jeudi 24 avril 2025

Philippe Cassard, piano. Récital Chopin, Brahms,… Lyon, Salle Molière le 5 février 2010 à 20h30

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Philippe Cassard
Piano


Récital Chopin, Schumann, Brahms
Lyon, salle Molière, vendredi 5 février 2010


L’Association lyonnaise Chopin honore Frédéric à chacun de ses concerts ; et en 2010 – double 200e anniversaire oblige -, on peut y joindre Schumann le « frère d’armes » qui avait tout de suite écrit : « Chapeau bas, un génie ! ». La présence de Philippe Cassard laisse augurer d’une interrogation en profondeur du côté de la Fantaisie op.17, toute dédiée par Robert à Clara, de la Polonaise op.61 de Chopin, et des crépusculaires op.118 et 119 de Brahms. Une grande leçon de romantisme annoncée.


Le stupéfiant-image

« Le compositeur – et lui seul – sait comment on doit interpréter ses compositions. Si tu t’imagines le savoir mieux que lui, tu es semblable à un peintre qui prétendrait faire un arbre mieux que Dieu qui crée l’arbre. Il vaut toujours mieux que le virtuose nous rende l’œuvre, et non pas lui-même. » Il a raison le compositeur, non ? C’est Robert Schumann qui s’exprime avec un rien de docte sévérité devant sa Clara qui prétend trop en faire ou en savoir : tant pis si cet avertissement sonne au début du Journal à deux voix par les jeunes et rayonnants époux un mois plus tôt… A quoi fait écho, fin 1841, le récit par Clara d’une série de concerts – éblouissants – donnés par Liszt à Leipzig, où cependant, de l’aveu même de Clara , « la Fantaisie » de Robert a été jouée « avec un effroyable mauvais goût »… Car si Clara est « bouleversée » par le pianiste hongrois, elle tient en piètre estime le « compositeur aux dissonances » : rien n’est simple ! On ajoutera que la Fantaisie op.17 est un lieu magique entre Robert et Clara. Un carrefour où désormais nous reconnaissons une sorte de charte du romantisme musical , là où souffle le vent de l’Esprit qui inspire toute Fantaisie – au sens profond, allemand, du terme, pas la bulle de savon inconséquente et charmante de ces êtres incurablement légers que demeurent les Français… -, selon l’étymologie grecque : apparition de choses extraordinaires, faculté de se représenter par l’imagination. Et Dieu sait que les Romantiques, comme leurs frères en descendance, les Surréalistes, auront fait usage du « stupéfiant-image » !

Une lettre pour traverser les écrans

Au demeurant la Fantaisie op.17, a des origines et un processus complexes : écrite puis remaniée et retitrée entre 1836 et 1839 , elle est « air national des amours » pour les séparés par la haineuse volonté de Wieck, sorte de « lettre perdue » ou incomplète qui traverse les écrans d’une distance cruelle entre eux dans l’espace et le temps. Côté cœur, voici les « aveux » de Robert : « Pour comprendre la Fantaisie, il faut que tu te reportes à ce malheureux été de 1836 où j’avais renoncé à toi. » Et surtout : « Le 1er mouvement est ce que j’ai écrit de plus passionné, un cri désespéré vers toi ». Côté rationalité dans l’intention et la réalisation : Liszt voulait ériger un, monument public à la mémoire de Beethoven (n’oublions pas la chronologie : le Maître des 32 Sonates était mort moins de 10 ans avant), et sollicitait des compositeurs de la modernité. Schumann s’était donc dédoublé, et son Obole donnait la parole alternée à Florestan (le passionné) et Eusebius (le sage) dans un triptyque « Ruines, Trophées, Palmes ». Liszt jugea cela « magnifique et merveilleux », mais le triptyque sera rebaptisé en s’orientant vers une autonomie de projet vers Clara : « Ruines, Arcs de triomphe, Clartés stellaires ». Ainsi commencera la glorieuse carrière – au concert, et surtout en histoire de la musique – de cet op.17, foisonnant de thèmes et de « développements » qui justement « ne méritent pas » cette classification scolastique, mais expriment le pur jaillissement. Voici au piano, celle des partitions schumanniennes la moins marquée au sceau de la fracture, de la faille mentale, et du kaléidoscope d’arrière-plan inquiétant. Elle est aussi véritable hommage au Beethoven de la dernière époque créatrice qui fit éclater cadres et formes d’un classicisme qu’il avait pourtant aidé à définir, et pas uniquement parce que le 3e mouvement semble citer l’esprit de la Sonate « Clair de lune » : après la passion du 1er, l’énergie constructrice du 2nd, voici le temps confié aux étoiles, à la nuit surtout, en son sens hymnique tel que l’a fixé Novalis : « Le flot de mélancolie est allé se résoudre en un nouveau et insondable monde. O nocturne enthousiasme, toi le sommeil du ciel, tu m’emportas. Le tertre n’était plus qu’un nuage de poussière, que transperçait mon regard pour contempler la radieuse transfiguration. Depuis lors, à jamais, je sens en moi une foi éternelle en le ciel de la Nuit et sa lumière, la Bien-Aimée. » Oui, Schumann, jamais bien loin de son cher Jean-Paul(Richter) ou d’Hoffmann, mais ici en communion avec la poésie métaphysique de Novalis…

Le pianiste-passeur

Si on insiste sur une partition aussi « évidente » que la Fantaisie de Schumann, c’est que le beau programme du 5e concert « Association Chopin » concerne un des interprètes les plus capables de faire sentir à quel point –dans le XIXe particulièrement, et en tout cas dans le romantisme – « tout est plein d’âmes », selon Hugo, et bientôt tout est « correspondances » selon Baudelaire. N’eût-il pas accepté de prendre la parole (mais ici on souhaite qu’il le fasse, bien sûr, en dérogeant à la fâcheuse règle implicite selon laquelle le pianiste de récital est mieux en muet du clavier), Philippe Cassard serait capable de faire écouter entre les deux étages de portées une « voix intermédiaire, non directement exprimée », comme dans l’Humoresque de Schumann ! Elève de Dominique Merlet et Geneviève Joy, de Nikita Magaloff, Hans Graf et Erik Werba, Philippe Cassard ne se contente pas d’être devenu l’un des interprètes les plus prestigieux de sa génération – concertiste, soliste, chambriste – , mais il a inventé un mode de relation avec les publics, via la pédagogie de son instrument, évidemment, mais aussi dans le cadre des concerts qu’il présente, et désormais à la radio (France-Musique, dont il est une des voix les plus connues). Sans raideur analytique, sans égoïsme (mais peut-être avec cette variante stendhalienne plus distanciée, l’égotisme qui est aussi introspection), et même avec générosité souriante, présence affective et vivacité sans jamais de familiarité, gravité intériorisée ou parfois affleurante, il est l’inter-locuteur que vous avez toujours rêvé, et comme on dit de nos jours, le passeur idéal entre les compositeurs et nous. Son exigence de la vérité sur les œuvres, il la montre aussi dans ses enregistrements, et aussi sur Schubert, qui est un de ses « lieux » d’idéal recréateur, dans un livre, précieux accompagnateur de notre recherche (Actes-Sud).Est-ce au fond, en paraphrasant René Char, pour mieux puiser à « une sérénité (secrètement) crispée » ? Chi lo sa !

Chopin offert aux vallées

Qui peut dès cette fin janvier prétendre ignorer les deux « 200e anniversaires de naissance » rythmant le calendrier 2010 ? D’ailleurs, salle Molière ce 5 février, on sera chez Chopin (Association). Retour au Journal de Robert et Clara, donc : en été 1841, quand tout va presque bien pour Robert (oui mais, il avoue une crise d’« angoisse » devant la descente d’un « effroyable pont » à l’Alselgrund), les époux font un voyage en Suisse (saxonne), et à Schandau, le « mémorialiste » raconte : « Sur un méchant piano à l’hôtel, Clara s’est lancée dans une Etude de Chopin. C’est bien certainement la première fois que la musique de Chopin faisait retentir les échos de cette vallée. Tout Schandau serait accouru si on avait pu seulement se douter un instant de la personnalité de l’exécutante, et si on avait su qui exerçait la critique, aux côtés de cette artiste. » Vous penserez au méchant piano de Schandau, au couple ami, à Frédéric qui alors est en France, et pour sa Polonaise-Fantaisie op.61, à cet étrange appel suivi d’arpège qui par cinq fois ouvre ce temps de Fantaisie et de nostalgie. Et en écho bien tardif, quand Clara est une veille dame irrémédiablement à jamais loin de Robert, et le naguère-jeune-génie Johannes Brahms devient un presque-vieux monsieur qui s’adonne à la mélancolie, il y aura les op.118 et 119, chants de la brume nordique et adieux au monde : quelle chance à ne pas négliger, d’écouter cela, guidés par le passeur de Saône et des pays romantiques !

Lyon, salle Molière, Vendredi 5 février 2010, 20h30. Association Chopin : Philippe Cassard. Frédéric Chopin (1810-1849), Polonaise op.61, 35e Mazurka ; Robert Schumann (1810-1856), Fantaisie op.17 ; Johannes Brahms ( 1833-1897), op.118 et 119. Information et réservation : T. 04 72 71 81 93 ; 06 10 91 26 26 ; www.chopin-lyon.com

Cd
Philippe Cassard fait paraître son nouvel album discographique dédié à Johannes Brahms (Klavierstücke opus 116-119), le 22 février 2010 chez Accord.

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