Fougue et précision
Aucun temps mort dans ce concert de très haute tenue qui confirme l’éblouissante santé de l’Orchestre sur instruments d’époque fondé en 1991 par le chef flamand. L’acoustique de Pleyel se montre idéale pour détailler ce souci des timbres, des accents, de la motricité rythmique… Un allant riche en couleurs comme en reliefs qui souligne chez Haydn, la surenchère d’élégante facétie (en particulier dans le 2ème mouvement –Andante- qui se rapproche beaucoup du „Ah vous dirai-je Maman“); chez, Beethoven, l’énergie radicale d’un humanisme révolutionnaire. Même si l’Adagio a des allures d’enterrement grave et solennel, celui des idéaux de liberté trahis par le général Bonaparte, la Symphonie parmi les plus ambitieuse et les plus longues du génie de Vienne, emporte l’adhésion de la salle, grâce à l’architecture euphorisante que sait en exprimer Philippe Herrewghe. Chefs et orchestre ont désormais un port d’attache à Poitiers, depuis la récente inauguration de la nouvelle salle (Auditorium digne de ce nom).
L’éclat de la direction, dans l’humour ou la force tellurique, la vitalité suractive des instrumentistes répondent au soliste invité pour le Concerto de Haydn: le violoncelliste justement célébré, Jean-Guihen Queyras, lequel en moins de 30 minutes, distille en maître de son violoncelle (Gioffredo Cappa, 1696), une leçon de communicative élégance et de style de grande classe. Jeu virtuose mais subtilité des nuances, plus proche de la confession intime que de l’exposition bavarde, l’instrumentiste se révèle un interprète passionnant, sachant éclairer une partition faussement démonstrative.
En seconde partie, la Symphonie n°3, „Eroïca“, (créations en 1804 puis 1805) atteste de la maturité de l’orchestre chez un compositeur particulièrement à la fête en 2008 – 2009: en plus de la n°3, l’Orchestre joue aussi la 7 au cours de sa nouvelle saison d’ici juin 2009. On sait les vertus de clarté comme d’inspiration de la phalange française, en particulier dans une intégrale Bruckner, menée au concert comme au disque. Chez Beethoven, l’éloquence façon Herreweghe, fait recette: agilité des cordes, véhémence suave des bois, résonance ronde et mordorée de cuivres (cors naturels), et percussions mordantes, démontrent ce cri héroïque beethovénien qui semble conquérir l’Europe des lumières, trompée par le général faussement libérateur (qui fait alors le siège de Vienne): Bonaparte. C’est un véritable manifeste pour la liberté fraternelle que nous assènent les musiciens. Quand au chef, plus ardent et combattif que jamais, il incarne une véritable leçon de direction symphonique: au diamant des timbres mêlés, toujours séparément détectables, la baguette ajoute cette cohérence architecturée, cette vision et ce souffle qui caractérisent désormais chaque réalisation de l‘Orchestre des Champs Elysées. Dans un contexte discographique récent qui a mis en lumière l’autre manière sur instruments anciens, celle d’un Immerseel (intégrale parue chez Zig Zag Territoires, dans le sillon tracé par Brüggen en son heure, la furià limpide de Philippe Herrewghe se distingue aisément par son argumentation lumineuse et son fini, rugissant et cristallin. Ce Beethoven éclatant ne sonne jamais creux. Grande soirée.
Paris. Salle Pleyel, Mardi 30 septembre 2008. Joseph Haydn: Symphonie n°94 „La Surprise“, Concerto pour violoncelle en ut majeur. Ludwig van Beethoven: Symphonie n°3 „Eroïca“. Jean-Guihen Queyras, violoncelle. Orchestre des Champs Elysées. Philippe Herreweghe, direction.
