D’une façon générale, la soirée rend hommage au ballet romantique (avec enchaînés, la Nuit de Walpurgis, inusable, et Célébration dont c’est moins le couple en vedette qui convainc que l’énergie des danseurs annexes). Puis, la dernière chorégraphie Péchés de jeunesse permet enfin aux jeunes talents de se libérer révélant deux tempéraments masculins, Mathieu Rouaux (encore un peu sage) et l’excellent Antoine Kirscher. Il est vrai que ce sont surtout les garçons qui ont brillé ce soir.
Débuts timides... La soirée démarre lentement avec le premier ballet en création, commande pour l’occasion des 300 ans et du gala : D’ores et déjà… chorégraphie d’une spécialiste de la danse baroque, Béatrice Massin : il s’agit d’un exercice plutôt qu’une vraie chorégraphie, l’enchaînement des tableaux peine à trouver un vrai rythme… D’autant que les danseurs tournent autour puis passent à travers un immense cadre fleuri rococo fixe… monotonie, rythme égal d’un tableau à l’autre, le ballet qui ouvre la soirée confinerait à l’ennui… si l’on ne savait pas qu’ici les jeunes écoliers de Nanterre jouent en partie leur année : s’ils se distinguent, se dévoilent, s’affirment, les portes du prestigieux Ballet de l’Opéra national de Paris leur seront plus proches ou passablement acquises. Outre les concours internes et externes, le spectacle leur permet de se distinguer indiscutablement en conditions professionnelles et devant un parterre de choix. Les citations baroques puis modernes sont appliquées et bien sages ; heureusement quand les deux styles se croisent, le ballet d’ouverture semble s’animer. Il est bien temps.
Sur scène, ils sont 16 rats encore écoliers à Nanterre et représentent donc la crême des jeunes danseurs académiques labellisés Ecole nationale de danse. Evidemment tous rêvent déjà de rejoindre le Ballet de l’Opéra de Paris, qui serait comme l’aboutissement logique de leur cursus au sein de l’Ecole nationale à Nanterre. Mais les étapes sont longues et difficiles et les jalons décisifs, le spectacle de ce soir en est un : chacun s’y dévoilera dans la maîtrise de son art, un style résolument » français « , pas aussi décontracté que les académies américaines, ni volontiers démonstratives comme en Russie (Mariinksy ou Bolchoï), mais tout autant discipliné, mesuré, élégantissime.
Les costumes du rouge au rose nuancent la diversité des âges et des expériences. Les plus aguerris sont rubis/grenat, les plus jeunes (et les plus petits), en rose.
Si cela commence dans le lisse voire la répétition mécanique, la soirée nous promet par la suite, bien des sujets de satisfaction : après tout, l’Ecole de danse qui fête donc son tricentenaire depuis sa fondation sous Louis XIV en 1713 (au soir du règne), montre les nouveaux talents en devenir, adolescents encore et pour certains encore enfants, et surtout artistes déjà engagés voire libérés (mais ils sont encore rares à ce stade).
Après D’ores et déjà de Béatrice Massin (exclusivement masculin), voici le second ballet (exclusivement féminin), une manière de chauffe collective pour les jeunes danseuses, cette Nuit de Walpurgis extrait du Faust de Gounod et qui convoque rien de moins que les reines et princesse de l’Antiquité dont Hélène de Troie, Phryné et Cléopâtre : c’est évidemment, dans la chorégraphie réglée par Claude Bessy (ex directrice de l’Ecole pendant 31 ans et qui permit aux élèves de se produire 2 fois par an sur la scène de Garnier ou de Bastille) un hommage au ballet blanc romantique (La Sylphide, Gisèle et Coppelia) : règne du tutu blanc, de la grâce incarnée ; pas de doute, nos étoiles de demain sont là, prêtes à affirmer un tempérament individuel dans les solos, entre technicité, enchaînements, rebond, poses enchanteresses… Avouons quand même que toutes semblent corsetées, visiblement contraintes et trop stressées ; même le jeu des jambes sur pointes manque d’élan, d’amplitude…
La soirée ainsi posée peut enfin commencer et enchaîne deux ballets de commande pour l’occasion de ce gala : Célébration chorégraphié par Pierre Laclotte, spécialiste du ballet romantique à l’Opéra de Paris auquel nous devons nombre de reconstitution moderne dont le dernier remarquable La Source. Dans » Célébration » sur la musique d’Auber, l’élégance des sauts distribués aux couples affirment ce que Brigitte Lefèvre précise dans un très court entretien au sujet du style français : la retenue, l’élégance, la mesure. Et pour donner plus de courage aux jeunes apprentis de ce soir, un couple d’étoiles paraît en blanc, figures en duo et en solo (Mathieu Ganio et Ludmilla Pagliero, finalement très peu inspirés et rien que techniciens). Symboliquement, malgré la réserve des deux professionnels, c’est restituer l’aboutissement dansant vers lequel les danseurs élèves tendent inéluctablement.
Avouons notre préférence pour le ballet de conclusion, signé du danseur étoile, Jean-Guillaume Bart : » Péchés de jeunesse » d’après la suite fantasque et espiègle de Rossini.
Pareil aux meilleurs ballets de Balanchine (Jewels par exemple), Bart affirme une maturité étonnante alliant légèreté, grâce, goût des collectifs en couples symétriques, mais aussi une faveur pour l’art du saut chez les hommes, d’un raffinement formel exemplaire, entre élasticité athlétique et ports des mains et des têtes hérités du baroque. Ainsi la boucle est assurée dans cette évolution perpétuelle des écritures et des styles. Parmi les jeunes danseurs, se distinguent ici les deux garçons assurant les deux duos successifs (pas de deux) : le premier Mathieu Rouaux plus grave et justement très réservé dans son attitude de scène (très adapté pour le coup à la gravité mozartienne de cet épisode tragique) ; le second (Antoine Kirscher) à l’agilité et l’aisance dans ses sauts littéralement saisissantes (une vraie respiration dans une soirée quand même écrasée sous le stress): deux danseurs à suivre, qui font libérer le carcan de la discipline pourtant nécessaire, du stress lié à la préparation et aux enjeux de cette soirée de prestige ; tous deux sont promis certainement demain à l’éclat des étoiles… Pour l’Ecole de danse dirigée par Elisabeth Platel : voici un gala globalement réussi par sa tenue d’ensemble et la diversité des ballets proposés.
La vraie surprise reste donc le dernier ballet d’après Rossini, et le geste plus libéré des jeunes danseurs qui s’y affirment enfin. Le
spectacle est en accès libre sur arteliveweb. Un dvd Graines d’étoiles récemment édité chez Arte éditions, restitue l’apprentissage des rats de l’Opéra au sein de l’Ecole nationale de Danse à Nanterre, pendnt toute une année : y paraît justement le jeune danseur en devenir, Mathieu Rouaux (à la fois plein d’espoir sur son métier mais aussi très réaliste sur la dureté et l’exigence nécessaires pour parvenir au rang d’Etoile).