mercredi 14 mai 2025

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 29 novembre 2010. Georg Friedrich Haendel : Alcina. Anja Harteros, Vesselina Kasarova, Veronica Cangemi, Kristina Hammarström. Les Musiciens du Louvre. Marc Minkowski, direction

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Fort d’être le premier ensemble à descendre, grâce à cette Alcina, dans la fosse du Staatsoper de Vienne en place de leur mythique orchestre – dont les musiciens forment aussi le Wiener Philharmoniker –, Les Musiciens du Louvre et leur chef, Marc Minkowski, effectuent, avec le même ouvrage et une distribution sensiblement identique aux représentations viennoises, une tournée dont Paris est l’une des étapes.
Reconnaissons à cet orchestre sur instruments anciens, une pâte sonore devenue rare dans cette musique, des pupitres très fournis, un son plein et charnu, que notre époque associe davantage – à tort – au romantisme, et qui fait merveille dans ce répertoire, énergique sans nervosité dans les passages rythmés et virtuoses, tout en se révélant capable d’un legato et d’un rubato somptueux lorsque la musique se fait plus mélancolique. Saluons tout particulièrement les solistes, violon et violoncelle, deux prestations formidables de finesse et de musicalité.
La gestique de Marc Minkowski peut surprendre au premier abord, minimaliste et davantage porté sur le sens des phrases que sur la rythmique, mais les musiciens semblent connaître leur chef par cœur et jouer dans une totale osmose avec lui.

Sortilèges d’Alcina
La distribution réunie ici est pour le moins hétéroclite, les interprètes se révélant d’horizons vocaux et stylistiques très divers.
La basse de Luca Tittoto incarne un Melisso efficace, à l’autorité bienveillante et à la voix bien timbrée, alors que le ténor Benjamin Bruns phrase délicieusement son splendide air « Un momento di contento », plein d’élégance et de raffinement, un peu précieux et maniéré toutefois, mais d’une belle musicalité. Kristina Hammarström fait profiter la fière Bradamante de sa voix saine, aux registres très équilibrés et à la virtuosité spectaculaire, mais l’instrument demeure de taille modeste et passe parfois difficilement l’orchestre.
En Morgana, Veronica Cangemi doit attendre son dernier air pour se révéler réellement vocalement. Durant la quasi-totalité de la soirée, la voix sonne aigre et métallique, l’agilité est prudente, rendant peu intéressant son « Tornami a vagheggiar ». En revanche, « Credete al mio dolore », chanté entièrement piano, montre une facilité surprenante à laisser flotter sa voix dans ces nuances douces, beau moment de suspension musicale.
Ruggiero bien connu de part le monde, Vesselina Kasarova déconcerte. Malgré une conviction et une énergie communicative, la voix semble comme déconstruite, le registre grave étant totalement déconnecté du reste de l’instrument. Chaque attaque – ou presque – est accompagnée d’un coup de glotte, automatisme vocal qui rend sa prestation vocale caricaturale – à moins qu’elle en joue sciemment afin de dépeindre le ridicule du personnage –. De plus, chaque son est prétexte chez elle à un geste accompagnant ou aidant l’émission des notes, rendant bien vite sa prestation semblable à une chorégraphie de rap. Seul le début de « Verdi prati » la voit soucieuse de maîtriser son phrasé, effort qui, s’il permet une ligne de chant moins chaotique, fragilise l’émission.
En revanche, son « Sta nell’ircana », où elle atteint pourtant des sommets dans le grotesque et le comique – volontaire ou non, là demeure toute l’interrogation –, se révèle entraînant et excitant, et se voit salué par une extraordinaire ovation d’un public véritablement en délire. Ici peut se poser une question d’ordre presque philosophique : le public, en liesse, applaudit-il la chanteuse ou… la musique ?

Car, pour cet air, Haendel a composé une partition véritablement jubilatoire, qui ébouriffe dès l’introduction orchestrale.

Venue de Mozart, Verdi et Wagner, la belle Anja Harteros compose une Alcina remarquable de noblesse et de tenue, notamment dans les airs lents.
Les récitatifs la montrent presque vériste dans ses accents, à l’émission grossie, aux aigus lourds, trop plébéienne, une esthétique qui sonne déplacée ici et en contraste avec le reste de la musique.
Malgré un « Ombre pallide » étouffé et la montrant mal à l’aise, elle étonne dans un « Ma quando tornerai » de belle facture, aux vocalises fluides et précises, là où on ne l’attendait simplement pas. Mais c’est véritablement dans les airs élégiaques, dans le pathos et la retenue, qu’elle démontre toute sa science de chanteuse, ciselant les piani qui font aujourd’hui sa renommée. Après un « Si, son quella » de toute beauté, elle explose littéralement dans un « Ah, mio cor » suspendu et lunaire, tout entier sur le fil de sa voix, dans des sons piano hauts placés et résonants, émis sans effort et sans artifices. L’actrice elle-même se montre transfigurée dans ces arias, d’une grande élégance et d’une tenue aristocratique digne de la royale magicienne qu’elle incarne. Une grande incarnation.
Gardons pour la fin la leçon de chant et de musique que nous a offert Shintaro Nakajima, membre des Petits Chanteurs de Vienne et incarnant ici le jeune Oberto. Totalement investi dans son rôle, il éblouit par la puissance étonnante de sa voix, l’achèvement de sa technique, avec des agilités d’une précision parfaite, et surtout son humilité vis-à-vis de la musique, qu’il semble servir avec candeur et passion, notamment dans son air « Barbara » dans lequel il est absolument irrésistible, et véritablement époustouflant. Au final, une belle soirée, démontrant une fois de plus le génie musical et l’inventivité de Haendel, toujours enchanteur.

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 29 novembre 2010. Georg Friedrich Haendel : Alcina. Avec Alcina : Anja Harteros ; Ruggiero : Vesselina Kasarova ; Morgana : Veronica Cangemi ; Bradamante : Kristina Hammarström ; Melisso : Luca Tittoto ; Oronte : Benjamin Bruns ; Oberto : Shintaro Nakajima. Assistant musical : Julien Vanhoutte ; Chef de chœur : Nicholas Jenkins. Orchestre et Chœurs Les Musiciens du Louvre-Grenoble ; Marc Minkowski, direction.
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