vendredi 25 avril 2025

Philippe Hersant: Le Château des Carpathes, 1992

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Philippe Hersant
Le Château des Carpathes
, 1992


Figures circulaires

Inspiré après une lecture du roman de Jules Vernes, Le Château des Carpathes, Le compositeur Philippe Hersant est frappé par le principe de répétition dont le motif central permet la progression dramatique et surtout dans le cas d’un opéra, la possibilité d’un déroulement lyrique. C’est ici la répétition qui produit la catastrophe.

« Je retrouvais là une de ces structures narratives circulaires qui m’ont toujours fasciné (du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki, aux fictions de Borges ou à l’Ange exterminateur de Luis Bunuel)
« , indique le compositeur. La forme circulaire fondée sur le retour périodique est en effet une figure familière au créateur. En outre, le texte de Jules Vernes brosse des situations ou des relations nettement opposées: divergences de Franz et de l’aubergiste, de Franz et le Baron; climats distincts entre l’Italie et l’Europe centrale, la Science et la magie… Ce sont des moments dramatiques forts et intenses qui se prêtent idéalement aux duos et trios, formes essentielles de l’opéra, pour Philippe Hersant. En traitant de la relation diva/Lyricomane, mais aussi en abordant la forme lyrique elle-même, l’auteur aborde un monde et un milieu de codes et de contraintes réglés depuis des lustres. L’ambivalence qui fait sens et fascine, tout en nourrissant l’intérêt et l’inspiration du musicien, c’est la combinaison apparemment contradictoire que Verne orchestre avec maestrià, entre le roman gothique et l’attrait des sciences modernes.

Epiphanie de l’être


De son côté, Michel Rostain, à l’occasion de sa mise en espace le 31 mars 2009 à Quimper (Théâtre de Cornouailles) s’intéresse au pouvoir de l’évocation supplantant ou mettant en péril la source même de l’émotion. « Qu’est-ce qui est le plus fort : frissonner à l’écho d’une voix, ou respirer une véritable odeur ? Passer et repasser chez soi, les yeux fermés, inlassablement, un enregistrement de Callas serait-il plus précieux que la présence sur scène d’une chanteuse en chair et en os, telle qu’elle est, magnifique et vivante, même si cette merveille n’est pas idéalisable ? », précise le metteur en scène. Au demeurant, que raconte l’opéra de Philippe Hersant? « Le Château des Carpathes, c’est l’histoire d’une cantatrice (Stilla) qui meurt en scène juste au moment d’abandonner une carrière lyrique, immense mais douloureuse, pour mener pleinement sa vie amoureuse. Le roman de Jules Verne raconte la rivalité de son fiancé, Franz (réel amoureux d’elle comme elle l’est de lui) et du Baron, lyricomane fou non de la femme qu’elle est mais de la chanteuse dont il rêve et qu’il suit inlassablement. Quand Stilla meurt, le fiancé est écrasé de douleur.« 
Au final qu’aime-t-on réellement chez l’autre? ce qu’il nous suscite à soi, ou bien ce qu’il produit de fondamentalement étranger à nous?
Pour étayer son propos et souligner les distances du récit (image émotionnelle et présence physique réelle), Michel Rostain utilise sur scène ce que Jules Vernes aurait certainement cautionné: Stilla chante sans décors ni costumes, en direct mais au travers de son image projetée simultanément aux spectateurs. Le filtre de la technique qui produit une image immédiate ne cesse d’interroger le spectateur sur ce qu’il voit et écoute. Le naturel, l’artificiel se brouille mais ils font naître une émotion décuplée.
Et quand Franz détruit l’enregistrement de la voix, le Baron, voleur d’images et de son, meurt. Très justement Michel Rostain dit: « Le roman de Jules Verne célèbre la voix conservée, le futur disque, notre DVD. L’opéra de Philippe Hersant célèbre la voix.« 
Dans la mise en espace dévoilée à Quimper, l’orchestre est aussi sur la scène. Sa présence physique donne plus de relief au pouvoir de la voix réelle ainsi mise en avant sur la scène du théâtre. Epiphanie de l’être et de l’émotion incarnée, c’est à dire du spectacle vivant, les options scéniques de la production du Château des Carpathes en 2009, souligne la richesse prenante de l’opéra de Philippe Hersant dont le sujet serait l’opéra (et le phénomène lyrique) lui-même.

Le Château des Carpathes
Opéra en deux actes et un prologue
Livret de Jorge Silva-Melot, 1992

Direction musicale: Laurent Petitgirard
Mise en images: Michel Rostain

La Stilla, Karen Wierzba
L’Aubergiste, Sophie Pondjiclis
Franz de Télek, Marc Haffner
Baron de Gorz, François Le Roux
Orfanik, Bernard Bloch
La femme à la caméra, Séverine Vermersch

Orchestre de Bretagne
Illustrations Léon Benett
Chef de chant Elisa Bellanger
Assistante à la mise en scène Marie Guiot
Vidéo Wilhem Mastagli
Lumières Claude Coulloc’h
Régie générale Richard Tincelin
Maquillage-coiffure Magali Kuck
Costumes Anne-Céline Hardouain

Illustrations: Arnold Böcklin, L’île des morts (DR), Michel Rostain (DR)

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