samedi 19 avril 2025

PARIS, exposition Valentin de Boulogne, jusqu’au 22 mai 2017

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valentin de boulogne concertPARIS, EXPOSITION : Valentin de Boulogne, jusqu’au 22 mai 2017. Le titre de la première rétrospective dévolue à Valentin de Boulogne, le plus romain des peintres français (comme Nicolas Poussin plus tard) est bien connu des spécialistes de la peinture du Seicento (XVIIIè siècle). Moins du grand public, qui découvrira dans l’exposition présentée par le Musée du Louvre, un exceptionnel génie pictural, créateur inégalé entre réalisme et allégorie, clair-obscur et introspection… un immense artiste qui comme son modèle Caravage, fut érudit, lettré, et aussi habituel pilier de tavernes (la légende probablement véridique voudrait qu’il périsse noyé dans une fontaine de Rome, alors qu’il sortait d’une taverne copieusement ivre…) ; mais à la différence de Caravage, Valentin sut s’affirmer à Rome, devenant un artiste particulièrement adulé, recherché, estimé des amateurs dont les membres de la famille patricienne Barberini. Comme rarement, Paris expose une intégrale de son oeuvre, dont l’analyse est aujourd’hui bien documentée.

PEINTRE MELOMANE… Après un récap chronologique de ses périodes et des manières concernées, CLASSIQUENEWS a souhaité surtout souligner la valeur et l’originalité d’un peintre passionné par la musique qui représente un nombre de « Concerts » et de musiciens, unique à son époque. Violonistes, gambistes, luthistes, flûtistes, joueuse de tambourin… mais aussi jeune chanteurs jalonnent et habitent un cycle de créations originales, à la fois portraits collectifs et scènes de genre, comme subtiles allégories, poétiques et critiques de la condition humaine… soit une collection singulière de représentation de musiciens avec leurs instruments dont le réalisme et l’éloquente gravité intérieure frappent immédiatement le regard. En 6 tableaux sur des sujets musicaux, CLASSIQUENEWS a visité l’exposition présentée au Louvre, pour mieux mesurer le raffinement et la culture qui soustendent une œuvre atypique et captivante au début du XVIIè à Rome. A voir au Louvre à Paris, jusqu’au 2 mai 2017.

 

 

 

EVOLUTION DE L’ECRITURE PICTURALE
Mais avant, rappelons quelques notions

 

 

flutiste ingenu concert taverne valentin de boulogne classiquenews exposition louvre1620-1630. L’exposition propose un parcours chronologique particulièrement complet. Entre 1610 et 1620, Valentin peint le quotidien, comme Ribera, Cecco del Caravaggio, Manfredi, mais plus proche encore de leur modèles à tous, Caravage, car il portraiture des modèles issus de la rue romaine : joueurs de cartes, tricheurs, peuple pittoresque, truculent des tavernes, chiromancie (bohémiennes, diseuses de bonne aventure). Les cadrages sont serrés, focusant sur les êtres, leur interaction, dans des situations psychologiques tendues, où parfois, plusieurs actions sont reproduites (également selon le modèle Caravagesque : alors qu’une bohémienne lit les lignes de la mains de son client, un voleur lui dérobe sa bourse, selon l’adage du trompeur trompé…). La maîtrise des contrastes et du clair-obscur est saisissante : Valentin indique aussi précisément le personnage principal, ou les divers protagonistes d’un drama silencieux (dont il fait du spectateur, le témoin complice) grâce à des coups de projeteurs, selon un parti photographique et même cinématographique.
Les grandes scènes de Concert appartiennent à cette période clé, où le peintre relit aussi en un vertige philosophique et moral, les références à l’histoire (Concert au bas-relief, Louvre). Comme les Vénitiens au siècle précédents, Valentin maîtrise autant le réalisme de ses figures et modèles que la palette chromatique, d’un raffinement unique à son époque : textures textiles, matières fourrées, plumes ou bois des instruments, . tout est prétexte à un traitement sensible des matières dans une lumière subtilement tamisée…

 A cela s’ajoute une profondeur mélancolique, une gravité exceptionnelle qui fixe les traits des modèles dans une caractérisation introspective, – miroir de l’âme dévoilée, accents d’une vérité qui renoue là encore avec l’exemple de Caravage et la vérité de ses modèles. La preuve est donnée ainsi que Valentin, contrairement à beaucoup d’autres Caravagesques, réussit à « réinventer » la leçon du maitre pour tous, selon le titre de l’exposition du Louvre. Rares les peintres capables d’égaler en invention et poésie l’art du Caravane : de toute évidence, Valentin de Boulogne en fait partie.

A partir de 1630, le peintre enrichit encore ses dispositions (compositions), accentuant la valeur symbolique aux côtés du réalisme quotidien de l’écriture formelle. Scènes monumentales, figures isolées, portraits de bustes ou en pied, (Saint-Jean Baptiste, Saint Jean-de-Maurienne), tableaux collectifs (Reniement de Saint Pierre, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi, Florence ; Soldats jouant aux cartes, Washington). Valentin nous laisse alors ses grandes scènes sacrées au souffle épique et humain considérables : (Christ et la femme adultère, Getty, – chef d’oeuvre absolu qui touche tant par la gravité solitaire, le profond recueillement émotionnel qui semble saisir chaque personnage… (Le couronnement d’épines, Munich / Le Christ chassant les marchands du Temple, Palais Barberini).

 

 

 

 

 

 

 

 

SUCCES ROMAINS… La période 1627-1630 est aussi celle des succès et de la reconnaissance à Rome : les commandes de la famille Barberini et de celle du pape Urbain VIII se multiplient. Une faveur que ne connut jamais Caravage qui malgré son érudition et son génie pictural, dut s’exiler toujours en raison de sa vie scandaleuse. Pour les Barberini : Valentin conçoit l’étonnante Allégorie de l’Italie (Institut Finlandais de Rome) : le Tibre rappelle une sculpture antique et pourrait être tout autant un modèle tiré de la rue. Idéalisme, naturalisme, érudition, réalisme populaire voire trivial (pour ses détracteurs : soit les mêmes critiques énoncés contre Caravage), Valentin met son génie formel – réalisme et raffinement chromatique au service de compositions à clés qui font sens aussi par leurs concepts symboliques et leur riche résonance poétique. Grâce au cardinal Francesco Barberini, Valentin obtient une commande pour la Basilique saint-Pierre : Martyre de Saint Procès et Martinien (Pinacothèque Vaticane) d’une maîtrise saisissante, égalant les retables précédents de Poussin, et Simon Vouet. Alors que les deux premiers fondent leur art sur le dessin et la couleur, Valentin semble les réunir tous les deux, en une vision qui frappe aussi par sa vérité (réalisme poétique).

 

Valentin, peintre français à Rome, comme Nicolas Poussin, est célébré pour son immense talent dès son vivant : deux toiles sont installées dans la chambre de Louis XIV à Versailles : Saint Marc et Saint Matthieu (toujours en place in loco, restaurés pour l’exposition parisienne). Sa côte est même immense après sa mort en 1632, survenu brusquement après une séance bien arrosée dans une taverne de Rome : le peintre amoché se noya dans l’eau glacée de la fontaine du Babuino. Mais fin collectionneur, Mazarin achète près de 9 toiles, qui entrent ensuite dans les collections royales, puis le Louvre. Permettant au musée français de réunir aujourd’hui, le noyau le plus important de ses oeuvres.

PARIS, exposition VALENTIN DE BOULOGNE. Jusqu’au 22 mai 2017

 

 

 

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Les 6 CONCERTS de l’exposition parisienne

Notre sélection, notre parcours en 6 tableaux : 5 Concerts et 1 Allégorie ou les 4 âges de la vie

 

 

 

Valentin-de-boulogne-concert-louvre1- Le CONCERT AU BAS RELIEF (Louvre). La composition s’organise autour d’un cube dont l’angle au milieu de la toile fait saillie : ainsi Valentin a-t-il idéalement intégré le relief antique, dans une composition qui frappe par sa pénombre : les visages semblent surgir de la nuit, comme le profil du relief antique du marbre qui le contient (relief romain représentant les Noces de Thétis et Pelée – terre cuite conservée au Louvre également). Le parallèle est important : il confère à cette scène apparemment réaliste et populaire, issue de la taverne (comme l’indiquent la présence des 2 buveurs), un sens allégorique profond, que semble occuper l’esprit plutôt songeur du jeune garçon au centre : bouche béante, le regard qui nous fixe tout en étant rêveur, la joue droite dans la main droite (signe de la mélancolie), il réfléchit sur le sens de la vie, de sa vie, entre une vie de plaisir et d’insouciance et l’exigence d’en extraire un accomplissement. Qui suis je ? Que sera ma vie ? … autant de questions qui traversent son esprit, déjà mature. Un fort éclairage inonde aussi la joueuse de guitare, dont le regard lointain exprime elle aussi une riche vie intérieure.
Pas moins de 3 musiciens s’attablent à cette célébration critique de l’existence : entourant la guitariste, le violoniste à gauche et le jouer de luth à droite. Sur un fond neutre, – intérieur ou extérieur (comme chez Caravage), soit un lieu indéterminé, les personnages semblent jaillir de la nuit, comme un songe. Tel n’est pas le moindre des paradoxes de la peinture de Valentin de Boulogne dont le grand réalisme des figures, se met au service d’une poésie humaine d’une indicible nostalgie.

 

 

 

2- Le CONCERT vers 1628 (que nous aimons appelé le « Grand concert », au regard de son format et du nombre de musiciens engagés, instrumentistes et chanteurs ; également conservé au Louvre), regroupe toutes les caractéristiques que nous avons dites précédemment, mais dans une conception renouvelée de la composition : ici a contrario de toutes les compositions connues – plutôt frontale et statique, s’impose le mouvement. C’est un instantané inédit, d’un souffle inouï, assurément la peinture de musiciens en pleine action, parmi les plus réussies et les plus justes qui soient de toute l’histoire de la peinture. A Rome, Valentin suit la mode musicale, il en peint même les jalons de la révolution instrumentale qui s’accomplit à son époque. La forme concertante met les instruments en avant ; comme l’écriture monodique avec basse continue, – emblème du Baroque triomphant, se met aussi au service du chant, mais un chant incarné où le texte est déclamé / chanté à la première personne. Cette forte incarnation se lit dans le réalisme des figures : tous portraits, saisissants chacun par leur caractérisation et leur forte individualité, comme nerveuse, passionnée ; d’autant plus manifeste, que Valentin n’a peint que des figures en mouvement, saisies dans l’élan musical et vocal qui les anime et les mêle l’une à l’autre en une complicité collective ; sont particulièrement bien portraiturés :
-le jeu des archets et des mains sur les cordes
-les expressions habitées
-les chanteurs : deux garçons probablement, bouches ouvertes en pleine interprétation
-l’attitude de la continuiste, bras tendus, poignets et mains souples, chantournées au clavier
-les visages expriment l’intensité de la vie, la passion dans le partage et l’harmonie collective
-le joueur de cornet semble lui aussi tout absorbé par son jeu et la partition ouverte, et comme sublimé, lointain, dans son monde sonore…
Les musiciens à gauche ferment le pupitre : basse de viole et théorbiste à la formidable armure argentée qui nous fait dos, et semble nous refuser l’accès de cette complicité collective qui s’exprime comme un seul corps.

Ce bouillonnement en groupe est d’autant plus expressif qu’il semble lui aussi jaillir de la pénombre, sur un fond neutre ; les visages et les mains s’y détachent avec un relief aigu, comme s’il s’agissait là encore d’un groupe sculpté antique, mais saisi en plein mouvement et en pleine lumière.

 

 

 

flutiste ingenu concert taverne valentin de boulogne classiquenews exposition louvre3- Le flûtiste ingénu. La scène de taverne est bien connu et ici ses acteurs protagonistes tout à fait identifiables : un gentilhomme aventurier, coiffe emplumée, épée à la ceinture se sert du vin, pendant qu’une entraîneuse voire davantage, séduit le jeune flûtiste, qui sous l’effet de l’alcool, ne s’aperçoit pas que la bohémienne, verre levé elle aussi au dessus de sa tête et derrière lui, lui dérobe sa bourse. Le sujet de trompeur trompé est récurrent chez les Caravagesques : on le retrouve aussi chez Georges de La Tour ou Simon Vouet. Valentin traite la scène en y ajoutant l’élément musical où le jeu de la flûte absorbe toute la concentration du jeune homme, proie de ce jeu de dupes. Dans une composition plus claire que les Concerts, le raffinement des couleurs, la touche fluide, vaporeuse qui brosse de très beaux portraits là encore affirment la maestrià du peintre français à Rome.

 

 

 

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4- Le Concert au Tambourin 1. Selon une formule fixée dans le Concert au bas relief du Louvre, Valentin a multiplié les compositions où instrumentistes et buveurs semblent attablés sur un bloc de marbre antique dont l’angle perce la toile au centre de la composition. Ici le raffinement explicite des couleurs offre une variation chromatique particulièrement efficace au sujet musical. La nouveauté vient de la présence de la femme au tambourin, saisie sur le vif comme ses partenaires masculins : joueur de violon à gauche et luthiste à droite, ce dernier absorbé par la partition qui est ouverte entre le bord de la table et ses genoux. L’interaction entre les personnages est rétablie entre la musicienne qui regardant vers le violoniste, et semble s’accorder avec lui. Ici le jeu instrumental est plus suggéré que représenté et décrit soigneusement. L’impression de mouvement et l’effet d’instantané s’affirment selon une formule dont on déduit qu’elle reçu un grand succès auprès des amateurs romains dans les années 1620.

 

 

 

5- Le Concert au tambourin 2 (« Musiciens et soldats », Strasbourg, vers 1620). Ce grand tableau renouvelle lui aussi le clair obscur légué par le Caravage dans le genre de la scène de taverne. Un milieu que Valentin connaît bien pour l’avoir assidûment fréquenté. Ce nocturne collectif associe musiciens, soldats et buveurs, là encore comme attablés à un grand cube dont l’un des angles transperce la toile en son centre. Les 5 personnages malgré le titre qui suppose un jeu collectif et une certaine complicité, semblent absents aux autres. Aucun ne se regarde : tous semblent abîmés dans leur propre solitude. Seule la joueuse de tambourin, au centre nous regarde, elle surgit de l’ombre dévorante et semble nous extraire de la torpeur générale, à peine animée par le jeu du violoniste de droite, au geste mou et rêveur, et derrière lui, le flûtiste, à peine perceptible au second plan, plus enfoncé encore dans la pénombre. La poésie intérieure est l’élément le plus frappant de ce concert comme voilé par un onirisme secret et lui aussi mélancolique.

 

 

 

ok-quatre-ages6- Les quatre âges de la vie (1627-29, National Gallery Londres). Valentin peintre poète, plutôt érudit aime jouer des symboles et des allégories. Autour d’une table, 4 figures paraissent, deux nous regardent ; deux rêvent, comme absorbées par leur propre réflexion. Le jeune garçon vient probablement de libérer un oiseau en ouvrant la cage qu’il tient entre les mains : l’envol du volatile suggère le temps qui passe et court, entraînant les âges qui sont le sujet du tableau. Que faire contre la fuite du temps ? Ce pourrait être aussi en référence à la cage, l’Amour cruel qui enchaîne les coeurs trop tendres…
A gauche, le luthiste, a fière allure, et nous fixe non sans attirer notre regard, jusqu’à nous interpeler de façon troublante. Complétant la figure de l’enfant, le jeune homme chante l’amour, inaccessible, indomptable dont chacun, au printemps de sa vie, souffre et apprend les morsures amères.
A droite, un soldat couronné tenant un livre ouvert dans sa droite, est endormi : pense-t-il aux victoires et aux récompenses (dérisoires) qu’il a obtenues en sacrifiant sa vie entière ? Que reste-t-il des ors et de la gloire militaire ? : sa couronne a des feuilles bien flétries. Enfin au centre, le vieillard à la barbe, semble nous dire, verre à la main : « toi qui passes, profites de la vie ; elle ne passe pas : elle court ». Il porte un col fourré, évoquant la froideur de l’hiver car chaque âge symbolise aussi les quatre Saisons.
Personnages resserrés, en buste, raffinement chromatique, réalisme de la touche, surtout intensité intérieure de chaque individualité : tout Valentin est là, dans cette sobriété et cet équilibre qui exprime surtout des portraits humains; touchants par leur vérité. Velazquez s’en souviendra quand il séjournera à Rome en 1629. Il saura saisir comme nous aujourd’hui, ce réalisme qui a le goût des matières et des éclairages en clair obscur, selon le modèle légué par Caravage. Mais l’Espagnol retiendra surtout la vérité de chaque modèle, véritable portrait qui apporte une poésie inédite alors parmi les caravagesques. Chaque visage recèle une intériorité profonde et comme inquiète, exprimant un regard sur la vanité des choses, et la fugacité de la vie. La perte, le deuil de chaque âge et la transformation permanente peuvent aussi servir de message sousjacent. Peut-être Valentin, peintre érudit et fin lettré ne l’oublions jamais-, adhère t il à la poétique espérante d’Ovide : « Chaque forme varie et prend un autre nom. / De la nature ainsi l’ordre se renouvelle. / Le mode est passager, la matière éternelle / (… )/ Ce qu’on appelle mort est un changement d’être. / Finir ou commencer, c’est ou mourir ou naître » .

 

 


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textes des notices par Carter Chris-Humphray, Lucas Irom et Alexandre Pham
© studio CLASSIQUENEWS.COM

 

 

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