Dans le cadre de l’année de ses 35 ans, le Concert Spirituel réalise un nouveau jalon de sa « Tétralogie Baroque », rien de moins et propose cet épisode lyrique signé Marc-Antoine Charpentier, illustrant l’évolution de l’opéra en France au XVIIè, en prenant pour appui les sources historiques, en particulier la réalisation instrumentale (emplacement, effectifs). LIRE à ce propos, notre entretien avec Hervé Niquet / les 35 ans du Concert Spirituel (mars 2023). Photo portrait d’Hervé Niquet : DR.
Adulé jusque là pour ses oratorios ou plutôt « Histoires sacrées » dans le sillon du romain Carissimi (auprès duquel il aurait été formé aux défis du genre), Charpentier réalise son premier opéra à 50 ans. L’ouvrage profite de sa collaboration avec Molière (Le Malade Imaginaire, conçu 20 ans avant) : Médée confirme son génie dramatique à l’opéra : souffle de l’orchestre, couleurs instrumentales, surtout conception psychologique pour le personnage clé de Médée, magicienne omnipotente, cependant détruite par l’amour (personnifié par le beau Jason, plus adepte de sa gloire que loyal et fidèle époux et père attentionné). Le livret de Thomas Corneille, frère de Pierre, apporte un éclairage majeur dans l’histoire de la tragédie en musique, dont l’ambition est d’égaler voire dépasser la force expressive et poétique du théâtre parlé. Tragédie musicale contre tragédie théâtrale. Le public parisien bouda la partition qui fut vite oubliée. Au XVIIIè sous Louis XV et Louis XVI, l’engouement pour un certain XVIIè, Siècle de Louis XIV, reprendra des couleurs et les compositeurs de Marie-Antoinette s’ingénieront à réadapter les opéras du siècle précédent. C’est tout l’apport des « baroqueux » d’aujourd’hui, Hervé Niquet en tête que de relever à nouveaux les défis d’un drame qui révéla à son époque le geste expressif d’un Christie (et de ses Arts Flo), inspiré, heureux d’avoir trouvé « son » interprète, devenue à juste titre légendaire, l’inoubliable Lorraine Hunt.
Ici, à PARIS, deux interprètes, adeptes d’un chant nuancé, intelligible (surtout Cyrille Dubois en Jason) devraient mordre dans le texte tout en exprimant les nuances multiples de sa poésie tragique. Car Charpentier et Corneille, pour Médée (Véronique Gens) ont tissé deux personnalités sombres, troubles, dévorés et ardentes… En particulier de Médée, ils font une puissante, fière inflexible, vite dévorée par sa passion et qui commet l’inimaginable par la force de son impuissante fureur.
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PARIS, TCE / lundi 27 mars 2023, 19h30
CHARPENTIER : Médée / Le Concert Spirituel, Hervé Niquet
Durée : 1h35 – entracte – 1h45
Réservez vos places directement sur le site du TCE à PARIS, Théâtre des Champs-Elysées :
https://www.theatrechampselysees.fr/saison-2022-2023/opera-en-concert-et-oratorio/medee
Opéra diffusé ultérieurement sur TCE Live
distribution
Véronique Gens | Médée
Cyrille Dubois | Jason
Judith van Wanroij | Créuse
Thomas Dolié | Créon
David Witczak | Oronte
Hélène Carpentier | La Victoire / Nérine / l’Amour
Adrien Fournaison | Le Chef du peuple / Un habitant / Un Argien / La Vengeance
Floriane Hasler | Bellone
David Tricou | Un berger / Le premier Corinthien / Un Argien / Le troisième captif / Un démon / Le troisième fantôme
Fabien Hyon | Un berger / Arcas / Le deuxième Corinthien / La Jalousie
Jehanne Amzal | Une Italienne / Cléone / 1re bergère / 1re captive / 1er fantôme
Marine Lafdal-Franc | La Gloire / 2e bergère / 2e captive / 2e fantôme
Orchestre et chœur Le Concert Spirituel
Hervé Niquet | direction
Opéra chanté en français, surtitré en français et en anglais
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DOSSIER SPÉCIAL « les 35 ans du CONCERT SPIRITUEL » :
En reprenant le nom de la première société de concerts privés française fondée au XVIIIe siècle, Le Concert Spirituel s’inscrit dans la continuité et le goût du risque. Enchanter comme surprendre son public, tel serait l’adage inspirant une aventure qui dure depuis plus de 30 ans et fête en mars 2023, ses 35 ans d’activité… A l’époque de sa création, en 1987, Le Concert Spirituel s’est tailler une réputation légitime dans l’interprétation de la musique sacrée (dont celle de Charpentier entre autres), tout en défrichant aussi les perles de l’opéra français, partitions oubliées ou drames plus connus dans des versions inédites (Andromaque de Grétry, Persée de Lully, version de 1770)… En lire plus ici
GRAND ENTRETIEN AVEC HERVE NIQUET :
Entretien avec HERVÉ NIQUET pour les 35 ans du Concert Spirituel (mars 2023)
NOUVEAUTÉ DISCOGRAPHIQUE (mars 2023) :
Ariane & Bacchus de MARAIS (2 cd Alpha classics)
CRITIQUE CD. Marin MARAIS : Ariane et Bacchus (1696) – Le Concert Spirituel / Hervé Niquet (2 cd Alpha classics – avril 2022)
Presque 10 ans après la mort de l’illustre Surintendant, comment son élève Marais prolonge-t-il l’héritage lyrique de Lully ? Voilà à quoi répond d’éloquente manière l’Ariane de Marais. S’agissant d’Ariane, le mythe de la belle abandonnée (comme Armide) est sublimé en réalité. Ce qui la rend attractive précisément, c’est l’évolution de sa destinée, de princesse trahie par Thésée (qui fut pourtant sauvé du monstre du Labyrinthe grâce à elle) à sa rencontre avec le dieu Bacchus à Naxos dont l’énergie la ressuscite à elle-même. De détruite, Ariane se voit métamorphosée, transcendée (l’opéra de R Strauss le démontre clairement : Ariane est une figure immortelle de la résurrection).
Depuis 1676, Marais, violiste à l’Académie royale dirigée, administrée par Lully, peut écouter et analyser les composantes dramatiques et musicales de son modèle et « directeur » musical, et lui demeurer fidèle. Mieux, il maintient l’orthodoxie du modèle lullyste après la mort de celui-ci (1687), alors que la Cour se passionne plutôt pour la légèreté des Pastorales aimables, boudant les grosses machines mythologiques et leur théorie de dieux et héros.
Pour céder au goût dominant; Marais sait cependant infléchir le format lullyste en cultivant une coloration plus pathétique et tendre ; Ariane si elle devient folle (trompée par Junon), épargne Bacchus et l’épouse ; le profil est adouci, moins grandiose et tragique que les héros de Lully ; plus languissante et pathétique, Ariane est une grande plaintive : de tout évidence la leçon d’Atys a été totalement assimilée (la scène du sommeil au III convoque Bacchus et Dircé, créatures parodiques suscités par l’intrigante et jalouse Junon ; même les démons infernaux paraissent au IV mais ils sont vite expédiés car rien ne s’oppose au désir de Bacchus. Et s’affirme en génie réformateur, Marais le coloriste comme le fin psychologue. Car il réussit à nourrir de portrait de l’héroïne avec une tendresse évidente.
35 ans du Concert Spirituel
A défaut des voix idoines,
Ariane et Bacchus permet à
l’Orchestre de Marais de ressusciter
Aucun intérêt pour le Prologue, pièce ronflante qui affirme l’esprit de grandeur propre à un épisode de circonstance flattant la gloire du Roi à l’époque de la guerre de 9 ans… Marais construit son intrigue sur la passion que suscite Ariane éplorée dans le cœur de Bacchus revenu des Indes, d’Adraste le magicien, qui bénéficie de l’aide de Junon, laquelle honnit l’insolence du jeune Bacchus né des amours de Sémélé et de son époux, le très infidèle Jupiter… Le mérite du prologue musicalement, est d’assembler les effectifs et de les faire sonner comme un préambule préparatoire au drame proprement dit, déroulé dans les 5 actes qui suivent.
Côté solistes, on reste réservé sur le style ampoulé et l’intelligibilité incertaine de la soprano dans le rôle-titre, JV Wanroij (Ariane, superfétatoire, outrée ; voix et style contournés, bien éloignée du naturel et de l’articulation linguistique requise : Ariane est une figure humaine qui souffre et trop naïve se laisse manipulée ; rien de cela ne transparaît dans son chant) ; Mathias Vidal fait un Bacchus, enivré, amoureux transi de la belle Ariane, mais on pourrait regretter chez l’un comme chez l‘autre, une certaine affectation du style et un vibrato trop envahissant.
Fidèle à son engagement comme son sens de la caractérisation plus sobre, intelligible et sans maniérisme aucun, David Witczak impose Adraste, en vrai rival de Bacchus, prêt à tout pour prendre le cœur d’Ariane, pactisant avec la Junon de Véronique Gens. Leur duo sont toujours intéressant. Se distingue aussi le baryton racé Philippe Estève dans divers emplois (Pan, Lycas, Phobétor…).
SOMPTUOSITÉ et IVRESSE SONORE…C’est surtout dans les ensemble choraux et à l’orchestre que cette lecture gagne ses galons et sait valoir ses indéniables apports; la direction de maestro Hervé Niquet – soufflant en mars 2023, les 35 ans de son collectif sur instruments d’époque, Le Concert Spirituel, convainc de bout en bout : intensité et souplesse, grandeur certes mais aussi grâce et abandon onirique (Chaconne annonçant la fin du II). Le chef défend un point de vue grâce à une phalange rompue aux accents, rebonds, agogique, couleurs et transparence de l’orchestre lullyste. Un festival de nuances musicales qui découle du choix même de la disposition et de l’organisation des instruments selon le rite historique avéré par les sources vers 1700 à l’Académie royale : distinction faite entre le petit chœur (pour ritournelles et trios) ; pour récitatifs et pièces vocales ; pour symphonies et danses et ouverture ; cette caractérisation selon les séquences apporte une indéniable dramatisation, dans l’intensité et la finesse expressive, dans un équilibre sonore redéfini qui permet de mieux distinguer les différentes échelles de l’action. « Ni double clavecin, ni contrebasse… autant de colifichets recréant un pittoresque baroque » n’ont été de mise ici. Instrumentalement cela s’entend et se défend. Dommage que la même exigence n’ait pas été adoptée sur le plan des voix pour le couple Ariane et Bacchus. L’on aurait disposé là de notre version de référence. Le dévoilement d’une texture orchestrale nouvelle, à une époque où l’on ne parle pas à proprement parlé d’ »orchestre », s’avère passionnante. On rêve d’étendre cette nouvelle grille / approche aux partitions de Rameau. C’est donc un CLIC « découverte » pour le tissu orchestral ainsi révélé.
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CRITIQUE CD. Marin MARAIS : Ariane et Bacchus (1696) – Le Concert Spirituel / Hervé Niquet (2 cd Alpha classics – avril 2022)