Paris. Maison de La Radio, Salle Olivier Messiaen, Samedi 27 janvier 2007. Concert Bartok, Chausson, Sibelius. Orchestre National de France, Eivind Gullberg Jensen, direction.
Il y a quelques semaines, nous avions entendu sur France Musique un concert d’Eivind Gullberg Jensen avec l’Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, où figurait notamment une Titan de Mahler, impressionnante par sa rigueur et ses emportements dionysiaques. Dire que nous étions pressés d’entendre en vrai ce jeune chef de trente-quatre ans est un euphémisme. Jensen a étudié la direction d’orchestre avec le grand pédagogue Jorma Panula, dont on trouve notamment chez Finlandia, Bis et Naxos de remarquables enregistrements sibéliens (Lemminkainen et les jeunes filles de Saari, Cinquième Symphonie, Kullervo, Mélodies avec orchestre). Ensuite, Jensen se perfectionne auprès de Leopold Hager à Vienne. Il suit ensuite les masterclasses de Kurt Masur en Pologne et à New York. En décembre 2005, il donne pour la première fois avec notre orchestre National une Sixième de Chostakovitch, très remarquée.
Son nouveau programme à la tête de l’Orchestre National de France, était passionnant et contenait une œuvre rare en France, géniale et bouleversante : Kullervo de Sibelius, poème symphonique pour soprano, baryton, chœur d’hommes et orchestre. La conception de Jensen était magnifique par sa construction et sa progression. Ainsi l’Introduction, assez étonante au tout début par l’allègement de ses textures et une certaine distanciation, s’emplissait de couleurs noires et sombres, préfigurant l’issue tragique du héros du Kalevala, Kullervo, qui se suicide, ne pouvant supporter de revoir l’endroit où il a violé sa sœur. La conception de Jensen culmine en un troisième mouvement d’une efficacité dramatique indéniable. Dans le monologue de la sœur, la soprano Malin Byström s’est révélée une diseuse exemplaire. Par son élocution, très recitativo, elle traduit une grande palette de sentiments : l’angoisse, le désespoir comme la colère. Le baryton sombre de Juha Uusitalo fut tout aussi impressionnant par sa puissance déclamatoire. Seul le chœur nous a semblé trop rustre et manqué un peu de précision. L’orchestre fut sans aucun doute le plus extraordinaire. Couleurs magnifiques, lumineuses, à la fois denses et transparentes, dans tous les pupitres et ceci dès le thème du premier mouvement énoncé aux hautbois, aux clarinettes et aux cors. Toutes les voix sont parfaitement lisibles, s’enchaînent avec une remarquable continuité (les cordes au début du deuxième mouvement), la précision des articulations (Kullervo part à la guerre) est admirable. Tout s’avère souple, presque agile, et vécu intensément. Un enchantement sonore, d’où notre regret de ne pas avoir entendu une conception de Kullervo plus intensément épique, tragique, et parfois plus vivace rythmiquement.
Les Danses Populaires Roumaines de Bartók et le Poème pour violon et orchestre de Chausson composaient la première partie de la soirée. Le Bartók exposait à notre sens une caractéristique essentielle du style de Jensen, bien présente aussi dans Kullervo. Jensen aime les mélodies, le lyrisme, le chant, au détriment parfois de la vigueur rythmique. Ces petites pièces du compositeur hongrois sonnent sous sa direction comme de petites études gorgées de couleurs, et pleines de sensualité. Le Poème de Chausson fut un grand moment de lyrisme et d’intériorité. Nicolas Dautricourt planait au-dessus du National, dont les couleurs rondes et chaleureuses nous ont rappelé à quel point il est à l’aise dans la musique française…
Paris. Maison de la Radio, Salle Olivier Messiaen, le 27 janvier 2007. Béla Bartók (1881-1945) : Danses Populaires Roumaines.Ernest Chausson(1855-1899) : Poème pour violon et orchestre. Jean Sibelius(1865-1957) : Kullervo.Nicolas Dautricourt, violon. Malin Byström, soprano. Juha Uusitalo, baryton-basse. Chœur d’hommes de Radio France, Hannu Norjanen. Orchestre National de France Eivind Gullberg Jensen, direction.