Les siècles à Poitiers
Le Théâtre Auditorium de Poitiers accueillait hier soir l’orchestre Les siècles dirigé par son chef-fondateur François-Xavier Roth. Fondé en 2003, Les Siècles jouent sur instruments historiques, selon les auteurs abordées, d’époque ou modernes; la phalange sert un vaste répertoire qui s’étend de la période baroque à la période contenporaine. En ce 30 mars c’est le célèbre cycle de lieder Die Winterreise composé en 1827 par Franz Schubert (1797 1828), un an seulement avant le décès du compositeur, qui était au programme. Si l’orchestration de Hans Zender (compositeur et chef d’orchestre allemand né en 1936) peut surprendre, tant par l’utilisation d’instruments qui ne font habituellement pas partie de l’orchestre (guitare, accordéon, machine à vent, bâtons de pluie, xylophone) que par celle d’un mégaphone, heureusement rare par le ténor Hans Jörg Mammel en cours de soirée, on retrouve aisément la musique de Schubert. Pour son ultime cycle, d’abord composé pour ténor et piano, le jeune compositeur s’est basé sur les poèmes de Wilhelm Müller; cela n’a pas empêché de nombreux barytons de s’emparer de l’oeuvre pour en donner leur propre interprétation (Thomas Hampson, José Van Dam, Dietrich Fisher-Dieskau entre autres).
Une direction remarquable …
François Xavier Roth dirige ses musiciens de mains de maître; la direction est claire, précise, d’un dynamisme remarquable qui donne au cycle une vitalité exceptionnelle. Les vents et les cuivres qui entrent en jouant ne sont pas toujours sur scène, se déplaçant de temps à autre, jusque dans la salle, accentuent l’intimisme qui transparait ici et là dans le testament musical que constitue Die Winterreise. Toute la partie musicale est parfaitement exécutée même si par moments l’orchestre a tendance à jouer un peu fort mais cela reste secondaire au vu de l’excellente performance à laquelle nous avons assisté hier soir. Le choix d’un effectif réduit, seulement vingt cinq musiciens est d’autant plus judicieux que la partie musicale, introduction et accompagnement de chaque lied, ressort avec plus de force et de brillant; d’autre part servie par un chef aussi talentueux et charismatique que François Xavier Roth, l’orchestration très moderne de Zender se teinte de très belles couleurs et rend justice à la très belle oeuvre de Schubert.
… et un ténor très en voix …
C’est le ténor allemand Hans Jörg Mammel qui chantait le cycle-testament de Schubert. Si l’on peut regretter l’utilisation d’un mégaphone, même courte, dans Gutte nacht et dans Die post, la voix est sûre, ferme et le chanteur ne tremble pas face aux pics de la partition déjà peu évidente dans sa version originale. Nous apprécions également de voir à quel point Mammel a la souci du mot avec une diction remarquable; D’aucun serait tenté d’arguer que l’artiste est allemand et que c’est chose normale que la diction soit impeccable puisqu’il chante dans sa langue et pourtant nous savons à quel point rien n’est plus difficile que de chanter dans sa propre langue tant il peut être aisé de céder à la facilité. Cependant Mammel ne tombe pas dans le piège de la paresse: le chanteur sculpte chaque lied avec une sureté de métier confondante; il n’est jamais figé et donne autant à voir de par ses expressions qu’à entendre faisant de son interprétation un tout parfaitement cohérent, se fondant aisément avec la magnifique interprétation musicale de François-Xavier Roth. Nous ne pouvons qu’apprécier la musicalité incomparable de l’artiste qui permet aussi aux non germanistes de comprendre chaque lied par une gestuelle délectable.
… Pour une soirée mémorable
Si donner une excellente interprétation de la version originale pour ténor et piano est déjà difficile, relever le pari d’une interprétation pour voix et orchestre dans une version aussi moderne est tout à fait exceptionnel; le succès de la soirée étant principalement dû à la complicité notable entre le chef, le chanteur et les musiciens. Reste à espérer que cette version originale servie par des interprètes excellents soit bientôt éditée en cd pour qu’un plus large public puisse en profiter.
Poitiers. Auditorium, le 30 mars 2011. Franz Schubert (1797 1828)/Hans Zender (né en 1936): Die winterreise composé en 1827 sur des poèmes de Wilhelm Müller. Hans Jörg Mammel (ténor), Orchestre Les siècles. François-Xavier Roth, direction.Compte rendu rédigé par Hélène Biard