L’Orchestre Poitou Charentes sous la direction de Jean-François Heisser
par notre envoyée spéciale, Hélène Biard
Lors de la saison 2011/2012, le Théâtre Auditorium de Poitiers avait mis en place un fil rouge autour des pays de langue hispanique; pour la nouvelle saison 12-13, ce sont les États Unis d’Amérique qui occupent le haut de l’affiche. Le dit fil rouge a été confié pour la musique, entre autres formations, à l’Orchestre Poitou Charentes qui, après le très beau concert Haydn/Dutilleux/Strauss du 20 octobre dernier, a donné samedi soir les deux premiers concerts consacrés uniquement à des compositeurs américains. Au début du premier concert, le chef d’orchestre Jean-François Heisser s’avance pour présenter le programme et notamment l’oeuvre de Charles Ives (1874-1954) intitulée « The unanswered question », ajoutée au programme au dernier moment.
Les États Unis au Théâtre Auditorium de Poitiers
Composée en 1906, « The unanswered question » présentée d’entrée de jeu comme une oeuvre atonale, s’avère être un savant mélange de musique tonale et atonale. On trouve dans cette oeuvre très courte, elle dure moins de dix minutes, la rencontre de deux univers que Ives a parfaitement intégré. Pour des raisons restées mystérieuses « The unanswered question » n’a été créée qu’en 1940, soit plus de trente ans après qu’elle ait été composée, sous la direction du compositeur Aaron Copland (1900-1990). Le dialogue entre les cordes en coulisses, placées sous la direction ferme et attentive de Jean-François Heisser, la trompette soliste sur scène et le quatuor de vents dans la loge se fait avec une précision étonnante et avec une éloquente simplicité ; l’œuvre résonne dans la salle tel un appel à suivre un chemin nouveau.
Pour jouer la Sérénade pour quintette à vent de Steven Stucky (né en 1949), ce sont les solistes de l’Orchestre Poitou Charentes qui s’avancent sur le plateau. L’oeuvre a été composée et créée en 1990 suite à la commande du Pennsylvania Quintet. Stucky a composé des pages complexes et d’une difficulté réelle poussant les instrumentistes à se surpasser en permanence. Dans la Sérénade, les changements d’instruments sont réguliers surtout pour la flûtiste qui utilise trois flûtes différentes; les cinq instrumentistes qui se connaissent bien jouent la musique du compositeur texan dans un accord parfait, se jouant des pièges de la partition sans aucune faiblesse. Le travail rigoureux réalisé en amont est d’autant plus nécessaire et remarquable que Stucky a composé des pages redoutables dont les musiciens ont su rendre toute la beauté avec un talent incomparable.
Apalachian Spring, ou « La source des Apalaches » composée en 1943 par Aaron Copland (1900-1990) trace un portrait haut en couleurs de la chaîne de montagnes bien connue des États Unis : les Apalaches; à l’origine Apalachian spring est un ballet composé pour Martha Graham, qui en est la commanditaire, mais rapidement c’est la « suite » pour orchestre, forme abrégée du ballet, qui s’impose. Jean-François Heisser dirige son orchestre enfin au complet avec tant de passion qu’il ne peut s’empêcher de « danser » sur son estrade. L’oeuvre de Copland qui est une fresque vivante et colorée est jouée avec un dynamisme et une fraîcheur plaisants. Sans que le public n’ait besoin de quitter son siège, l’envol vers le beau voyage dans la très ancienne chaîne des Apalaches est réel.
Pour clôturer le premier concert de ce samedi, l’Orchestre interprète Knoxville : Summer of 1915 de Samuel Barber (1910-1981). Composée en 1938, l’oeuvre ne fut créée qu’en 1948 par la soprano Eleanor Steber, qui en était la commanditaire, accompagnée par l’orchestre de Boston placé sous la direction de Serge Koussevitsky. Pour l’occasion, Jean François Heisser a invité la soprano géorgienne Mariam Gegechkori; si l’artiste a une voix plaisante, la diction constitue son grand point faible. A aucun moment Gegechkori ne parvient à se faire comprendre ni à s’imposer. On peut le regretter car le texte de Knoxville, tiré de la nouvelle éponyme de James Agee, ne manque pas de richesses; richesses qui de ce fait ne brillent pas autant qu’elles le devraient.
Lors du second concert de samedi, l’Orchestre Poitou Charentes s’attaque à un des grands standards des films d’horreur : Psychose, réalisé en 1960 par Alfred Hitchcock (1899-1980). La musique du film est signée Bernard Herrmann (1911-1975) qui est devenu célèbre pour ses nombreuses musiques de film composées pour Hitchcock, bien sur, mais aussi Orson Welles (Citizen Kane), François Truffaut (La mariée était en noir) ou William Dieterle (The devil and Daniel Webster)… La musique d’Herrmann colle parfaitement au film et l’ambiance glaciale des images transparait nettement dans la musique, laquelle est jouée d’une manière électrisante par un orchestre survolté, sous la baguette vive de Jean-François Heisser.
La soirée s’achève avec la Sérénade pour violon et orchestre de Léonard Bernstein (1918-1990); couronné de succès grâce à la comédie musicale West side story, Bernstein, qui était aussi un chef d’orchestre reconnu, a également composé des oeuvres de musique instrumentale de très belle facture. Pour interpréter la sérénade pour violon et orchestre, le chef a invité une étoile montante du violon : Tai Murray. A 29 ans, la jeune femme fait montre d’une maitrise quasi parfaite ; son instrument résonne dans la salle tel le phénix prenant son vol; le chef expérimenté et la jeune prodige se sont visiblement trouvés ; ils se complètent à merveille donnant à la musique de Bernstein une moisson de couleurs et de sonorités qui n’auraient certainement pas déplu au compositeur lui-même.
Jean-Francois Heisser, qui a conçu le programme des deux concerts de samedi, démontre avec éclat qu’il est un musicien éclectique, un fin connaisseur des répertoires qu’il aborde et un chef remarquable : il dirige son orchestre avec une souplesse et une fermeté bienvenues. Sous l’impulsion d’une telle baguette, l’Orchestre Poitou Charentes multiplie les prouesses exaltantes: il se dépasse sans faiblir, développe avec bonheur un répertoire qui couvre plus de quatre cent ans d’histoire de la musique, sait sortir des sentiers battus en participant de plus en plus souvent à des évènements hors du territoire régional.
Poitiers. Théâtre, le 17 novembre 2012. Charles Ives (1874-1954) : The unanswered question; Steven Stucky (né en 1949) : Sérénade pour quintette à vent; Aaron Copland (1900-1990) : Appalachian spring; Samuel Barber (1910-1981) : Knoxville : Summer of 1915 pour soprano et orchestre; Bernard Herrmann (1911-1975) : psychose, suite pour cordes; Léonard Bernstein (1918-1990) : sérénade pour violon et orchestre. Mariam Gegechkori, soprano; Tai Murray, violon; Orchestre Poitou Charentes; Jean-Francois Heisser, direction.