lundi 21 avril 2025

Paris. Opéra Bastille le 4 décembre 2012. Bizet: Carmen. Anna Caterina Antonacci… Orchestre et Choeurs de l’Opéra National de Paris. Philippe Jordan, direction. Yves Beaunesne, mise en scène

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Georges Bizet (1838–1875) sans doute le compositeur français le plus célèbre du 19e siècle, et peut-être de tous les temps grâce à la popularité planétaire de ses pages, quitte notre monde exactement 3 mois après la première à l’Opéra Comique de son chef-d’œuvre incontestable, Carmen, dont le livret est une adaptation par Henri Meilhac et Ludovic Halévy de la nouvelle de Mérimée.

Inexorable Carmen

Carmen, l’Opéra français par excellence, dans le noble théâtre de l’Opéra National de Paris (Bastille) est un événement fortement anticipé, non seulement par l’importance et la pertinence de l’œuvre mais aussi parce qu’il s’agit en effet d’une nouvelle production avec une distribution de choc : la célèbre et séduisante Anna Caterina Antonacci dans le rôle-titre, le noble Ludovic Tézier en Escamillo, la très expressive et agile Genia Kühmeier dans le rôle de Micaëla. La mise en scène est signée Yves Beaunesne, dans une première commande de l’Opéra qui sera peut-être… la dernière.


le cas Beaunesne ou Carmen l’incomprise

Dès le début de la présentation, nous percevons une scène d’époque, sans savoir dire laquelle. Premier indice confondant… annonciateur des surprises à venir. Décidément rocambolesque et hasardeux, Mr Beaunesne s’est inspiré des années 70 en Espagne et de l’univers Almodovarien : sa Carmen est blonde platine, elle a plus la légèreté d’une blondasse de comédie musicale que le brio de notre gitane lyrique préférée.

De même Escamillo est un toréador qui semble avoir un boulot alimentaire en tant qu’imitateur d’Elvis… Malgré ses excès disparates, la mise en scène demeure très économe avec un seul plateau pour les 4 actes (décors de Damien Caille-Perret). Beaunesne réussit pourtant à créer des scènes de foule résolument dynamiques, comme celles du 1er acte et la parade du 3e. On n’en retient pourtant que l’aspect flashy et populaires plutôt que la profondeur et la véracité dramatique.

Pour une musique d’une clarté éblouissante et qui est en effet annonciatrice du vérisme, cette mise en scène colorée et parfois amusante, mais souvent banale, va à l’encontre du drame pour le grand malheur d’un public passionné qui a eu le tact d’attendre la fin du spectacle pour s’exprimer. Au moment des saluts, sa violence et l’incivilité de son expression, ont été pénibles voire implacables.

Même réaction, quoique moins justifiée, pour la performance d’Anna Caterina Antonacci. Elle a montré sa verve et son indéniable talent dans ce rôle dans d’autres salles et en DVD. Il s’agît sans aucune doute de l’une des meilleures Carmen des temps actuels. Cependant, il nous semble qu’elle était peu inspirée par la mise en scène. Ainsi dans la Habanera, un des tubes éternels de l’opéra, la diva a montré la beauté de son timbre et a dégagé une sensualité ravissante mais l’impact auprès du public s’est réduit à deux secondes d’applaudissements timides.

Heureusement elle gagne en expression et en caractère pour la Séguedille de la fin du 1er acte, interprétée avec une ferveur très attirante. Les huées violentes du public envers elle à la fin de la représentation n’étaient certainement pas mérités.

De même pour le Don José de Nikolai Schukoff, qui était apparemment malade mais a préféré être présent pour la première… Fait presque compréhensible puisqu’il s’agit de son début à l’Opéra National de Paris. Il a en tout cas un certain charme et ses dons d’acteur sont indéniables. Son portrait d’un brigadier tourmenté a été sensible et enivrant.
Le duo avec Micaëla au premier acte reste d’un zèle touchant. Nous insisterons pourtant sur le besoin d’un coach linguistique : son « gentille » finit en L et la plupart de ses e finales sont devenues i, ainsi quand il dit « moquer » ou « jetée », nous entendons /moqui/ et /jetie/. Cependant, rien de cela justifie le traitement impitoyable du public.

Ludovic Tézier en Escamillo a su gérer avec classe la drôlerie imposée par la mise en scène. Même dans un costume peu flatteur, il est imposant sur scène par la noblesse de son expression et par son charisme inné. C’est un chanteur à la voix suprême qui arrive à séduire et émouvoir l’audience.
Tout comme Genia Kühmeier dans le rôle de Micaëla… la véritable (bonne) surprise de la soirée. D’une sensibilité musicale sans pareil, elle se montre en parfait contrôle de sa voix très expressive et à la belle couleur. Elle touche les cœurs avec le célèbre air du 3e acte « Je dis que rien ne m’épouvante » d’une pureté et d’une sombre douceur inoubliables.

Parmi les autres personnages, se détachent Olivia Doray et Louise Callinan dans les rôles de Frasquita et Mercedès grâce à leur performance piquante,comme François Lis dans le rôle de Zuniga à la belle voix et la diction parfaite. Les chœurs de l’Opéra dirigés par Patrick Marie Aubert ont été, quant à eux, d’une fraîcheur et d’un dynamisme exaltant, plein d’âme et sublimes, avec des grandes voix exubérantes et des petites voix (d’enfants) tendres.

L’Orchestre en vedette

L’Orchestre de l’Opéra National de Paris sous la direction musicale de Philippe Jordan est la vraie vedette. Dès l’ouverture, il montre sa brillance et sa bravoure avec des violons et des cuivres maestosi et d’une certaine sévérité. Jordan dirige un orchestre à la sonorité très romantique sans se contenter de rester dans les eaux plates wagnériennes… qu’il maîtrise avec tant de classe. Ainsi nous le trouvons brillant et plein de brio, mais aussi lent, modéré, suave, évocateur… Quand Carmen prononce le mot « amoureuse » l’orchestre préfigure la fin tragique en un micro-orage fantastique d’une efficacité dramatique époustouflante.

La soirée de printemps de la création mondiale de Carmen en 1875 avait choqué la critique comme les spectateurs, habituées aux rires et sourires faciles et à la légèreté des opéras comiques de l’époque. Carmen a été dès sa naissance un opéra incompris… Les avant-gardistes wagnériens l’ont trouvé peu radicale, et les conservateurs académiciens l’ont trouvé trop wagnérien sans aucune inventivité mélodique. Public mitigé donc … comme celui de la première à l’hiver 2012 ; mais en l’occurrence, nous avons aujourd’hui, la distance temporelle et la clarté critique pour reconnaître l’évidente abondance mélodique de la partition, à la fois ravissante et tragique, mais aussi la couleur orchestrale caractéristique et ses audaces harmoniques extraordinaires. Ni Wagner ni Nietzsche ne se sont trompés dans leur profonde admiration pour Carmen, opéra français parmi les plus joués au monde, dont nous connaissons et aimerons pour toujours les morceaux. La musique reste éternelle… quand à cette nouvelle production, ses faux pas n’empêchent pas notre adhésion globale.

A voir à l’Opéra Bastille à Paris, les 16, 20, 22, 25, 27 et 29 décembre 2012.

Paris. Opéra Bastille, le 4 décembre 2012. Georges Bizet: Carmen, opéra en 4 actes. Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy tiré de la nouvelle de Mérimée. Orchestre et Choeurs de l’Opéra National de Paris. Direction Musical, Philippe Jordan. Mise en scène, Yves Beaunesne.

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