Symphonie des adieux
Tout le Paris mélomane le sait. Kurt Masur s’offre en conclusion de son mandat à la tête de l’Orchestre National de France un grand cycle Beethoven, comprenant l’intégralité des symphonies et des concertos. Nous assistions à la cinquième des huit soirées de la série. Kurt Masur nous offre une vision extrêmement fraîche, presque régénérée d’un corpus qu’il connait par cœur. L’enthousiasme des interprètes est étonnant, cette vigueur continuelle impressionne.
Le chef a choisi la dernière édition de Breitkopf & Härtel, qui propose un texte plus fidèle des partitions, allant avec sa volonté de ne pas donner de la musique de Beethoven l’impression d’un auteur à tout jamais domestiqué. Masur a toujours déclaré son admiration pour les timbres et la qualité des instrumentistes de son orchestre français. Dans le cycle Beethoven, sa vision les exhale incroyablement, comme un hommage chaleureux au National, et souvent d’une façon hautement poétique. A cet égard, l’un des moments les plus marquants de cette soirée reste le Scherzo de la Cinquième, où Masur se délecte à mettre en valeur l’orchestration en registres, la clarté des interventions des contrebasses, violoncelles et autres voix, toujours parfaitement dessinées et engagées. Mais l’Andante con moto demeure également d’une grande poésie, avec quelques passages d’un immense raffinement, presque en dentelle (alliages bois / pizzicatos des cordes).
Ainsi, les derniers Beethoven de Masur gagnent une force indéniable par l’importance accordée à la couleur et au timbre. En d’autres occasions, les cuivres d’un mordant parfois étonnant voire inhabituel, sans doute volontairement surexposés rappellent o combien le Maître de Bonn fut influencé par la musique française révolutionnaire (Gossec, Méhul, et…). Masur diffuse en permanence l’image d’un compositeur en train d’inventer un univers sonore unique, qui a paru plus classique sous d’autres mains. L’Orchestre National, toujours flatté qu’un chef puisse faire valoir à ce point une conception coloriste des maîtres allemands, s’en donne à cœur joie. De plus, les cordes, formidables d’homogénéité et de concentration, ont fait entendre des phrasés véritablement inspirés : un exemple, le second thème, mélodique, de l’Ouverture de Coriolan, une splendeur absolue – impression de bien-être ineffaçable.
Le Concerto pour violon opus 61 était porté par le violon impérial de Gil Shaham, d’une perfection instrumentale impressionnante – homogénéité des registres, rayonnement mélodique, mais le plus beau sans doute durant l’exécution de ce chef-d’œuvre a tenu avant tout dans son caractère éminemment chambriste. Si l’entente entre le chef et le soliste n’était peut-être pas toujours, un moment de telle délicatesse et de grandeur noble ne se refusait pas, il émouvait très souvent. Une soirée vraiment passionnante.
Paris. Théâtre des Champs Elysées, samedi 5 juillet 2008. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Ouverture « Coriolan », Concerto pour violon, Symphonie n°5. Gil Shaham, violon. Orchestre National de France. Kurt Masur, direction.