mardi 22 avril 2025

Richard Strauss: Ariadne auf Naxos, 1916 Liège, ORW. Du 25 janvier au 3 février 2009

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Richard Strauss,
Ariadne auf Naxos
, 1916

Liège, Opéra Royal de Wallonie
Du 25 janvier au 3 février 2009
Nouvelle production

Laurence Dale, mise en scène
Patrick Davin / Edouard Rasquin, direction

Le Chevalier à la Rose est à peine créé à l’Opéra Royal de Dresde, le 26 janvier 1911, que dès la fin mars Hugo von Hofmannsthal écrit à Richard Strauss qu’il a, « quasiment terminé dans sa tête, un petit opéra de trente minutes pour orchestre de chambre intitulé Ariane à Naxos, où des personnages héroïques issus de la mythologie, en costumes du XVIIIe siècle, sont mélangés à des personnages de la commedia dell’arte ». L’assiduité de Hofmannsthal à l’élaboration de l’oeuvre straussienne n’aura, au départ, d’égal que le dédain du compositeur: « Travaillez, travaillez, et faites-moi plaisir en m’envoyant bientôt quelque chose de positif. » De Garmisch, Strauss l’encourage pourtant à poursuivre et, quelques mois plus tard, semble acquis au projet: « Ravi de votre lettre ! Envoyez, je suis prêt ! » Après de longs échanges épistolaires, parfois non dénués d’effronterie dans la plume de Strauss ni de désillusion dans celle de Hofmannsthal, naît une première version d’Ariadne auf Naxos. L’oeuvre conçue pour être représentée à la suite d’une adaptation (par Hofmannsthal, en langue allemande) du Bourgeois Gentilhomme de Molière, sertie d’une musique de scène composée par Strauss, n’obtient pas l’accueil escompté, lors de sa création le 25 octobre 1912 au Hoftheater de Stuttgart, en dépit de la présence du compositeur au pupitre et de la brillante direction d’acteurs du génial Max Reinhardt. La réception mitigée amène librettiste et compositeur à envisager d’emblée une révision en profondeur, abandonnant toute interférence avec la pièce issue de l’oeuvre de Molière, mais tout en conservant la forme du diptyque. L’intermezzo (censé, dans l’adaptation de Hofmannsthal, remplacer le Ballet imaginé par Lully en 1670 pour le Bourgeois Gentilhomme) est transformé fondamentalement. Dépassant le rôle d’introduction théatrale qui lui était assigné au départ, il devient un véritable Vorspiel en musique. Afin de ne pas renoncer entièrement à l’esprit du théatre du XVIIIe siècle qui avait séduit tant Hofmannsthal que Strauss, le Vorspiel garde un caractère nettement déclamatoire ainsi qu’un rôle parlé, celui du Majordome (Haushofmeister). Le Prologue, ainsi métamorphosé, donne à présent tout son sens à l’Opéra (en un acte) qui le suit. La première de cette version définitive a lieu à la Hofoper de Vienne le 4 octobre 1916. Le succès, jamais démenti depuis lors, est cette fois au rendez-vous. La musique de scène de la version d’origine sera elle aussi remaniée et Strauss en tirera plus tard la suite pour orchestre Der Bürger als Edelmann.


Un opéra dans l’opéra

Une soirée mondaine dans la Vienne rococo: un mécène, l’homme le plus riche de la ville, reçoit la jet set ! Le clou de l’événement sera le feu d’artifice. Le Majordome est chargé de veiller à ce que le spectacle pyrotechnique ne soit pas retardé par la double représentation prévue pour le plaisir des invités: un opera seria sur le thème d’Ariane, première oeuvre d’un jeune compositeur idéaliste, et une comédie bouffone par une troupe italienne, menée par la frivole Zerbinette. D’évidence la solution s’impose au mécène, qui ordonne à son Majordome d’annoncer aux artistes, compositeur, maître de musique et maître à danser, que pour éviter tout retard les deux représentations seront données … simultanément ! Mélange inédit de seria et de buffa, la décision du mécène crée la stupeur et nourrit la méfiance et la jalousie entre la Prima Donna (Ariane) et la troupe de Zerbinette. Opéra dans l’opéra, tel est le prétexte à ce troisième chef-d’oeuvre du duo Strauss-Hofmannsthal, après Elektra (1909) et le Rosenkavalier (1911). Suivront par après, dans cet irréprochable florilège, Die Frau ohne Schatten (1919), Die Aegyptische Helena (1928), Arabella (1933) …

La légèreté apparente du propos cache en réalité une oeuvre foisonnante de questionnements, car au-delà du mythe et de la truculence bouffonne, s’opposent, en Ariane et Zerbinette, deux conceptions de l’amour: l’amour sérieux, responsable, mesuré, incarné par Ariane, impliquant fidélité absolue à l’être aimé qui ne peut qu’être unique; et celui plus fougueux et capricieux, pour ne pas dire volage, pratiqué par Zerbinette. Excellent prétexte pour Strauss pour inclure dans la partition un « air du catalogue » recensant les multiples amants de Zerbinette, clin d’oeil sophistiqué à Mozart. Inconsolable après avoir été abandonnée par Thésée, Ariane invoque la mort pour échapper à son sort malheureux. En vain Harlekin tente-t-il de la dérider avec une petite chanson: « so versuchet doch ein kleines Lied ! ». Même Zerbinette avec son aria de bravoure, ne parviendra pas à convaincre Ariane à renoncer à la tristesse et à embrasser une nouvelle vie. Tout changera à l’arrivée d’un jeune homme, un Dieu, Bacchus, qui par la douceur de sa voix et la vertu de l’amour saura transfigurer la princesse morne et esseulée … D’autres propos sont abordés en filigrane, le rôle de l’Art dans la société, le mécénat, les rapports entre le texte et la parole. Strauss y reviendra 25 ans plus tard (mais sans Hofmannsthal, décédé en 1929) et développera ces thèmes avec brio et raffinement dans Capriccio (1942), son sublime adieu à l’opéra.

Le monde de Strauss n’est pas inconnu de Patrick Davin, premier chef invité de l’Opéra Royal de Wallonie, puisqu’en 2006 il a dirigé Arabella sur la scène liégeoise dans une coproduction du Capitole de Toulouse. Gageons que le public de la Cité Ardente se laissera volontiers captiver par cette nouvelle Ariadne, coproduite avec l’Opéra de Monte Carlo.

Illustration: Ariadne (1898) par le préraphaélite J.W. Waterhouse (DR)

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