Moralès en live numérique
Qualité sonore, intimité et proximité avec les interprètes, spontanéité et vérité du live: les intentions de la plateforme de vod et de concerts live, Thevsessions.com est assurément sur un trend visionnaire. Demain, l’expérience musicale sur internet, par l’image vidéo et en direct assurera une très large exposition de la musique classique au plus grand nombre. Il ne s’agit pas d’une activité concurrentielle au concert ou à l’opéra: bien au contraire, le live sur Internet est un exercice complémentaire qui prépare à la dimension inégalable d’une salle où les artistes jouent et vibrent dans la même salle que vous. Même une installation hifi ne peut rivaliser avec cela. Pourtant il nous paraît après coup que la captation live sur le Net est un formidable « produit d’appel » préparant, convergeant vers le concert physique. L’avenir est là, nous en sommes convaincus. D’autant plus après la « session » que nous avons vécu.
Première expérience pour nous sur TheVsessions.com, plateforme digitale à suivre, ce 11 juin dernier avec un programme Cristobal de Moralès (1550-1553), défendu par le pape de l’exigence stylistique Philippe Herreweghe, et de surcroît grand spécialiste des architectures chorales.
Le protégé du pontife Paul III à Rome, ténor lui-même de la Capella Giulia (1535-1545), qui travailla ensuite à Tolède puis Malaga, Moralès fut un compositeur de renommée européenne (la « lumière de l’Espagne », fut en vérité, un phare à l’échelle de l’ancien monde). Joué au moment de la mort de Charles Quint en 1559, il est cité par Rabelais dans le Prologue du Quart Livre. Le geste précis du chef Philippe Herreweghe, directeur de Collegium Vocale Gant dont 10 solistes l’entourent pour ce concert live, offre une vibrante illustration de l’écriture d’un Moralès expert dans l’art du contrepoint franco-flamand, auquel il ajoute des idiomes purement ibériques, autant savants que populaires. On sait combien Moralès était admirateur de Josquin dont il paraphrase le célèbre »Mille regrets« . Guerrero, à la génération suivante, qui fut son élève, témoignera de l’influence de Moralès de son vivant, et après lui.
Messe planante
Philippe Herreweghe a pris soin de construire un programme à la ferveur progressive: Emendemus in melius, Sancta Maria, succure miseris en préambule, avant la pièce ambitieuse et ici centrale (avant le Salve Regina conclusif) qu’est la Messe Beata Vergine (après tout Moralès doit son immense réputation comme compositeur de Messes), chant collectif dont l’inspiration semble descendue de Dieu puis remontée vers le ciel à la gloire de la Vierge. Ecrite pour être chantée à la Chapelle Sixtine au Vatican, la Messe éditée à Venise (1540) puis Rome (1544) exalte la ferveur et la dévotion du commanditaire et protecteur de Moralès, Paul III Farnèse, grand amateur d’art et de culture et que Titien a portraituré avec le génie, à la fois sensuel et réaliste, que l’on sait. Les interprètes, en diseurs inspirés et fusionnés, en restituent toute la magie suspendue et émerveillée. En particulier cette simplicité directe et franche, à la fois extatique mais sincère, qui en pleine essor de l’esthétique franco-flamande (souvent d’une complexité autant intellectuelle qu’artificielle) sait parler la langue des humbles et des croyants.
Un style sans fioritures ni surenchères formelles qui annonce la piété directe d’un Zurbaran par exemple… parmi les peintres du siècle suivant.
Le théoricien Juan Bermudo a bien raison d’appeler Moralès, « lumière de l’Espagne »: l’intensité ascensionnelle de son écriture, une musique céleste pour honorer Dieu et servir Dieu, se fait entendre pendant le concert retransmis en direct sur Internet.
Outre l’attention des voix portée aux nuances dynamiques, à l’équilibre sonore et aux couleurs vocales, à la lisibilité de l’architecture polyphonique, les 3 caméras requises pour cet événement suivent chaque strophe des partitions avec un « souci » visuel convaincant. C’est bien là où l’on attend ce type de captation.
Filmer le concert
L’opéra au cinéma a montré des vertus nouvelles, impraticables dans un théâtre: voir de près, capter un regard, une expression, découvrir un jeu sous un angle insoupçonné. Là est à notre sens, le vrai travail qu’il faut soigner et sur lequel nous devons être exigeants. Bien sûr, la qualité sonore se doit de restituer un son plus qu’honnête (ce qui fut le cas) mais il faut une dose certaine de créativité dans la scénarisation (ingénieurs visions en régie, creusez vous les méninges!) pour relever demain le défi du concert vivant sur Internet.
L’expérience commence de se multiplier : les directs (Verbier, Saint-Denis, …) offrent évidemment une sensation nouvelle et des perspectives pour le millénaire, en transformant la toile en vitrine active de diffusion du classique et du spectacle vivant. C’est aussi une fenêtre promotionnelle exceptionnelle qui devrait amener davantage de nouveaux publics parmi les plus jeunes ou les plus fidèles…. dans les salles et les théâtres. Des cibles prioritaires. Il faut aussi accompagner les spectateurs sur la toile et ne pas hésiter à faire apparaître, les titres des oeuvres chantées voire bientôt, la traduction (comme un service optionnel) des textes: la sensation éprouvée n’en sera que plus forte. Ici, rien encore de tel mais les initiateurs qui liront notre compte rendu pourront y reconnaître un encouragement et des pistes pour parfaire davantage l’expérience du concert live sur le net.
A part une coupure intempestive quelques minutes avant la fin du concert, la retransmission est attentive au travail de détail et aussi synthétique sur le plan sonore, défendu par la maestro et ses 10 chanteurs.
Quoiqu’il en soit, voilà une excellente occasion de découvrir un choeur de solistes choisis, dirigés par l’un des plus grands chefs de choeur actuel, dans un répertoire qu’il connaît comme personne. Précision, fusion, opulence et détail du geste font du concert d’un nouveau genre, un événement. Suivez l’actualité des concerts live sur le site TheVsessions.com, et à partir du 15 juin 2009, visionner la performance de Philippe Herreweghe et du Collegium Vocale Gent. Chaque performance en direct coûte 5 euros. La possibilité de le visionner, ensuite, en différé en vod, aussi.
Paris. Concert en direct sur Internet, jeudi 11 juin 2009. TheVsessions Live concerts. Cristobal de Moralès (1500 – 1553): Emendemus in melius, Sancta Maria, succure miseris , Missa de Beata Virgine, Salve regina. Collegium Vocale Gent: Soprano : Juliet Fraser, Dominique Verkinderen – Alto I : Alexander Schneider, Kevin Skelton – Alto II / Ténor I : Simon Berridge, Christopher Watson – Ténor II : Malcolm Bennett, Koen van Stade – Basse : Harry van der Kamp, Adrian Peacock. Philippe Herrewghe, direction.
Illustrations: Images saisies sur le vif du concert live TheVsessions.com du 11 juin 2009. Titien: Paul III et ses neveux (DR)