jeudi 24 avril 2025

Orchestre national de Lyon, Jun Markl, direction: BerliozLyon, Auditorium, le 23 octobre 2010 à 18h

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Jun Markl, direction
Antoine Tamestit, alto
Samedi 23 octobre 2010 à 18h
Lyon, Auditorium
Berlioz, Debussy, Ravel.
Antoine Tamestit, alto
O.N.L., dir. Jun Märkl.
Qu’est-ce donc, Harold en Italie ? Un poème symphonique de Berlioz ? Une Symphonie avec alto principal ? Un des rares concertos pour alto du répertoire ? Une confession d’Hector déguisé en Harold ? Un peu tout cela, et c’est cet auto-portrait que proposent le jeune altiste Antoine Tamestit et Jun Märkl dirigeant son O.N.L.La musique française ultérieure est aussi en regard, puisque « l’eau et les rêves » content avec Debussy La Mer et avec Ravel Une barque sur l’océan.
Le sorcier à genoux
Paganini-Berlioz, en deux temps. 1er : le sorcier italien du violon assiste à la Fantastique, s’enthousiasme au point de se mettre à genoux devant Hector et de lui embrasser la main. Et lui fera parvenir une somme très importante qui aidera la survie financière du compositeur. 2e : le diabolique guitariste italien (oui, il l’était aussi, tout comme d’ailleurs Hector…qui , lui, n’était instrumentiste qu’en ce domaine, la perfection n’est pas de ce monde), capable de jouer de l’alto en virtuose commande à Hector une partition du genre concerto. Mais la Fantaisie sur « Les derniers instants de Marie Stuart » ( !) change bientôt d’inspiration anglaise et se fixe sur un best seller récent, Childe Harold, de Byron. Niccolo juge bien vite que cet « alto principal » ne le mettrait pas assez en valeur et abandonne la partie.
Childe Harold c’est moi
Inversons le sens de cette chronologie-piège : le 1er, c’est 1838, le 2e, 1834. Il n’empêche, même si Paganini céda – de classique façon, hélas – à son égo d’interprète sublime, il avait affaire à un interlocuteur supérieurement doué en égotisme, voire mythomanie. Et dans l’épisode de 1838 – deux ans avant sa mort – se révéla son admiration follement généreuse. Se non e vero, e ben trovato ! L’histoire de la musique détient donc avec cette « symphonie avec alto solo » un moment précieux, non seulement pour ce « pauvre alto », objet des railleries spécifiques du Milieu instrumental, mais pour l’histoire du romantisme. Moins « extravagante » que la Fantastique – à laquelle elle devait succéder -, moins délirante dans le culte parlé-chanté du moi que « Lélio », elle demeure un jalon essentiel du XIXe, qu’il s’agisse de concerto déguisé ou de poème symphonique avant le terme. Certes elle adopte sans gêne apparente le découpage en 4 mouvements, mais y inscrit aussitôt des contenus narratifs et émotifs qui ne dissimulent en rien ce que Berlioz avait retiré de son séjour en Italie, quand il avait été « condamné » à la Villa Médicis, en 1831-32. Mais voilà que surgit l’ombre de Byron, sans lequel le jeune « héros romantique » musical en proie au mal de vivre et à la frénésie n’acquerrait pas sa dimension « babylonienne et ninivite », pour reprendre les formulations chères à cette époque plus friande qu’on ne croit d’une « hénaurme » (Flaubert, cette fois, et en avance !) théâtralisation. Alors, « Childe Harold, c’est moi. », puisque nous saluons au passage le père de Madame Bovary ? Pourquoi pas, et avec transfert de Berlioz sur le poète anglais…
Sentir que nous existons
Cet
« Enfant Harold », souvent cité mais maintenant bien délaissé en
France, est poème de 4500 vers en 4 chants, écrit par étapes de 1812 à
1816. Cela commence par un masque pseudo-médiéval posé sur le visage d’Harold et se continue en ôtant le masque pour révéler le jeune Lord John, à la vie amoureuse complexe – et objet de scandales, dans sa nature et ses modalités -. Byron est aussi en dérive d’errance idéologique – moins que son ami Shelley, celui-là vraiment révolutionnaire- , mais tout de même Lord en rupture de conservatisme voire de monarchie : en 1824, il mourra aux marais de Missolonghi en aidant les Grecs révoltés -, 8 ans après avoir quitté pour toujours son Angleterre pour une épopée de wanderer en Suisse et en Italie avant même la Grèce… Personnage fascinant, qui pouvait dire en 1813 : « Le principal objet de la vie, c’est la sensation, c’est sentir que nous existons, même dans la douleur. C’est ce rôle dévorant qui nous conduit à jouer, combattre, voyager et boire. » Puis passer à l’acte – bien « mieux » que Berlioz et son théâtre, dont nous dirions aujourd’hui qu’il « fait volontiers son cinéma » -, et allant jusqu’à écrire dans le Chant IV : « Mais j’ai vécu et je n’ai pas vécu en vain. Mon esprit peut perdre sa force et mon être périr dans la douleur victorieuse. Il y a au dessus de moi quelque chose qui lassera la Torture et le Temps, et qui parlera quand j’expirerai. »
Harold-alto-et-Tamestit
En fait, Harold-alto est surtout présent dans le 1er mouvement : « scènes de mélancolie, de bonheur et de joie ». Son thème, longuement exprimé au travers des convulsions de la nature montagnarde – on songe aux « Années de pèlerinage » suisses de Liszt – est en effet d’essence nostalgique et d’un lyrisme harmonieux, et résonne à tous les échos du paysage avant que le bonheur n’éclate dans une vitalité irriguant toute la fin du mouvement. Puis vient une « Marche des pèlerins chantant la prière du soir », où Harold-alto chemine dans le cortège, moins pour se joindre à quelque sentiment de fusion religieuse que pour nous immerger en magie visuelle et sonore , et le génial auteur du Grand Traité d’Instrumentation insère sonneries de cloches, rêverie sur les plans du lointain, repères rythmiques de temps et d’espace, et finit par « immatérialiser » l’instrument soliste qui bariole en suprême détachement sur le chevalet. En 3e et 4e, le réel prend le dessus : la sérénade des Abruzzes s’adresse d’un montagnard à sa maîtresse, Berlioz y transcrit les exploits sonores des pifferari, les musiciens ambulants qu’il a tant aimé entendre en ville. L’Orgie de brigands terminale regroupe comme « cycliquement » ce qui a précédé, mais cette musique à parfum de fantastique et de joyeuse frénésie balaie Harold-alto en catégorie remplaçante et sur liste d’attente, malgré des rappels de sa mélancolie et un écho de pèlerinage…
A Lyon, c’est Antoine Tamestit – plusieurs fois depuis 2006 hôte de l’O.N.L. – qui sera l’Harold byronien-berliozien. A 31 ans, ce brillant élève de Jean Sulem, Jesse Levine, puis de Tabea Zimmermann –son enseignante qui est devenue partenaire d’œuvres en création, par exemple le Concerto de Bruno Mantovani -, joue en musique de chambre avec « les Jeune France » (comme on le disait pendant les Restaurations du XIXe pour désigner les romantiques en colère contre les barbons classiques), tels J.G.Queyras, F.Braley, N.Angelich ou les frères Capuçon, le Quatuor Ebène, ou leurs amis d’Outre-Rhin et Rhône,le Quatuor Hagen,I.Faust, P.Meyer, et C.Poltéra qui avec lui et F.P.Zimmermann forme désormais trio (qu’on entendra le 28 janvier 2011 pour les Grands Interprètes dans le Divertimento K.563 de Mozart, leur partition-fétiche…). Tout comme avec le pianiste allemand Markus Hadulla et la chanteuse Sandrine Piau, pour une originale opération de transcription instrumentale des partitions schubertiennes (NAIVE), ou en son 1er c.d., (AMBROISIE), « Chaconne « (de Bach, « forcément sublime » à Ligeti…), A.Tamestit, comme bien des jeunes interprètes, cherche et trouve des formulations dans le domaine du répertoire – Berlioz, donc, la Concertante K.364 de Mozart, le concerto de Bartok – comme dans celui du contemporain (Schnittke, Benjamin, Olga Neuwirth). Et déjà ce récent trentenaire transmet son savoir, puisqu’il enseigne à la Hochschule de Cologne…
Un chef romantique pour le modernisme français
En contrepoint orchestral à la partition berliozienne de feu, de terre et d’air, Jun Märkl a choisi deux célébrations pour « l’eau et les rêves », chez Debussy et Ravel. Les Trois Esquisses Symphoniques (« La Mer », 1905) du début – camouflage de l’auteur pour écarter les interprétations trop littérales ? – sont devenues l’un des lieux les plus fréquentés du concert et de l’enregistrement. Debussy, volontiers ironiste, ajoutait que loin de s’être placé au bord des flots, il avait composé sa Mer…en Bourgogne, comme un peintre de son époque va réaliser en atelier les notes prises sur le motif et l’amplification par mémoire et abstraction d’écriture. Il n’empêche, et comme le dit Jankélévitch,« le colossal matin et le triomphe solennel de midi, puis les jeux d’après-midi conduisent au dialogue de l’ouragan et de l’océan ». La symphonie n’aura jamais autant qu’ici mérité d’être jointe au poème, et voici que revit devant nous « la mer plus belle que les cathédrales, nourrice, fidèle, berceuse de râles, oh si patiente même quand méchante : elle a des airs bleus, roses, gris et verts, plus belle que tous, meilleure que nous », selon la description de Verlaine que Debussy avait déjà mise en mélodie. Vue « d’en-haut », cette « mer-et-mère » devient-elle la berceuse ou au contraire l’impitoyable agitatrice pour « Une barque sur l’océan » », autre regard – celui-là ravélien – extrait des Miroirs pour piano (1906) et augmenté à l’orchestre ? On y écoutera la vision de Jun Märkl – chef essentiellement romantique-allemand ? mais est-ce si simple ?), qui conduit son O.N.L. depuis 2008 dans l’intégrale de l’Orchestre debussyste pour enregistrement (6 volumes chez NAXOS), une aventure qui devrait trouver son terme au printemps 2011.
Lyon, Auditorium, Samedi 23 octobre 2010, 18h. Hector Berlioz (1803-1869), Harold en Italie. Claude Debussy ( 1862-1918), La Mer. Maurice Ravel (1875-1937), Une barque sur l’océan. Orchestre National de Lyon, dir.Jun Märkl. Antoine Tamestit, alto.
Tournée Allemagne & Belgique : mardi 19, 20h, Leipzig, Gewandhaus ; mercredi 20, Leverkusen, Forum; jeudi 21, 20h, Francfort, Hessischer Rundfunk. Belgique : vendredi 22, 20h,Anvers, de Singel. Information et réservation : T. 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com
Illustrations: Antoine Tamestit, Jun Markl (DR)
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