Voilà une nouvelle page qui se tourne. Le cycle Schumann de l’Orchestre National de France sous la direction de son directeur musical Kurt Masur nous laisse perplexes. En quatre soirées, le public parisien a pu entendre la quasi-intégralité de l’œuvre orchestrale du compositeur romantique. La vision de Masur est plutôt classique et sereine. Elle tend à l’équilibre et vers la lumière. Les élans romantiques sont mesurés. Pour Masur, cette musique n’est pas celle d’un être ambigu, insaisissable, en proie à des hallucinations, ni celle d’un homme hanté par sa propre disparition. Une fausse idée sans doute, ce Schumann en permanence « double » ? Mais cette volonté de « rationalisation » a-t-elle vraiment trouvé durant ces quatre soirées, son point d’accomplissement ?
En effet, la direction de Masur est trop nerveuse pour que le discours puisse véritablement s’épanouir, à tel point qu’il paraît parfois morcelé. En témoigne l’Ouverture, Scherzo et Finale assez grisâtre, une ouverture de Genoveva timide ou la Troisième Symphonie qui perd de sa puissance de page en page. Le quatrième mouvement, évoquant la cathédrale de Cologne, ne retrouve guère la grandeur du monument. D’une manière générale, l’auditeur ne sent que rarement la dynamique exceptionnelle du discours schumannien. Dans le Finale de la Quatrième Symphonie, les doubles croches étalées sur plusieurs voix ne donnent pas cette sensation – unique – de parcourir toute l’étendue de la matière sonore. Les étonnants accords, très sombres, d’une verticalité extrême, qui se trouvent après la barre de reprise, ne s’épanouissent pas avec l’ampleur espérée dans les trémolos de cordes deux octaves plus haut. Nous aurions aimé être cloués sur notre fauteuil, complètement tétanisés.
Paradoxalement, lors de la quatrième soirée, les musiciens semblent plus investis que les autres soirs, comme délivrés d’un carcan lourd à porter. Pourtant cela ne va pas sans créer, comme les jours précédents, quelques décalages dans les pupitres de cordes. Cela ternit la couleur générale de l’ensemble. Le premier mouvement de la Quatrième Symphonie souffre d’un manque global de précision chez les cordes (articulations, accents). Les cuivres, dans le Finale (Lebhaft) sonnent trop brillants, parfois même très clinquants, tout comme la veille dans celui de la Rhénane. Etonnant aussi que le chef durant tout le cycle semble se fonder uniquement sur les parties de violons et d’altos, au détriment des autres voix. Les contrebasses, que l’on entend rarement, paraissent faire de la figuration : elles ne sont pas ici vecteur de fluidité ou de relance du discours. L’auditeur est saisi lorsqu’elles sont mises en valeur (début du Finale de la Quatrième), comme si un air frais le caressait. Manfred ou le Feierlich de la Troisième Symphonie ont véritablement souffert, sans cette présence véritable de basses et de teintes sombres. Dans la Deuxième Symphonie, Masur nous avait paru plus respectueux de l’architecture et des balances.
Le plus beau moment de ce cycle fut très clairement le Concerto pour violon, œuvre redoutable. Alors que Ragna Schirmer nous avait offert la semaine précédente un Concerto pour piano raide et d’une grande sécheresse poétique, le Concerto pour violon fut un merveilleux moment qui ne sera pas renouvelé le lendemain avec le Concerto pour violoncelle, joué en solitaire par Xavier Philipps. Dans le Concerto pour violon fut trouvé l’équilibre que nous attendions. L’esprit acéré du violoniste grec Leonidas Kavakos aide à clarifier le discours. La forme triomphe. Mais Kavakos n’oublie jamais de chanter : l’ampleur de ses phrasés se répand en reflets chatoyants dans les pupitres de l’orchestre. La maîtrise instrumentale est extraordinaire, le ton de ballade mélancolique donné à l’ensemble, réellement inoubliable. Un très beau moment de musique de chambre !
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, les 8, 10, 15 et 16 février 2007. Robert Schumann (1810-1856) : Genoveva (ouverture), Concerto pour piano et orchestre en la mineur (a), Symphonie n° 1 en si bémol majeur « Le Printemps » (jeudi 8 février), Hermann und Dorothea (ouverture), Ouverture, Scherzo et Finale, Konzertstück pour quatre cors et orchestre en fa majeur, Symphonie n° 2 en ut majeur (samedi 10 février), Manfred (ouverture), Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, Symphonie n° 3 en mi bémol majeur « Rhénane » (jeudi 15 février), Introduction et Allegro appassionato pour piano et orchestre (Konzertstück), Introduction et Allegro de concert en ré mineur pour piano et orchestre (b),; Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur, Symphonie n° 4 en ré mineur (version révisée) (vendredi 16 février).Ragna Schirmer, piano (a). David Fray, piano (b). Leonidas Kavakos, violon. Xavier Philipps, violoncelle. David Guerrier, Philippe Gallien, Jocelyn Willem, Jean Pincemin, cors. Orchestre National de France.Kurt Masur, direction.
Retransmission du concert du 10 sur France Musique le 22 février 2007 à 10h, et le concert du 16 le 23 février 2007 à 15h.