mercredi 14 mai 2025

Paris, Festival baroque de Paris, Eglise Saint-Sulpice, le 23 novembre 2012. Lully, Delalande, Bouzignac… concert inaugural. La Symphonie du Marais. Hugo Reyne, direction

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Paris, festival baroque de Paris
concert inaugural par notre envoyée spéciale Monique Parmentier

Le Festival baroque de Paris a offert ses premières notes de musique hier à un public parisien venu nombreux en l’Eglise St Sulpice pour fêter cet événement qui manquait à la Capitale.
Dans une ambiance bon enfant et alors que la pluie s’abattait sur la ville, la musique fut notre refuge et les musiciens nos amis.

Car ce fût un concert splendide, digne de l’événement que nous ont offert, les solistes, le chœur et la Symphonie du Marais dirigé par un Hugo Reyne généreux et fervent.

Le programme proposé réunit des œuvres connues et moins connues de musiques sacrées du Grand Siècle. Commençant avec des motets du méconnu Guillaume Bouzignac, se poursuivant avec le Te Deum de Charpentier, le Motet de la Paix de Lully et le Te Deum de Delalande, il était pour le moins ambitieux et loin d’être sans risques.

Naissance d’un festival, la fulgurance de l’émotion

Pleurs et grandeurs du Baroque français

D’autant que le festival souhaite également faire connaître aux parisiens
à l’occasion de ces concerts des lieux de patrimoine dont l’acoustique peut
être un défi pour les musiciens. Et dieu sait si Saint-Sulpice était loin d’être évidente. Mais c’est méconnaître le talent qui par sa passion peut relever les épreuves. Hier soir, les interprètes ont transcendé une situation particulièrement difficile pour nous offrir un merveilleux concert.

Entre « malheurs du peuple et Gloire du Roi », chacune des deux parties du concert permet de découvrir toute la diversité d’une musique sacrée qui sans cesse rappelle combien la vie humaine est si peu de chose. Suivant un
ordre chronologique, c’est d’abord Guillaume Bouzignac, un enfant du Sud – Ouest qui vécut au temps de Richelieu, dont les motets sont venus nous rappeler les souffrances des victimes du siège de La Rochelle en 1628.
Terrible victoire dont ces motets donnés ce soir sont sensés fêter la gloire ! Mais ils rappellent plus encore la défaite que représentent toutes les victimes concédées à cette si sinistre « victoire ». Hugo Reyne avait consacré à la musique de Richelieu un très bel enregistrement en 2011 (Musiques de Richelieu).

Ce soir, dans une église Saint-Sulpice inadaptée pour ce répertoire précis, il parvient à nous faire entendre le poids de cette souffrance…
Celle de ces enfants et de ces femmes qu’on sacrifie toujours et encore au fanatisme et à l’orgueil. Il nous restitue chacune des tragédies qui se nouent. La force dramatique des interprètes est si prégnante que malgré une acoustique défaillante, on en ressort bouleversé. Les larmes du violon, et du théorbe; les plaintes si douloureuses du basson et du hautbois sont
autant d’échos aux mots des solistes et du chœur. Et lorsque dans un murmure, « O mors » s’achève, Hugo Reyne ne nous laisse pas le temps de reprendre nos esprits et se lance dans le Te Deum de Charpentier avec toute la violence d’une louange qui résonne aux sons des trompettes et des timbales au feu cinglant.

C’est dans la seconde partie du concert qu’ayant totalement trouvé leurs marques, les interprètes nous offrent toute la palette des clairs –obscurs de la musique d’un règne qui se voulait solaire et qui connut le froid des ombres et des souvenirs que l’on efface pour poursuivre sans état d’âme un chemin qui se voulait éclatant.

Le mélancolique Motet de la paix de Lully, composé officiellement pour célébrer l’arrivée du jeune couple royal à Paris, cache un hommage discret à celle que le Roi préféra oublier, Marie Mancini. Tandis que le Te Deum de Delalande composé vers 1680 et plusieurs fois remanié se révèle d’une magnificence doloriste et flamboyante.

Hugo Reyne avait réuni autour de lui ce soir pour ce concert inaugural des solistes exceptionnels totalement au fait de ce répertoire. Leurs phrasés déclamatoires dans les Te Deum s’accordent si bien à la tragédie lyrique.

Stéphanie Révidat a la voix si tendre et si lumineuse aux ornements soignés, Anne Magouët au soprano si sensuel et fruité, François-Nicolas Geslot superbe haute-contre à la française si noble et élégant, Sébastien Obrecht au timbre chaleureux et riche, Aimery Lefèvre au baryton ferme et élégant, révèlent, aussi bien en solo qu’en duo ou trio, une
virtuosité collective incandescente.

Quant au chœur grâce à son engagement sans faille et la cohérence de ses pupitres, il porte avec une grande fulgurance la douleur et le faste vocal de la musique sacrée française du XVIIe siècle.

Les musiciens du Marais ont réussi à rendre la lumière de la nuit et de la mélancolie plus fulgurante qu’un reflet sur un poignard. Là encore toutes les familles de l’orchestre sont à louer ; elles n’ont jamais rien concédé à une acoustique décourageante, pour mieux soutenir de leurs couleurs et de leurs nuances les solistes. La direction d’Hugo Reyne toute en émotion, est celle d’un grand artiste qui aime cette musique profondément : c’est un chef charismatique, mais également un interprète humble et reconnaissant envers des compositeurs qui lui ont tant offert.

A l’issue du concert deux bis sont venus en point d’orgue nous rappeler combien la musique peut et doit nous consoler des chagrins. Hugo Reyne choisit le De Profundis de Delalande pour rendre hommage à Montserrat Figueras trop tôt disparue l’année dernière, le 23 novembre 2011. Depuis un an, nous la pleurons tous tant elle nous manque ; et les artistes de la
Symphonie du Marais lui ont rendu un hommage vibrant, sincère, à fleur de peau… La musique du cœur, la musique de l’âme. Mais comme elle – même était aussi la joie de vivre et qu’aujourd’hui, dans un environnement culturel bien morose un nouveau festival est né, c’est avec un « Celebrate this Festival » de Purcell enlevé que nous nous sommes quittés à regret. Les organisateurs de ce nouveau festival ne pouvaient pas mieux choisir pour cette soirée inaugurale que cet ensemble né au cœur même de Paris, il y a 25 ans.

Paris, Festival baroque de Paris, Eglise Saint-Sulpice, le 23 novembre 2012. Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Motet de la Paix «Jubilate Deo omnis terra » (LWV 77). Michel-Richard Delalande (1657-1726) Te Deum. Guillaume Bouzignac (vers 1587-après 1643), 6 motets. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Te Deum. Stéphanie Révidat, soprano ; Anne Magouët, soprano ; François-Nicolas Geslot, haute-contre ; Sébastien Obrecht, ténor ; Aimery Lefèvre, Baryton. La Symphonie du Marais. Hugo Reyne, direction.

Illustration: Hugo Reyne (DR)
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