mercredi 23 avril 2025

Rendez-vous de Rochebonne (Rhône). Eglise de Rochebonne, Theizé (69), le 30 septembre 2007. Concert de clôture. Brahms et Tchaïkovski

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Les Victoires des Athéniens

Qu’est-ce qui « fait l’âme » en musique de chambre, à 2, 3 ou 5, hormis un petit cylindre au centre des instruments à cordes ? Parfois c’est la rencontre peu dessinée à l’avance d’artistes et d’une œuvre qui justement, au-delà des difficultés vaincues, exige et prouve cette âme. En fin de Week-end, dans l’église gothique de Rochebonne, la violoniste Marie-Annick Nicolas, le pianiste François Daudet, la violoncelliste Valérie Aimard ont fait jaillir cela autour du Trio de Tchaikovski. Les deux premiers, il est vrai, jouent et enregistrent ensemble, et cet accord s’était montré enthousiasmant dans la Sonate op.108 de Brahms. F. Daudet va et vient, pleinement équilibré, sans démesure du moi, d’un piano-orgue, orchestral, à un clavier des transparences ; M.A.Nicolas, au son infaillible et tout d’ardeur, semble se tenir à la proue de son discours, telle ces Victoires que les Athéniens plaçaient, dit-on, à l’avant de leurs navires pour affronter la mer et leurs adversaires. Cette générosité ample, sans pathos mais d’émotion sous-jacente, « accompagne » sans faille la solitude habitée du Brahms des dernières années.

Le Trio De Anima ?

Puis vient la déraisonnable et céleste longueur du Trio en deux immenses mouvements écrit par Tchaikovski en 1881 à la mémoire de son ami Nicolas Rubinstein. Ce poème ne figure pas au panthéon officiel de la musique de chambre, mais ceux qui l’aiment ne le trouvent pas indigne d’un compagnonnage avec le Trio en mi de Schubert. Il appartient à ces œuvres qui , en musique mais aussi dans les autres arts, élargissent l’esprit et le cœur pour s’interroger sur le temps et l’espace intimes, à travers l’audace et la beauté. Pourtant Tchaikovski détestait l’union en duo ou en trio du violon et du violoncelle. Y joignant le piano – l’instrument du soliste qu’était Rubins-
tein -, il se fit violence, sans doute pour mieux célébrer les rigueurs et l’au-delà – peut-être – de la Mort, Absente-Présente qui hante le pezzo elegiaco, puis le tema con variazioni (andante). Pour tout subordonner à cette pensée qui jamais ne s’éloigne, il faut que les artistes acceptent, au-delà du rôle glorieux que leur assignent le souffle et la virtuosité, de se placer paradoxalement à « l’arrière-plan ». C’est ici que la venue d’une instrumentiste comme Valérie Aimard, évidemment placée à un identique niveau d’exigence sonore, est une chance pour ce trio pour l’instant sans nom – tiens, on leur suggère un « De Anima », « (venant) De l’Ame »…-, parce qu’elle leur confie son équilibre ardent mais pudique et leur transmet sa capacité d’interrogation (philosophique ?). Ces trois-là savent se regarder, non pour se féliciter d’avoir franchi sans broncher tel gué individuel, mais pour mesurer les résonances intérieures de chaque étape initiatique.

Finie la mort

Dès l’énoncé, tout à tour, de l’admirable thème qui irrigue tout -, on sent qu’un arc va se tendre vers la coda bouleversante. Au bloc sombre, à plusieurs reprises faillé mais unifié par ce chant aux échos religieux (orthodoxes) de l’elegiaco, succèdera sans affaiblissement ce que des frivoles autosatisfaits (mais si, il y en a !) prennent pour occasions de jolis épisodes séparés : les facettes (« variazioni ») d’un portrait de Rubinstein. Berceuse, valse de la vie en fuite, échos d’hymne du sacré, appels dans l’ombre, risées sur l’eau du souvenir composent ce trio, longue nouvelle en même temps que poème. Russe totalement : on n’y évoquera pas au hasard chez Tolstoï le Prince André agonisant sur le champ de bataille dans Guerre et Paix, ou plus encore la Mort d’Ivan Ilitch : le corps qui se détache, peut-être l’âme qui s’évade, et l’acceptation que « ce soit seulement cela : finie la mort, elle n’est plus ! » Avec les trois de Rochebonne, à la fin de l’œuvre, le son se raréfie, les notes dernières entrent dans le silence et s’en laissent envahir…Le public, lui aussi, accepte : il laisse un vrai et « long » intervalle de respect, d’émotion, avant de faire jaillir sa joie.
A Rochebonne, il n’y avait pas de micros. De grâce, qu’un éditeur de disques intervienne ! Dans le creuset et au risque du concert, ce serait mieux ; mais va aussi pour le vide étrange du studio. Ces riches heures-là, il faut en fixer le témoignage, ne pas laisser se perdre ce Temps.

Festival Les Rendez-vous de Rochebonne. Eglise de Rochebonne, Theizé (69), dimanche 30 septembre 2007.
Johannes Brahms (1833-1897) : 3e Sonate op.108. Piotr Ilyitch
Tchaikovski ( 1840-1893)
: Trio op.50. Marie-Annick Nicolas (violon), François Daudet (piano), Valérie Aimard (violoncelle).

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