jeudi 24 avril 2025

Philippe Hersant: Rêveries, création (Jean-Jacques Rousseau 2012)Chambéry, Saint-Etienne, Lyon, les 20 et 24 janvier, le 8 février 2012

A lire aussi
Philippe Hersant

Rêveries
, création
Célébration Jean-Jacques Rousseau 2012
Les 20, 24 janvier; 8 février 2012
Chambéry, Saint-Etienne, Lyon…


Chambéry (73), Espace Malraux, 20 janvier 2011 (puis Saint Etienne, 24 janvier ; Lyon, 8 février) : Création des Rêveries de Philippe Hersant, direction musicale Bernard Tétu. 2012 année Rousseau, Rhône-Alpes et Suisse

Tricentenaire de naissance en 2012 pour Jean-Jacques, alias le Citoyen de Genève…. Non seulement parce que Rousseau compositeur laissa un Devin du Village, mais (surtout) parce que son apport d’écrivain à la musique de la pensée demeure essentiel, un Quatuor (compositeur, chef, metteur en scène, plasticien) imagine autrement les Rêveries du Promeneur Solitaire, Philippe Hersant transférant lui-même les 12 Promenades du côté d’un autre immense rêveur du romantisme, Friedrich Hölderlin….


Jean-Jacques en sa barque-pensoir

« J’allais me jeter seul dans un bateau que je conduisais au milieu du lac, et je me laissais aller et dériver lentement au gré de l’eau, plongé dans mille rêveries confuses mais délicieuses… J’allais volontiers au bord du lac sur la grève dans quelque azyle caché ; le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant mes sens me plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait sou vent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque courte et faible réflexion sur l’instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m’offrait l’image ; mais bientôt ces impressions légères s’effaçaient dans l’uniformité du mouvement continu qui me berçait… »

Ceux qui tiennent la 5e Rêverie du Promeneur Solitaire pour l’un plus hauts lieux de la musique ont parfois même « essayé »de se placer en « situation ressentie » par Jean-Jacques à l’île du lac de Bienne. Ils savent que parmi les plus grands musiciens de la langue française prennent évidemment place Racine – somptueux minimalisme classique – et à l’inverse ultérieur, Lamartine, Chateaubriand et Hugo – dans le débordement alangui, orchestré ou visionnaire qui caractérise chacun d’entre eux-… Mais que Rousseau demeure sans égal, Devin de Village Planétaire Artistique, et pas seulement parce qu’il aurait su les rudiments de l’agencement des sons … Avant tout par sa prescience de ce « flux et reflux » qui caractérise la langue, et qu’il manie comme si chaque inspiration de phrase, de récit, de « symphonie » était l’éveil au monde – sur la barque de Bienne (5e Promenade, donc), ou quand il renaît après l’évanouissement causé par l’agression du « gros chien danois de Ménilmontant » (2e Promenade)…

D’un charivari de la jeunesse à l’origine des langues

Il est vrai aussi que le Citoyen de Genève s’est interrogé en théoricien mais aussi inventeur d’un « Essai sur l’origine des langues », affirmant qu’au commencement était le chant, in principio erat cantus, et non la parole ordonnancée, verbum. Et même imaginant cela dans une vision collective que son roman (La Nouvelle Héloïse), ses opéras et surtout ses autobiographies (Confessions, et autres « miroirs ») montreront en acte, restaurant une innocence première … « autour des fontaines, les premiers discours furent les premières chansons », développant des « scènes primitives » : « Une ardente jeunesse oubliait par degrés sa férocité…Là se firent les premières fêtes : les pieds bondissaient de joie, la voix accompagnait le geste empressé ; le plaisir et le désir se faisaient sentir à la fois ; là fut enfin le vrai berceau des peuples ; et du pur cristal des fontaines sortirent les premiers feux de l’amour. » C’est entre autres partant de cela, et y retournant, que le Quatuor concepteur d’un portrait original de Jean-Jacques – Philippe Hersant, Bernard Tétu, Jean Lacornerie, Lionel Guibout – entend faire voir et écouter autrement le « tri-centenarisé », qu’une histoire musicale (parfois psycho-rigide) s’évertuerait plutôt à présenter comme un médiocre trousseur d’opérette ou un théoricien prétentieux, sans songer à un lien de nature -consubstantiel -avec sa géniale écriture « littéraire ». Et ne voulant se rappeler que le concert-catastrophe conté au 4e Livre des Confessions, où chez M.de Treytorens Jean-Jacques , jeune présomptueux, s’était couvert de ridicule par le « charivari » d’une pièce inventée puis dirigée devant les amateurs et professionnels de Lausanne….

La transparence et l’obstacle

Et justement, cet hyper-amateur autodidacte aura montré que son acharnement à faire œuvre de science – la musique (Dictionnaire), donc, mais aussi la botanique, l’éducation des enfants (L’Emile), la philosophie sociale (Le Contrat), l’introspection … – ne lui retire nullement, bien au contraire, son extraordinaire pouvoir d’intuition. Et que, comme le souligne Jean Starobinski, Jean-Jacques en son siècle des Lumières rationalistes fut « le premier représentant de ce moment de la sensibilité et du génie, étape décisive vers la modernité. » Sans oublier que par l’exorde du «Discours sur l’Inégalité » puis par les thèses du Contrat Social, il inaugura un regard totalement neuf sur l’économique et la morale rapportés au politique, en faisant à juste titre le prophète d’une Vraie Révolution et « à juste titre » pourchassé par ses ennemis idéologiques. Quelque part entre « la transparence » des cœurs et « l’obstacle »(le titre du maître-livre de Starobinski) condamnant à la solitude qui remâche jusqu’au délire le sentiment et le vécu de persécution , il y a l’homme Jean-Jacques, « juge de Rousseau », et surtout l’auto- découvreur d’un moi demeuré trois siècles plus tard aussi fascinant qu’à l’origine, préromantique aussi dans sa relation avec la conscience et la Nature. On comprend qu’un chercheur musicien –et philosophe de formation – comme Bernard Tétu, le patron des Solistes de Lyon et maître d’œuvre de l’ensemble-Rousseau, ait voulu exclure la banalité convenue pour évoquer Jean-Jacques en sa complexité. Et qu’il ait fait appel au plus cultivé, introspectif et romantique (pas néo, bien sûr, cette singerie stylistique refuge d’un sans-inspiration faussement moderniste) des compositeurs français pour un commentaire des Rêveries…Ainsi qu’en témoigne donc chez Philippe Hersant – ainsi par Nachtgesang – son attachement à ce monde du Wanderer en chemin ou méditant « au repos »…

Le voyant de Bienne et celui de Tübingen

…Sauf qu’on ne trouvera pas Philippe Hersant dans une « traduction » directe de ces Rêveries, lieu géométrique tout en courbes d’interrogation sur soi, et si tentant. Mais du côté d’un de ceux qui obéirent pleinement à l’ultérieure définition de Rimbaud (« Il faut être voyant, se faire voyant »), Friedrich Hölderlin, lui-même intensément admirateur du Citoyen de Genève, et qui en témoigna dès ses poésies de jeunesse, puis dans les œuvres de la maturité (« et tu poursuis, pareil aux morts sans sépulture, ta marche errante, et personne ne sait te dire ton chemin »).Dans l’immense Ode Au Rhin «Celui qui reçut comme toi en partage, Rousseau, une âme qui ne peut être soumise, une âme de très profond support, Et ce son si doux de savoir entendre et parler… ». Et encore, par allusions dans la période énigmatique dite de « la longue folie » (chez le menuisier Zimmer quand je-Hölderlin est un-autre, devenu Scardanelli ) : « O forêts si joliment peintes Sur le penchant du coteau vert Où serpente ma promenade… Et la beauté qui sourd aux sources De l’Image toute première», « Jeunesse a fui, lointaines, si lointaines heures, avril et mai, juillet aussi sont partis, Je ne suis plus ! ». Ces 5 Poèmes, relais profondément rousseauiste, Philippe Hersant les « confie à un petit ensemble de 8 chanteurs et 4 instrumentistes pour les installer au cœur de la partition » : des Solistes de Lyon, Y. Takeushi, M.Tassou, L.Dugué, S.Jouffroy, S.Chaulien,F.Roche, E.bazola, J.Bona pour le chant ; W.Latchoumia, J.Di Donato ; F.Prat et N.Fritot (Orchestre des Pays de Savoie)pour les instruments.

Un plasticien , la pervenche, l’herbier et les écorces

Mais alors, objecteront certains, on renonce – Rousseau ou Hölderlin – aux délices du texte proprement…dit, sinon déclamé ? Que non pas, répond un autre membre du Quatuor Jean-Jacques, le metteur en espace Jean Lacornerie – un kurt-weillien obstiné, qui après avoir fondé-dirigé Ecuador, travaillé aux Arcs avec Bernard Yannotta et dirigé la Renaissance d’Oullins conduit maintenant le Théâtre lyonnais de la Croix-Rousse-, en revient à l’archéologie des Rêveries, un » jeu de cartes » (27 ou 30 selon les décomptes et « rangements » dans les papiers du marquis de Girardin, l’hôte ultime – si émouvant – de l’exilé à Ermenonville) : « ma vie entière n’a guère été qu’une longue rêverie divisée en chapitres par mes promenades de chaque jour. » Le comédien, Marc Berman (formé chez Ariane Mnouchkine et Grotowski), « en portera le texte et incarnera le promeneur solitaire ».

Et voici le 4e – un peu inattendu – de ce Quatuor, « un plasticien, autre maître-promeneur – qui adolescent « arpenta la campagne d’Illiers-Combray », le temple proustien de la Nature -, et, musicien-interprète, n’a cessé de se passionner pour l’Antiquité grecque, dans la familiarité avec Jean-Pierre Vernant et le questionnement des mythes. « Modernité saisissante alliée à la puissance, grammaire où s’expriment le corps humain et les arbres », et ici « créateur en direct de paysages faits d’empreintes d’écorces d’arbres », Lionel Guibout retrouvera en Jean-Jacques le botaniste déchiffreur scientifique et surtout fixateur du flux mémoriel : « errer seul, sans fin et sans cesse, parmi les arbres et les rochers,… l’or des genêts et la pourpre des bruyères, dans une sorte d’extase, livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela… ». Que l’on se rappelle l’épisode de la pervenche, conté au 6e Livre des Confessions, (« Maman » montre à son « Petit » « quelque chose bleu dans la haye et dit : voilà de la pervenche encore en fleur »), qui fait penser à l’ultérieur chant de la grive dans les Mémoires de Chateaubriand, voire même à quelque madeleine proustienne : « maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées (des montagnes), dira Jean Jacques dans la 7e Rêverie, je n’ai qu’à ouvrir mon herbier, et bientôt il m’ y transporte. Cet herbier est pour moi un journal d’herborisations, qui me les fait recommencer avec un nouveau charme et produit l’effet d’une optique qui les peindrait derechef à mes yeux. »

De Savoie en Suisse

Ce spectacle en kaléidoscope fort élaboré fait donc l’ouverture chambérienne (ô refuge des Charmettes, où Madame de Warens fut Maman pour le jeune et ardent Jean-Jacques !) de la célébration en Rhône-Alpes d’une année-tricentenaire. L’Orphée et Eurydice de Gluck, tant admiré par Rousseau, sera donné au printemps en divers lieux (Orchestre Pays de Savoie, N.Chalvin : 24 avril, MC 2 Grenoble puis Chambéry, Belley,Villefontaine, Albertville) ; une pièce de théâtre, des spectacles de rue… avec parcours en forêt ou sites alpins et franciliens, des rencontres-débats, des pique-nique républicains (le 28 juin, avec lectures de textes rousseauistes), des colloques, des expositions enrichiront ce dispositif piloté par la Région Rhône-Alpes, en lien avec Turin, Dijon, l’Oise et le Val d’Oise…Et bien sûr Genève, où dès fin janvier seront donnés par l’orchestre de l’Opéra Studio La Serva Padrona de Pergolèse, et Le Devin du Village, narrant sous la plume musicienne du Maître les aventures touchantes de Colin et Colette. En attendant septembre et la création mondiale d’un opéra de Phiippe Fénelon, « JJR », mis en scène par Robert Carse, bien des expositions, débats, colloques, promenades, banquets… Et en juin la sortie du film « Le nez dans le ruisseau » (…c’est la faute à R…), de Christophe Chevalier, tourné à Confignon avec en premiers rôles Sami Frey et Anne Richard….

Chambéry, Espace Malraux, 20 janvier 2012, 20h30 ; Saint-Etienne, Opéra-Théâtre, 24 janvier, 20h ; Lyon, Théâtre Croix-Rousse, 8 février 20h : Philippe Hersant, Les Rêveries (J.J.Rousseau), dir. musicale Bernard Tétu, mise en scène J.Lacornerie, espace plastique, Lionel Guibout.
Information et réservation : T. 04 72 98 25 30 ; www.solisteslyontetu.com
T. 04 79 85 55 43 ; www.espacemalraux-chambery.fr;
T. 04 77 47 83 40 ; www.operatheatredesaintetienne.fr;
T. 04 79 33 42 71 ; www.orchestrepayssavoie.com.
Région Rhône-Alpes : www.rousseau2012.rhonealpes.fr;
Ville de Genève : www.ville-gez-ch/culture/rousseau…

Derniers articles

CRITIQUE événement. COFFRET : BRAHMS / GARDINER. Symphonies n°1 – 4. Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam (2021, 2022, 2023 – 3 cd DG Deutsche Grammophon)

18 ans après les avoir jouées et enregistrées avec l’Orchestre romantique et révolutionnaire (2007), John Eliot Gardiner reprend l’étude...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img