L’Or du Rhin
Paris, Opéra Bastille
Du 4 au 28 mars 2010
Grand retour du Ring wagnérien sur les planches de l’Opéra National de Paris, cette fois à l’Opéra Bastille à partir du 4 mars 2010: l’allemand Günter Krämer (intendant général des scènes de Cologne) met en scène la Tétralogie dirigée par Philippe Jordan. Le cycle promet une réalisation très aboutie, entre symbolisme et politique, tout en variant les atmosphères selon les épisodes. Le prologue par lequel commence le cycle, L’or du Rhin (4 au 28 mars 2010) est un opéra éminemment politique qui met en avant l’organisation d’une société très hiérarchisée, quand Siegfried est davantage porté vers le conte.
Le Ring version Krämer
Pour Günther Krämer dont le premier Ring remonte à Hambourg dans les années 1990, L’Or du Rhin ( Der Rheingold) offre « l’image dune grande ville industrielle », proche en cela de la vision de 1976 de Chéreau, vision capitaliste des rapports humains, où effectivement règnent les rapports monstrueux du travail et du salaire, en réalité, de la manipulation et de l’esclavage. Krämer entend nous montrer la grève des Géants, l’exploitation du monde par les dieux menés par un Wotan triomphant qui a pour seul moteur, le désir du pouvoir total. Aucune des déités ne partagent de sentiments fraternels: tous sont égoïstes et parfaitement cyniques: Fricka défend une morale bourgeoise, Loge, critique beaucoup et se moque sans jamais trancher: esprit du feu, il est le premier qui annonce froidement la prochaine chute des dieux.
Le tableau penche vers une noirceur davantage terrifiante avec La Walkyrie où Krämer repère, après la vaine et fugace organisation hiérarchique de L’or du Rhin, l’émiettement du pouvoir central en heurts claniques, le chaos terrestre où la peur enfante la violence: d’où l’impuissance exaltée de Sieglinde, condamnée à mourir, d’où la domination de l’infâme Hunding, prince des ténèbres.
Après Siegfried que Wagner rend naïf et totalement manipulable (ce qui le conduit à sa perte), les Dieux usés précipitent eux mêmes leur disparition: la mort est une délivrance car l’immortalité fatigue, ainsi se réalise dans la dernière journée Le Crépuscule des dieux.
La lecture dramaturgique de Krämer suit précisément la musique de Wagner. Sans s’embarrasser des symboles habituels (lance pour Wotan, épée de Siegfried, casque ailée de Brünnhilde…), Günther Krämer souhaite laisser se développer l’action théâtrale en soulignant que « la beauté qui était là et qui tenait tout le monde ensemble, ne peut plus être retrouvée ». Son travail s’intéresse précisément, regard glaçant, réaliste voire fataliste, à « l’échec de la reconstruction ». « La globalité est une utopie du XIXè siècle et le fragment, une réalité du XXè siècle« , ajoute le metteur en scène.
En définitive, le Ring est le miroir de notre fin: l’apocalypse annoncé est déjà présent dans La Tétralogie. Au cynisme terrifiant de Loge de conclure, laissant démunie, impuissante, la pauvre Walkyrie humanisée dans sa plainte finale… Y a t il réellement une chance pour notre civilisation?
Richard Wagner: L’Or du Rhin. Opéra Bastille, du 4 au 28 mars 2010. Günther Krämer, mise en scène. Philippe Jordan, direction. Avec Falk Struckmann/Egils Silins (Wotan), Kim Begley (Loge), Peter Sidhom (Alberich), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Sophie Koch (Fricka)… Choeur et orchestre de l’Opéra National de Paris. Nouvelle production. Diffusion sur France Musique, samedi 13 mars 2010 à 19h. La Walkyrie est à l’affiche de l’Opéra Bastille à partir du 31 mai 2010.
Les propos retranscrits du metteur en scène Günther Krämer proviennent de son entretien sur L’Or du Rhin et La Tétralogie publié dans le journal de l’Opéra national de Paris, « En Scène! » n°3 (février/avril 2010). Distribué au Palais Garnier et à l’Opéra Bastille.