, avec douceur
2. Liebst du um Schönheit (Si tu aimes la beauté): en août 1902, Gustav Mahler déclare à sa jeune compagne, Alma, la sincérité de son amour en un hymne libéré de toute entraves. Il s’agit du lied le plus intime dont le compositeur n’a pas créer de version orchestrale
3. Blicke mir nicht in die Lieder (Ne regarde pas mes chants): il y est question du labeur des abeilles dont le travail est dérobé. Le miel, fruit de leur incessante activité est bel et bien volé par celui qui n’ a pas participé à son élaboration. Le climat du lied est agité et inquiet, il est en cela proche du Purgatio de la Symphonie n°10.
4. Ich bin der Welt abhanden gekommen (J’ai pris congé du monde): le poète a perdu son temps dans ce monde qu’il a quitté. Pleine conscience, lucidité et distanciation: le lied est un miroir de la pensée du musicien
5. Um Mitternacht (A minuit): C’est l’heure du jugement. Face à son destin, le poète et l’homme se dressent pour recevoir tel un coup définitif, l’arrêt de la destinée. Prière à Dieu, mais aussi hymne plein d’espérance, le dernier lied exprime surtout les limites d’une pensée forcée à analyser sa propre situation. En toute conscience, Mahler contemple sa vie, ses réalisations, ses échecs: dresser un bilan, compter et mesurer ses actions. Même s’il trouve la source d’une certaine espéranse, le pèlerin en cours d’inititation et de traversée, doit comprendre sa vie s’il veut poursuivre sa route. Tout accomplissement se réalise nécessairement dans la perte et le bénéfice: l’homme y puise une conscience décuplée mais plus réaliste. Lucidité et amertume, regrets et remords, accomplissements et désirs, espoirs et idéalisme, s’équilibrent.
Crédits photographiques: (1) Gustav Mahler. (2) Alma Mahler (DR)