Chaleurs ibériques
Le romantisme littéraire et le mariage espagnol de Napoléon III (1853) sont des faits importants dans la révélation d’une Espagne haute en couleurs au 19e siècle. Si l’Espagne paraît dans la littérature et le théâtre de façon allégorique, – parfois astucieuse pour échapper à la censure, tout en faisant une critique sociale personnelle, cette Espagne du passé se transforme progressivement en une Espagne contemporaine qui danse et qui chante, et qui inspire plusieurs générations de compositeurs français. Franz-Xavier Roth dirige Les Siècles pour la redécouverte des pièces d’inspiration ibérique de la fin du 19e et le début du 20e.
Le concert débute avec six de sept danses espagnoles de la suite de ballet de l’opéra de Jules Massenet « Le Cid » (1885). Les cordes des Siècles étonnent par la beauté de leur expression dès les premières mesures. Les percussions font pareil, elles ont une vivacité éclatante qui s’accorde parfaitement avec la prestation impressionnante des vents. Se distingue aussi le sostenuto des cors d’une précision surprenante.
Chez Massenet, les instrumentistes savent exprimer la facilité mélodique, réussissant par une alliance idéale entre brio et pompe.
Même génial mélodisme dans l’Alborada del gracioso (1919) de Maurice Ravel: les bois séducteurs, voire délicieux sous la baguette de Roth, enchantent littéralement; Immersion des plus réussies dans les mondes imaginaires du compositeur, voici assurément, un magistral exemple de l’art de l’orchestration ravélien.
Dernière pièce de la première partie du concert, la Symphonie Espagnole (1875) d’Édouard Lalo est un premier plat de conssitance : pour en défendre toutes les virtuosités ibériques, le violoniste Tedi Papavrami rejoint l’orchestre. Il s’agit d’une commande du violoniste vedette Pablo de Sarasate. Lalo profite de l’occasion pour créer un sort de concerto pour violon ou symphonie concertante : il peut y montrer sa maîtrise d’une forme concertante virtuose et en même temps, mettre en valeur les origines du dédicataire avec un langage exotique. Pendant les 5 mouvements, l’orchestre est brillant, d’une lumineuse vitalité, ce dans les mouvements à la sonorité espagnole évidente comme le 4ème, d’une certaine couleur schumannienne. Papavrami a un début hésitant, mais très rapidement gagne en sûreté et montre l’agilité qui lui est propre. Violoniste d’une immense dextérité, le solsite étonne par la musicalité de son expression, notamment dans les derniers mouvements, où il passe d’une réserve quelque peu nostalgique à une joie pétillante et caractéristique, toujours avec sentiment. L’orchestre cultive fraîcheur et légèreté ; il sait gérer parfaitement les rythmes piquants et les mélodies remarquablement harmonisées de Lalo. En bis, Tedi Papavrami offre un extrait de la 2ème Sonate pour violon de Bach. Sa bravoure étonnante confine presque à l’agressivité. Son Bach impressionne le public, plus par virtuosité que spiritualité.
La deuxième partie du concert commence par España (1883) de Chabrier. Dans cette courte pièce pleine de pompe, Chabrier montre une prodigieuse habileté dans la combinaison des timbres. Il s’agît d’une vision d’une Espagne au soleil aveuglant, en rien sophistiquée et tout à fait naturelle. Dans ce sens, il n’y a pas de vrai développement, mais un enchaînement de thèmes tout à fait organique. Les Siècles joue con moto et de façon espagnolissime: brillants, vifs, colorés (vents spectaculaires, notamment les cuivres).
La vivacité des musiciens ne faiblit pas pour la pièce suivante : Iberia (1910), seconde Image pour orchestre de Claude Debussy. En trois mouvements, l’œuvre, d’une richesse instrumentale inouïe, est une véritable évocation musicale proche de l’intoxication sensorielle (deuxième mouvement). Dans les mouvements extérieurs, Debussy montre sa maîtrise exquise de l’art de la transition. Il s’agît peut-être d’une réponse sublime à Monsieur Wagner. Franz-Xavier Roth, quant à lui, exalte les beaux timbres de la partition, que cela soit dans les Rues d’Espagne (1er mouvement) imaginaires et pleines de brio comme d’ostinato, ou pendant les Parfums de la nuit (2ème mouvement), représentation d’une nuit chaude parfumée au hautbois et au cor anglais, ou même dans l’exotique marche déguisée du Matin d’un jour de fête (3ème mouvement).
Le concert se termine avec la pièce de musique classique la plus jouée au monde, le célébrissime Boléro (1928) de Ravel, chef-d’œuvre de l’orchestration et exemple sublime de l’intérêt du compositeur pour les machines et témoignage de son enfance pimentée de chansons espagnoles grâce à sa mère. C’est toujours un grand plaisir d’entendre les saxophones, rarement présents dans un orchestre… Tous les instrumentistes sont ici protagonistes; les percussions, fabuleuses ; les cordes, pleines de brio et les vents, totalement époustouflants. Comme quoi la grande popularité de la pièce n’usurpe pas son statut universel: son succès jamais démenti, ne contredit en rien le génie du compositeur.
En bis, d’une soirée ensorcelante, Les Siècles nous offre un extrait pour cordes de l’Arlésienne de Bizet, nouvel instant offert entre sensualité et tendresse. Ainsi s’achève termine ce merveilleux voyage sonore dans un sud de rêve; dans une Espagne, vécue et imaginée.
Tedi Papavrami, violon. Orchestre Les Siècles, François-Xavier Roth,
direction.