Le Philharmonique de Liège trop timide
En pratique, la ré mineur (créée non sans rebondissements et résistances à Paris en 1889) succède aux jalons du genre: Symphonie romantique de Joncières (1876, hommage wagnérien personnel), Symphonie avec orgue de Saint-Saëns (1885), Symphonie en sol de Lalo, Symphonie Cévenole de D’indy (1886)… Franck, critiqué, vilipendé même par ses contemporains, trop antiwagnériens, sont aveuglés par dogmatisme et ne trouvent ici que pédantisme et épaisseur, surtout wagnérisme non dépassé.
Or c’est tout l’inverse: dédié à son élève Duparc, Franck dès le début développe ce caractère profond et empoisonné (tristanesque) et excelle dans l’art ténu et si subtil de la modulation et du développement cellulaire, offrant surtout une leçon d’écriture cyclique: les motifs étant réitérés tout au long des mouvements mais dans une formulation métamorphosée constante, soulignant dans l’écriture cette fluidité structurelle que doit diffuser l’orchestre. Maître des climats les plus contrastés, Franck émerveille littéralement entre la gravité lizstéenne du lento-allegro non troppo initial, et le pastoralisme lumineux et mélancolique de l’Allegretto (à la fois andante et scherzo)… C’est en particulier dans le Finale-Allegretto on troppo où sont récapitulés tous les thèmes moteurs et leurs combinaisons souterraines que gonfle une voile orchestrale d’un nouveau souffle, quasi mystique quand la harpe se joint aux cordes, dialoguant avec les cuivres de plus en plus solennels et profonds.
L’œuvre est traversée par l’expérience des gouffres désespérés puis, à l’instar des constructions lisztéennes, s’élève à mesure de son développement, en une arche puissante et très texturée mais jamais épaisse ni lourde…
Lisztéenne et wagnérienne, beethovénienne et poétiquement totalement originale, comme structurellement façonnée selon le principe cyclique, la Symphonie suppose une maîtrise idéale sur le plan musical et artistique.
Hélas, sous la direction du chef autrichien Christian Arming, nouveau directeur du Philharmonique de Liège, le premier mouvement
peine à trouver ses marques: manque de vision et de cohérence, défauts qui rejaillissent dans l’ultime développement où l’épaisseur et la puissance l’emportent sur l’articulation et la clarté des pupitres en dialogue. L’Allegretto est de ce point de vue plus contrôlé, mieux approché par une meilleure mise en place. Mais que tout cela est poli et lisse.
Au regard des enjeux de la soirée où c’est l’image culturelle et musicale de Liège qui doit être démontrée dans le cadre de la candidature de la cité ardente au titre de capitale européenne de la culture 2017, le geste du chef est encore vert et pas assez approfondi. La captation en direct par France Musique ajoute-t-elle à la pression handicapante? Le nouveau disque à paraître sous peu et qui affiche le chef d’oeuvre de Franck (aux côtés de Ce qu’on entend sur la montagne et le ballet Hulda), nous apportera certainement un nouvel éclairage sur le chef et sur l’Orchestre liégeois.
Critique à venir dans notre mag cd.
C’est la seconde partie de la soirée qui nous a paru beaucoup plus intéressante, affirmant une personnalité plus affirmée et cohérente: celle des musiciens de l‘Opéra Royal de Wallonie sous la direction de Paolo Arrivabeni, son directeur musical.
avec l’air de Susanna du IVe acte des Noces de Mozart accompagnée par
l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Sa voix est agile et
expressive, d’une légèreté aérienne, plutôt séduisante. Elle chante avec
candeur la palette des sentiments propre à cet air, une certaine
cruauté comique comme l’exubérance d’un amour sincère. L’orchestre joue
le morceau avec délicatesse et sensibilité, les cordes marquant un
rythme de Sicilienne de veine populaire et les bois accentuant le chant
amoureux avec grâce mais sans effet pittoresque.
Verdi, d’une importance historique et pertinence musicale indéniable ont
été privilégiés. Le choeur de l’opéra Royal chante « Patria Opressa »
de Macbeth (1847) avec une ferveur patriotique touchante. La beauté
solennelle des bois a été remarquable sous la direction du Maestro
Arrivabeni. Dans « Gli arredi festivi » de Nabucco (1842) ainsi que dans
l’archicélèbre « Va pensiero » du même opéra, l’orchestre a joué avec
toute la force et le caractère lyrico-héroïque de Verdi. Les trompettes
en particulier avec une verve contagieuse et stimulante. Le choeur, dont
l’aigu manquait parfois de force, n’a pas toujours l’éclat ni la
puissance de la musique.
assumé dans la reconstitution et l’arrangement orchestral plutôt savant
et dramatique de l’ouverture de l’opéra inachevé de Franck, Stradella
(1841), ainsi que dans le fameux et sentimental intermezzo de Cavalleria
Rusticana de Mascagni. Il termine le concert avec l’ouverture de
Nabucco, plein de passion et avec un certain brio martial, dont les
cuivres là encore tirent leur épingle du jeu, par leur impeccable panache
gala. Orch. Philharmonique de Liège, Christian Arming, direction.
Orchestre et choeur de l’Opéra Royal de Wallonie. Paolo Arrivabeni,
direction. Comptre rendu corédigé par Alexandre Pham (première partie: Symphonie en ré de Franck) et Sabino Pena Arcia (seconde partie: musiciens de l’Opéra Royal de Wallonie).