lundi 12 mai 2025

Paris. Opéra Comique, 26 décembre 2008. Hérold: Zampa. William Christie, direction. Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, mise en scène

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Renaissance d’Hérold

Le compositeur. Louis Joseph Ferdinand Hérold est un vrai Parisien né à Paris le 28 janvier 1791, l’année même de la mort de Mozart, et c’est dès l’âge de 11 ans que ce nouveau génie succède à l’ancien, puisqu’il se met à composer à partir de cet âge. Hérold est reçu au Conservatoire à 15 ans: il y étudie le piano avec Adam, le violon avec Kreutzer, l’harmonie avec Catel, la composition avec Méhul, qui le prend immédiatement sous sa protection, et sous son égide, Hérold reçoit à 21 ans le premier grand prix de Rome qui va consacrer sa vocation de compositeur et en même temps lui changer la vie, puisqu’il part de là s’installer à Naples. Devenu professeur de musique des filles du Roi de Naples, Joachim Murat, il fréquente Paisiello et Zingarelli. Et il a finalement l’audace de faire jouer son premier opéra, La Gioventù di Enrico Quinto, au Teatro del Fondo en 1815, avec Manuel Garcia (le père et professeur des célèbres cantatrices La Malibran et Pauline Viardot) jouant le premier rôle.
Hérold quitte alors Naples et rejoint Vienne où Salieri l’accueille chaleureusement, pour finalement revenir à Paris au cours de l’été de cette année fertile (1815). Sollicité par Boieldieu, il entre à l’Opéra Comique et fait représenter avec succès en 1817 Les Rosières, suivi, quelques mois plus tard, de La Clochette, le tout en poursuivant au Théâtre-Italien une carrière de pianiste et de répétiteur.
Après plusieurs insuccès ou succès mitigés, dus notamment à la pauvreté des livrets, il retrouve en 1826 la faveur du public avec Marie, un opéra qui connaîtra une centaine de représentations en un an..
Pour l’Opéra, où il est engagé après avoir quitté le Théâtre-Italien, il compose des ballets qui font date en raison de leur expression dramatique innovante: La Somnambule en 1827, La Fille Mal Gardée en 1828, La Belle Au Bois Dormant en 1829. Vers cette époque, Mélesville lui confie le fameux livret du Corsaire qui devient rapidement Zampa ou La Fiancée de Marbre. Bien sûr, Hérold ne s’en tiendra pas là car il va créer le 15 décembre 1832 son plus grand chef-d’oeuvre: Le Pré-aux-Clercs, cent cinquante représentations en un an et plus de mille autres au cours de ce siècle. Mais Hérold n’en jouira guère car il meurt de phtisie le 19 janvier 1833 (il avait 41 ans).

L’oeuvre. C’est en Sicile que se préparent les noces de la fille du négociant Lugano, Camille, avec l’officier florentin Alphonse de Monza. Toutefois, le terrible corsaire Zampa menace la région, qui s est placée sous la protection de l’une de ses victimes, sainte Alice, à savoir, Alice Manfredi qu’il viola et abandonna jadis sur le rivage: une statue de marbre de la sainte rappelle ce triste évènement et Alphonse, apprenant l’histoire de Zampa, réalise brusquement qu’il s’agit de son frère le débauché qui avait disparu depuis longtemps.
Et ce qui devait arriver arriva: Zampa se présente avec sa troupe et se rend maître des lieux, faisant du chantage et menaçant de tuer Lugano si Camille ne lui cède pas. Zampa aggrave son cynisme en passant par défi un anneau au doigt de la statue. Mais que se passe-t-il? La main de marbre se ferme sur l’anneau!
Finalement, après diverses péripéties (terreurs des villageois, rodomontades des troupes de Zampa, plaintes déchirantes de Camille, apparition de la statue de marbre brandissant la bague, le vice-roi accorde la grâce à Zampa s’il se range à son côté contre les ottomans), Zampa croit pouvoir tranquillement se rendre maître de Camille en l’épousant régulièrement car, lui assure-t-on, la statue a été brisée en morceaux et jetée à l’eau, même si, à cet instant, l’Etna s est mis brusquement à cracher… Alors, ô réminiscence mozartienne, la statue de marbre qui s’est reconstituée toute seule réapparaît et entraîne Zampa, le forban cynique, dans les flammes du volcan infernal…
Les interprètes, pour la musique:
William Christie n’est plus à présenter, of course, puisque ce grand musicologue, grand claveciniste, grand chef d orchestre né à Buffalo et formé à Harvard et Yale officie en France depuis plus de 30 ans, créant Les Arts Florissants pour révéler, entre autres, aux Français la musique… française oubliée des 17è et 18è siècles. Les Arts Florissants auront donc 30 ans l’année prochaine, et ils sont toujours aussi florissants: Atys (de Lulli), Hyppolyte et Aricie, Les Indes Galantes, Alcina, Les Boréades, Médée, Le Retour d’Ulysse, Serse, Les Paladins, l’Enlèvement au Sérail, Castor et Pollux….. On notera le souci de William Christie de révéler de jeunes talents, souci qui s est particulièrement manifesté avec la création de l’académie Le Jardin des Voix à Caen, dont les présentations de 2002, 2005 et 2008 sont déjà reconnues dans le monde entier. Enfin, last but not least, nous rappellerons que William Christie est Français de nationalité depuis 1995, étant, de plus, Officier de l’Ordre de la Légion d’Honneur et de l’Ordre des Arts et des Lettres; pour couronner ce palmarès, William Christie est devenu membre de l’Académie des Beaux-Arts cette année (2008).

La mise en scène. Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff pour les décors et costumes, qui ont déjà mis en scène ensemble plus de vingt spectacles au théâtre, avec la compagnie qu’ils ont fondée en commun (on se souviendra de la fameuse famille Deschiens à la télévision) et Macha fera sensation en créant le Style Deschiens dans les années 90. Dans la mise en scène de Zampa, nous avons particulièrement retenu le mouvement des tableaux collectifs (les corsaires qui surgissent brusquement d’endroits inattendus, par exemple) qui composent des tableaux dignes de la Renaissance. La lecture est enjouée, vive, colorée comme un film de cape et d’épée: l’enchaînement des tableaux réserve continûment la lisibilité des rapports amoureux, des attentes, des désirs souterrains ou explicites de chaque personnage.

Les chanteurs. Richard Troxell, l’Américain, était un excellent Zampa, un vrai Corsaire et un acteur accompli, avec sa voix toujours très assurée de ténor lyrique et son jeu scénique irréprochable, habitué des grandes scènes de part et d’autre de l’Atlantique: Los Angeles, Washington, Houston, New York, Philadelphie, Boston; Portland, Monte-Carlo, Toulouse, Paris. Richard Troxell est également prévu à Varsovie où l’attendent Les Contes d’Hoffmann. Dans son interprétation de Zampa, le ténor convainc incarnant parfaitement un personnage cynique, brutal, finalement pathétique.
Jaël Azzaretti, habituée de l’Opéra Comique, joue Camille, la partenaire malgré elle de Zampa. On se souvient de ses débuts de soprano lyrique dans le rôle titre de La Finta Semplice de Mozart, en 1994 à Aix-en-Provence. Deux ans plus tard, elle entrait dans la troupe de l’Opéra Comique (La Cantatrice Chauve, Il Matrimonio Segreto, Carmen, La Dame Blanche, Les Mamelles de Tirésias…). C’est un tempérament vocal que nous suivons, dont la carrière a déjà réalisé de superbes incarnations à l’Opéra-Bastille, à l’Opéra Garnier, au Chatelet, à Genève (dirigée par Roberto Benzi), à Zurich et dans des enregistrements (Werther, rôle de Sophie, direction Jean-Claude Casadessus). L’interprète baroque, sous la direction de Christophe Rousset, René Jacobs, William Christie ou encore Emmanuelle Haïm, a récemment chanté Mozart (Cosi fan Tutte – voir notre reportage du 21 novembre 2008).
Avant de la suivre dans L’Elixir d’Amour et dans L’Italienne à Alger (à l’Opéra de Paris), puis dans Roméo et Juliette de Gounod (à Vienne), Camille offre à la soprano un personnage fin et sensible qui démontre la musicalité naturelle et dramatique de la chanteuse.

Colin Lee, un jeune ténor du Programme Jeunesse de l’Opéra National Anglais, est Alphonse de Monza, frère et rival de Zampa le débauché: celui-ci le fait tuer à la fin de l’oeuvre, mais nous avons néanmoins eu le temps de reconnaître ses magnifiques qualités vocales d’une suavité à faire tomber Camille,… et le public. Son jeu, moins brillant que celui de son « frère », était voulu, il est vrai, par la mise en scène.
Leonard Pezzino, ténor lui aussi, est Daniel, le contremaître moralisateur mais complice de Zampa. Il cherche à « se retirer des affaires », en se payant sur la bourse prélevée subrepticement, à la fin, sur le cadavre de Zampa. Dans cet opéra décidément à ténors, Leonard Pezzino tient une place bien à lui et le nombre des ténors ne nous fait absolument pas regretter ici l’absence de baryton ni de basse.
Doris Lamprecht, mezzo-soprano d’origine autrichienne, est Ritta la duègne qui est la femme de Daniel, abandonnée par lui depuis dix ans. Elle nous a réservé ses petits effets scéniques remueurs de public, avec quelques éclats vocaux et scéniques propres à détendre l’atmosphère dans certaines scènes plutôt tendues.

Les Arts Florissants (choeur et orchestre) restent égaux à eux-mêmes, sous la direction de leur chef, William Christie, faisant entendre à l’Opéra Comique, leurs accents à la fois puissants (les aspects « musica pompiera » de Hérold) et nuancés dans les passages plus mystérieux et feutrés, allant parfois jusqu’à mêler certains membres du choeur au public, en divers endroits de la salle.
L’oeuvre est incontestablement à connaître, d’autant plus qu’elle est aujourd’hui relativement peu jouée, ce qui, disent les mauvaises langues, est bien méritée!

Paris. opéra-Comique, le 26 décembre 2009. Ferdinand Hérold: Zampa, 1831. Livret de Mélesville. Avec Richard Troxell (Zampa), Jael Azzaretti (Camille), Colin Lee (Alphonse), Leonard Pezzino (Daniel)… Les Arts Florissants, William Christie. Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, mise en scène.

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