Paris Virtuose
essor de la musique concertante
Réconcilier l’exploit et la performance avec l’émotion et le sentiment: tel est le défi des plus grands interprètes mis à l’épreuve de la virtuosité; c’est une expérience musicale que compositeurs et interprètes entendent relever et réussir au passage du classicisme et du romantisme: digitalité des instrumentistes, démesure délirante des chanteurs marquent les jalons d’un nouveau phénomène qui s’impose en particulier dans les salles de concerts et dans la fosse des théâtres et d’opéra au XVIIIè et surtout au XIXè. Diva des divas sur la scène parisienne, Cornélie Falcon, apparue un moment comme la nouvelle sirène inégalable de ce chant de force, prôné par Gluck et bientôt Meyerbeer, paie durement l’accomplissement d’une carrière aux exigences insurmontables (le fameux contre ut poitriné, Everest vocal de tout interprète digne): sa fugacité sur la scène rappelle que le chanteur, si brillant soit-il n’est pas une machine et ne dure que ce que son corps peut accomplir.
Mais voilà qui renforce assurément la magie d’un récital lyrique où le chanteur mis à nu devant son public ne donne que se qu’il peut.
Le piano triomphe de cette évolution; il est partout: dans les études qui façonnent des colonies d’élèves; dans le concerto avec orchestre, nouvel apanage du concert public; dans la paraphrase (ou pot-pourri) qui tout en dévoilant la liberté recréatrice d’un interprète prodige, affirme aussi ses capacités digitales au salon.
L’Europe au diapason parisien
Le programme « Paris virtuose » nous rappelle la prééminence de la France dans le concert européen, en particulier pendant la période classique, soit de 1770 à 1830, au passage des deux siècles; et pendant les soubresauts politiques, alternant Lumières et Terreur, Monarchie et République, se précise le genre de la symphonie concertante. Les plus grands solistes instrumentistes rivalisent de performances, au service d’une nouvelle sonorité. Le Concert Spirituel de fait est la salle parisienne incontournable pour parfaire son éducation musicale: lieu de société, lieu de loisir, c’est surtout un tremplin formidable où les violonistes, hautboïstes, bassonistes, cornistes, pianistes, français et étrangers (allemands, italiens, …), gagnent une gloire immédiate. Même de la fosse des théâtres d’opéras, jaillit un nouveau genre, l’ouverture concertante (ici, Dalayrac et son ouverture de Renaud d’Ast, allegro de concerto dans le style de Viotti ou Kreutzer), qui sollicite le concours des instrumentistes les plus doués de leur génération (ainsi l’Opéra de Paris qui en 1798 engage les meilleurs musiciens de l’heure), sans omettre le relief des parties solistiques dans la musique religieuse à la Chapelle des Tuileries, et encore, l’exploitation chorégraphique du jeu concertant dans les ballets pantomimes de plus en plus appréciés du public.
Age d’or du style concertant
Sous la direction d’Antoine Dauvergne, le Concert Spirituel ne faillit pas à sa réputation: la Symphonie concertante à deux violons (et deux altos, cors et hautbois) de Gossec; surtout le subtil Concerto concertant (!) de Rigel pour pianoforte et violons principaux; l’ouverture (concertante) des Comédiens Ambulants de François Devienne, lui-même flûtiste et bassoniste renommé, témoignent d’un goût supérieur pour les dialogues entre instruments, l’alliance piquante et mordante des timbres à la fois fusionnés, affrontés, réconciliés, et toujours individualisés.
Et même la voix est sollicité dans cette surenchère de performances, cependant rarement cacophoniques ou discordantes: Le Concert interrompu (1802) pour soprano, violon, violoncelle et pianoforte concertants d’Henri-Montan Berton ajoute la participation d’une chanteuse. Le personnage vocalisant (chanteuse à roulades) rivalise avec les instruments pourtant volubiles et virtuoses dans une scène théâtrale où un père offre la main de sa fille chanteuse aux plus délirants des deux soupirants violonistes, prêts à en découdre lors d’un déchiffrage improvisé!
Tout en s’inscrivant parfaitement dans le cadre des Journées Dauvergne organisées par le CMBV Centre de Musique baroque de Versailles, le programme joué à Versailles, Venise et Mantoue, dévoile ce foisonnement des écritures dans le genre concertant, qui nourrissent l’éclosion plurielle de la virtuosité florissante jusqu’à l’âge romantique; défendu tout autant par le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, le concert « Paris Virtuose » souligne le tempérament de compositeurs méconnus et pourtant décisifs dans l’éclosion de cet âge d’or concertant proprement français. Ainsi entre autres, Henri-Montan Berton (1767-1844), fils de directeur de l’Opéra, élève de Sacchini, Berton gagne la reconnaissance comme compositeur d’opéras: Montano et Stéphanie (1798), le Délire (1799), Aline, reine de Golconde (1803) lui apporte une notoriété sûre; il devient professeur d’harmonie (1795), puis de composition (1818) au Conservatoire, avant de diriger le Théâtre Italien (1807-1809). Membre de l’Institut en 1815, Berton s’oppose violemment au mécanisme prétentieux de Rossini. Mais aussi François-Joseph Gossec (1734-1829) qui né dans le Hainaut, se fixe à Paris dès 1751, y jouant un rôle essentiel, passant d’un régime l’autre, de l’Ancien Régime à la Restauration… Théoricien auteur de traités pour l’harmonie et le contrepoint, Gossec compose comme membre de l’orchestre de la Pouplinière, symphonies et musique de chambre, dans le style de Mannheim, Stamitz dirigeant cette formation parisienne très réputée. Auteur d’opéras comiques, il réalise surtout un Requiem (1760) appelé à un immense succès car son génie dans le traitement des masses, assorti d’un fine écriture pour certains instruments, l’impose définitivement: il écrit plusieurs musiques révolutionnaires de plein air (avec parties de percussions et de vents particulièrement efficaces). C’est le plus importants des symphonistes français (Symphonie à 17 parties de 1809) que Beethoven et Berlioz sauront assimiler, le reconnaissant tel un visionnaire inégalable.
programme « Paris virtuose »
Les Comédiens ambulants, ouverture pour flûte, hautbois,
clarinette, basson et cor solistes :
Largo – Allegretto
2. François-Joseph Gossec
Symphonie concertante à deux violons, deux altos, cors et
hautbois concertants :
Allegro – Tempo di minuetto
3. Wolfgang Amadeus Mozart
Idomeneo, récitatif et air d’Ilia :
« Zeffiretti lusinghieri »
4. Nicolas-Marie Dalayrac
Renaud d’Ast, ouverture avec violon solo :
Larghetto ma non troppo – Allegro assai
~ Intervallo/Entracte ~
5. Henri-Montan Berton
Concert interrompu pour soprano, violon, violoncelle et
pianoforte concertants, extrait :
Allegro – Récit – Allegro
6. Henri-Joseph Rigel
Concerto concertant pour pianoforte et violons principaux op. 20 :
Allegro maestoso – Andante moderato – Minuetto grazioso
con variazione
7. André-Ernest-Modeste Grétry
La Caravane du Caire, air de l’Esclave italienne :
« Fra l’orror della tempesta »
Allegro maestoso
Le programme « Paris virtuose » est l’objet d’un enregistrement discographique dont le cd devrait sortir courant 2012.
Devienne, Gossec, Mozart, Dalayrac, Berton, Rigel, Grétry: Symphonies concertantes
I Virtuosi delle Muse
Versailles, Opéra Royal
Mardi 15 novembre 2011 à 20h
Venise,
Scuola Grande San Giovanni Evangelista
Jeudi 17 novembre 2011 à 20h