mercredi 3 juillet 2024

Paris. Palais Garnier, jeudi 20 janvier 2011. Haendel: Giulio Cesare in Egitto, 1724. Choeur de l’Opéra National de Paris. Natalie Dessay, Cleopatra…, Le Concert d’Astrée. Emmanuelle Haïm, direction. Laurent Pelly, mise en scène

A lire aussi
Désopilante et déjantée, la nouvelle production du seria de Haendel, Giulio Cesare présentée au Palais Garnier relève ses nombreux défis, à commencer par la série de « premières » côté interprètes: première Cléopâtre pour Natalie Dessay, premier Haendel pour Pelly, première pour la chef Emmanuelle Haïm dans la fosse du palais Garnier… Au final, le spectacle se réalise parfaitement par rapport à ce que nous en attendions. Signée Laurent Pelly, amuseur drôlatique chez Offenbach entre autres (sans omettre la reprise récente de son Ariadne auf Naxos de Strauss à Bastille en décembre dernier ni sa Platée – de Rameau- tout en verve présentée également à Garnier), la mise en scène impose à l’opéra baroque créé en 1724 un dépoussiérage radical. L’humour et le décalage y vont bon train, ils renouvellent la vision de la partition, d’autant que dans le rôle de Cleopâtre, l’irrésistible Natalie Dessay, diva piquante, véritable bête de scène, actrice audacieuse, s’investit totalement quitte parfois à en faire… un peu trop.

Avec ce Giulio Cesare, qu’a souhaité réussir Haendel? Réinventer l’opera seria italien pour une audience londonienne de plus en plus fine gueule… Exit donc les tunnels tragiques ennuyeux, les poncifs du genre… Le compositeur s’attache à une vision resserrée voire synthétique du drame, où triomphe toujours, le désir amoureux qu’incarne de façon bien galante un Jules certes héroïque mais surtout badin et même batifolant, très occupé à conter fleurette à son admirable nouvelle conquête : Lydia/Cleopatra.
Dans cette conception sentimentale du mythe amoureux antique, Haendel imagine une série d’airs somptueux où la fine psychologie de la jeune femme, en proie à la haine de son frère Ptolémée, dévoile le portrait musical de celle qui sera Reine d’Egypte. Dans Giulio Cesare, Haendel nous enseigne que le pouvoir est amour, et tout, dans le comportement de Cléopâtre, désigne non la coquette stratège, ambitieuse et arrogante, mais la femme sensuelle et sincère qui se révèle dans sa passion pour le Romain. Dans ce labyrinthe galant, le tableau du Parnasse (début du II), où Cléopâtre, souveraine des coeurs (Manon avant la lettre), paraît en bergère baroque tout en incarnant la Vertu (!), est le plus réussi: Pelly se joue des références historiques, imagine un concert de musiciennes en robes XVIIIè sur la scène, de part et d’autre d’un immense tableau représentant un paysage à la Fragonard qui se fait scène sur les planches, théâtre dans le théâtre, où s’égaie une Dessay déjantée mais subtile, enivrante ensorceleuse pour l’air célébrissisme V’adoro Pupille... L’air se fait emblème de la pastorale galante. Le spectateur est alors comme Jules César: conquis.

Plus communément, l’action se déroule ici dans les réserves du musée du Caire, …. enrichies par le département des sculptures du Louvre. Le spectateur amusé, s’il est comme nous, amateur d’antiques, se plaît à reconnaître ici, un buste romain d’un réalisme caractéristique; là, un chat égyptien de l’époque saïte… Le mouvement des figurants (nombreux) contraste avec la pose des marbres sculptés. Tout au long du spectacle, Pelly se joue du statique antique et du vivant dynamique des héros de l’opéra de Haendel. Jusqu’au dernier tableau, où César et Cléopâtre enfin réunis, se pétrifient, et chantent lumière éteinte, à la lueur d’une torche (celle du gardien de nuit) comme s’ils étaient devenus les statues que, depuis le début, le spectateur n’avait jamais cessé de découvrir d’acte en acte.
Ici, les solistes antiques se mêlent aux magasiniers égyptiens en une ronde permanente, où l’on déplace sculptures monumentales et bustes de marbre; où les colonnes papyriformes composent un nouveau décor exotique. Cléopâtre dort dans une vitrine. Ptolémée s’assied sur le trône de Toutankhamon (référence la plus directe au Musée du Caire).
Pas une entrée de solistes sans son colosse minéral: Cléopâtre paraît tout d’abord à cheval sur un immense Aménophis III ou peut-être une monumentale Hatsepchout (en tout cas, un souverain divinisé du Nouvel Empire), sidérante délurée qui s’excite sur le nez de la statue, et provoque son frère Ptolémée, avorton indigne qui lui dispute le trône… Plus tard, c’est au tour de César de revenir d’entre les morts, après avoir nagé et traversé le Nil: le héros romain paraît au pied d’une immense statue romaine… préoccupé par le sort de l’idole de son coeur.

Moins convaincante en revanche, l’idée de la non moins colossale tête de Pompée, arrimée sur son chariot, qu’apporte en vassal obséquieux l’infâme et fourbe jeune Ptolémée… au chevet de l’énorme tête coupée, Cornelia entonne sa plainte funèbre de veuve éplorée.
Parfois (souvent?), le parti de Pelly fait basculer les références à l’histoire antique vers le gag, la BD, l’anecdotique parodique voire la comédie musicale… On aime ou on déteste… à vrai dire le spectateur n’a pas le temps de souffler car le rythme va galopant tout au long du spectacle. Captivé par l’incarnation de Natalie Dessay.
La diva réussit haut la main sa prise de rôle (et le disque Cleopatra qu’édite Virgin classics nous le confirme totalement. 1 cd Virgin classics: Cleopatra par Natalie Dessay): la soprano ne fait pas que chanter (et déjà fort bien les arabesques et vocalises de sa partie), elle en comprend la moindre intonation, la richesse poétique et émotionnelle qui font du personnage haendélien l’un des plus complets du théâtre baroque: tour à tour, soeur humiliante et provocante, sirène arrogante et calculatrice, ou, surtout, amoureuse sincère, prête à vaincre l’armée de Ptolémée, voire à mourir (quand elle est prisonnière du même Ptolémée: Piangero la sorte mia) si la vie de Jules César en dépend… l’actrice surprend par la diversité éloquente et délurée de son chant: elle trépigne et palpite, s’exaspère et désespère, finalement triomphe dans l’ultime duo. Pareille sensualité créative s’écoute et se voit peu. La performance en soi est déjà un miracle. Chapeau l’artiste.
A cet approfondissement exceptionnel du caractère, la soprano ajoute une note piquante tout au long du I: plus que légèrement dévêtue, à peine couverte par un voile qui plutôt que de cacher, dévoile et souligne (à la façon des drapés mouillés du Parthénon?), la diva excite les esprits déjà échauffés par sa voix provocante: elle ajoute une pointe érotique par sa nudité suggérée ou réelle, (et ce sein impudique, est-ce le sien ou une coque trompeuse?) dont l’impact passe du parterre au balcon. Pas un spectateur qui ne se demande si la diva chante oui ou non, totalement nue sous son « costume »?

La distribution inscrit aux côtés de la pétillante prima donna, deux contre-ténors dans les rôles des politiques affrontés: Christophe Dumaux, voix aigre et expressive, tendue et haineux offre un profil félin de Ptolémée qui n’est pas sans séduction. Le Giulio Cesare de l’Américain Lawrence Zazzo, parfois en déséquilibre de justesse, se bonifie en cours de soirée, osant des pianissimi, ronds et pleins, à couper le souffle, d’une totale extase vocale toute orientée vers sa bien-aimée si surprenante (convaincant Va tacito e nascosto avec sa partie de cor obligé, elle aussi très bien tenue; puis Aure, deh, per pieta…). En contrepoint des figures éroïco-sensuelles, Haendel place le couple Cornelia-Sesto, dans le registre du deuil et du tragique: soulignons la vérité sombre et digne, dans ce registre, de Varduhi Abrahamyan (Cornelia) et de son fils sur la scène, rôle travesti idéalement endossé par la fougue juvénile et très musicale d’Isabel Leonard (magnifique Cara speme). Les deux personnages qui chantent le premier duo de l’ouvrage concluant le I, nuancent la galanterie générale de l’opéra par leur désir de vengeance après que Ptolémée ait fait décapiter leur époux et père, l’illustre Pompée, admiré et pourtant ennemi de… César. Le timbre nasalisant et âpre de l’excellent Dominique Visse dans le rôle de Nireno ajoute à la réussite scénique et vocale de la distribution.

Reste notre déception quant à la direction sans nuance ni véritable expressivité d’Emmanuelle Haïm: où donc a-t-elle élaboré ce Haendel lisse et sans aspérités, jamais renversant ni saisissant? Les Christie, dans l’élégance impériale, ou Minkowski, par son engagement et son sens de l’instant, ont démontré tout le sang et la fièvre nécessaires à l’expression des passions haendéliennes… C’est d’autant plus frustrant que les musiciens du Concert d’Astrée produisent une sonorité mielée souvent somptueuse.
En définitive, ne manquez pas cette nouvelle production souvent désopilante du mythe nilotique. Natalie Dessay y éblouit par sa nature volcanique et sa présence sensuelle et délurée. Après le 7 février, la diva française est remplacée par une autre diva en plein essor, la jeune canadienne Jane Archibald, qui vient de chanter le rôle de Zerbinette dans Ariane à Naxos déjà citée: autre artiste, autres arguments probablement tout aussi convaincants. Production majeure.

Paris. Palais Garnier, jeudi 20 janvier 2011. Haendel: Giulio Cesare in Egitto, 1724. Choeur de l’Opéra national de Paris, Le Concert d’Astrée. Emmanuelle Haïm, direction. Laurent Pelly, mise en scène. Tél. : 08-92-89-90-90. Jusqu’au 17 février 2011.
L’opéra Giulio Cesare de Haendel avec Natalie Dessay est diffusé en direct dans les cinémas UGC le 7 février à 19 heures et sur Mezzo le 12 février à 20h30. Handel: « Cleopatra » par Natalie Dessay, soprano, 1 CD Virgin Classics.

Prochaine production à ne pas manquer à l’Opéra national de Paris: Francesca da Rimini de Ricardo Zandonai:
une partition wagnérienne et straussienne aux couleurs debussystes qui
fait son entrée très attendue au répertoire de l’Opéra. Avec Roberto
Alagna. Incontournable. A partir du 31 janvier 2011 à l’Opéra Bastille.
Illustration: Cléopâtre par Cabanel (1887) (DR) – Natalie Dessay et Christophe Dumaux, soeur et frère affrontés…
- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 28 juin 2024. HAENDEL : Extraits d’oratorios et airs d’opéras. Marina VIOTTI / Les Musiciens du Louvre...

  La saison s'achève au Théâtre des Champs-Elysées dans une frénésie olympique et un dernier rendez-vous aux promesses brillantes. La...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img