Paul Dukas
Ariane et Barbe-Bleue, 1907
France Musique
Samedi 6 octobre 2007 à 19h
A l’affiche de l’Opéra de Paris depuis le 13 septembre 2007, Ariane, le chef-d’oeuvre de Paul Dukas (1865-1935), est retransmis en direct ce soir par France Musique, depuis l’Opéra Bastille. Il s’agit de la dernière de cette nouvelle production présentée dans le cadre de l’ultime saison lyrique de Gérard Mortier comme directeur de l’Opéra de Paris. Le compositeur suit l’idiome de César Franck: composer du rare mais de l’excellent.
Une sensibilité à part
L’ouverture Polyeucte (1892), L’Apprenti Sorcier (1897), le scherzo symphonique auquel il doit sa célébrité, puis la Sonate pour piano de 1901 sont les premières contributions du musicien réservé autant que réfléchi, sur l’autel de l’excellence… Marqué (comme d’autres) par le modèle wagnérien et son flot orchestral continu, Dukas, comme Chabrier, Chausson et Debussy, ambitionne l’opéra mais il sera comme eux, le compositeur d’une seule oeuvre. Si Chausson doit beaucoup à Tristan (Le Roi Arthus), Debussy fait son « après Wagner », avec Pelléas en regardant vers Parsifal… Mais Dukas ne doit rien qu’à lui-même, pur génie original, sauf peut-être du côté de Beethoven. Son poème La Péri (1911) indique comme Ariane, une sensibilité à part.
Et seule, Ariane partit…
Poème symphonique où l’orchestre est le véritable héros, portant et conduisant l’action de part en part, flot impétueux où sont serties les paroles, Ariane pose la question de la liberté et du libre-arbitre. « Délivrance inutile »: son sous-titre laisse assez présager de la soumission passive d’une humanité ici servile, celle des cinq épouses de Barbe-Bleue qu’Ariane, la 6ème mariée, tente de libérer… mais en vain.
Pour être émancipée, il faut encore le vouloir et Ariane indique la servitude culturelle qui emprisonne bon nombre de jeunes femmes française, à l’époque de Dukas. Mais, engagé dans son époque, le compositeur déclara aussi: « actualisé, Ariane c’est l’Affaire Dreyfus »… Et si Ariane entend délivrer les autres, ses semblables, malgré elles, toute tentative s’avérera sans succès. L’obéissance et le respect de la règle sont encore trop forts. Autour d’Ariane, héroïne d’envergure taillée pour une voix de soprano dramatique, les personnages paraissent mais sans vrai consistance. Même Barbe-Bleue figure avec ses 36 notes. Au final, seule Ariane se démarque dans ce flot musical dont les instruments remplacent la part active du chant. Paul Dukas soigne son orchestration, mais aussi la ligne vocale à laquelle il restitue sa pureté mélodique. A sa création, le 10 mai 1907, l’Ariane de maître Dukas éclipsa celle de Massenet (représentée en septembre 1906). Et beaucoup de parisiens la comparèrent à la Salomé de Strauss. En maître des passages et des demi-teintes (comme Debussy), Dukas, homme méticuleux et d’une rigueur parfaitement orthodoxe, était aussi passionné, viscéralement, par le sentiment dévorant, sombre de la tragédie. Les couleurs de son orchestre, le profil d’Ariane finalement voilé par une fatalité ambiante irrépressible qui emporte les pauvres victimes de Barbe-Bleue, et Barbe-Bleue lui-même, concluent l’ouvrage par un échec amer. Ariane fuit un pays auquel elle ne peut rien, une terre dévastée par la passivité mortifère de ses habitants, ce pays qui lui est finalement étranger. Barbe-Bleue et ses cinq épouses auront-ils saisi le sens du combat d’Ariane, pour eux-mêmes, contre eux-mêmes? Rien n’est moins sûr. Le destin des héros est d’être incompris et seuls.
Ajoutons que Sylvian Cambreling qui dirige la nouvelle production d’Ariane et Barbe-Bleue à l’Opéra Bastille vient d’enregistrer chez Hänssler La Péri de Paul Dukas en une lecture particulièrement convaincante.
Paul Dukas (1865-1935)
Ariane et Barbe-Bleue
Conte en trois actes (1907)
Livret de Maurice Maeterlinck
nouvelle production
Barbe-Bleue, Willard White
Ariane, Deborah Polaski
La nourrice, Julia Juon
Sélysette, Diana Axentii
Ygraine, Iwona Sobotka
Mélisande, Hélène Guilmette
Bellangère, Jaël Azzaretti
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Sylvain Cambreling, direction
Illustration
John William Waterhouse, Lady Shalott (1916, Toronto. Art gallery of Ontario)