Pleyel, temple de l’art haendélien
La soprano coréenne Sunhae Im (excellente Ilia dans l’Idomeneo de Jacobs chez Harmonia Mundi), incarne le rôle de Bellezza de façon extraordinaire. Dès son premier air, « Fido specchio », son charme pétillant et la grâce de sa ligne vocale éblouissent. Son portrait du personnage allégorique de la beauté insouciante et ingénue est d’une grandeur et d’une fraîcheur que nous ne saurons assez complimenter. Elle est coquette et ravissante dans le duo avec Piacere « Il voler nel fior degl’anni », un des sommets d’expression virtuose et d’équilibre harmonique du concert, qui préfigure en effet les duos féminins de Mozart, eux-mêmes sommets de l’art du chant. Si elle a souvent une insolente légèreté comme l’exige le rôle, la soprano vedette impressionne également par une expressivité soignée et une coloratura virtuose dans les ensembles, notamment le fabuleux « Voglio tempo per risolvere ». La prestance touche l’élégie et le sublime avec l’air qui clôt l’œuvre « Tu del ciel ministro eletto », ainsi que les cœurs d’un public aux larmes grâce à l’immense humanité de sa prestation.
Même la soprano Julia Lezhneva, en pleurs à la fin du spectacle, est sensible à tant d’âme et de talent. Elle incarne le rôle du Plaisir avec force et caractère. Dès son premier air, elle impressionne par la force et la couleur de son instrument. Sa voix pleine de cœur s’accorde merveilleusement à l’orgue obligé dans l’air « Un leggiadro giovinetto » et « Chiudi, chiudi ». « Tu giurasti di mai non lasciarme » surprend par l’expression d’une maîtrise totale de son indéniable et frappante virtuosité, interprétative, certes, mais surtout vocale. Dans ce sens, elle personnifie avec maestria la nature manipulatrice du plaisir dans l’air « Lascia la spina » (version originale de l’archicélèbre « Lascia ch’io pianga » de l’opéra Rinaldo). Si nous sommes habitués à une certaine tendresse inhérente à la musique de cet air, la beauté un peu sévère de la prestation de la jeune soprano, toujours en caractère s’impose, et nous gardons surtout le souvenir d’une implacable et impeccable virtuosité (son dernier air « Come nembo che fugge col vento »), ainsi que de sa touchante sensibilité.
Moins présents dans la partition, les hommes de la distribution ne sont pas moins talentueux. Le ténor anglais Jeremy Ovenden dans le rôle du Temps domine les passages de coloratura. Il a de même la prestance qu’exige son personnage. Il sait en effet nuancer son chant; d’une angoissante beauté dans l’air « Urne voi » ou même arrabbiato et plein d’âme dans « Folle ». Toujours élégant. Le contre-ténor français Christophe Dumaux est un Disinganno (qu’on pourrait traduire comme Désillusion ou Vérité) tout à fait exaltant. Il est complètement à l’aise dans la coloratura et fait preuve d’un souffle inépuisable, impressionnant dans l’air « Crede l’uom ». Sa voix très expressive a une belle couleur ; elle se marie magistralement avec l’orchestre dans « Chi già fu del biondo crine ». C’est un incroyable artiste virtuose pourtant trop méconnu qui mérite davantage l’affiche de nos salles parisiennes.
Et pour finir, que dire du Freiburger Barockorchester sous la baguette de René Jacobs? Il déploie tout son talent et sa grande culture musicale dans toutes ses entreprises. En l’occurrence, le chef exploite le potentiel dramatique et la verve expressive de la partition avec brio et originalité. L’orchestre est extatique dès la sonata d’ouverture ainsi qu’élégiaque dans le dernier air. Toujours avec une sonorité dont l’esprit vivace et concertant n’enlève rien en terme de précision ni de majesté.
La qualité de la performance fait espérer un prochain disque. Superbe concert haendélien.
Paris. Salle Pleyel, le 12 février 2013. Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio en deux parties de Georg Friedrich Haendel. Livret de Benedetto Pamphili. Sunhae Im, Julia Lezhneva, Christophe Dumaux… Freiburger Barockorchester. René Jacobs, direction.