Arte, docu. Wagner : Rienzi. Découvrir un opéra, le 12 février 2014, 5h05. Oui c’est un peu tôt pour écouter Wagner mais cet opéra là mérite évidemment que l’on s’y penche. Opéra de jeunesse, où Wagner assimile et s’approprie idéalement le modèle du grand opéra fixé par Meyerbeer en France (grand choeur, sujet historique, rôles de solistes impressionnants…). Rienzi pose d’emblée la figure du politique d’abord vertueux, élu par la voix populaire mais rapidement manipulé et englouti par le souffle de l’histoire cynique : les hommes ont toujours aimé brûler les idoles qu’ils ont un temps vénéré. La figure du héros fragile (annonçant ainsi Siegfried) se précise dès Rienzi. L’ouvrage connut un succès immense non pas à Paris où Wagner présent dans la capitale (1839) souhaitait le faire créer, mais à Dresde en 1842 : le jeune compositeur obtient alors le poste de Kapellmeister à la Cour de Saxe dès 1843, grâce à l’impact de son opéra. Volontiers déclamatoire, l’écriture de Rienzi brosse l’éclat du tribun qui se voue au bien public. Sa relation avec sa sœur Irène (grand soprano lyrique) est l’un des atouts de la partition, et exige deux interprètes de premier plan (duo extatique et solennel du V): le ténor est ici la clé de voûte d’un opéra magnifiant le politique vertueux, investi par une mission d’ordre spirituel. Constituant le trio tragique, Adriano (rôle travesti pour mezzo), l’amoureux d’Irène est lui aussi un personnage spectaculaire plein de fougue et de verve démonstrative, en particulier dans la dernière scène où il rejoint le couple fraternel dans le Capitole en flamme, incendié par le peuple versatile et manipulé qui rejette ce qu’est devenu Rienzi. Annonciateur des figures torturées de Tannhäuser, de Siegmund, et dans une moindre mesure de Lohengrin, le rôle de Rienzi demande une tessiture étendue et un souffle illimité, en particulier dans son grand solo du V (Allmächt’ger Vater): invocation en forme de prière d’une intensité épique irrésistible. Impressionnante par ses marches, processions, cérémonies, émeutes (annonciatrices des révolutions à venir), la partition suscite l’admiration du public à sa création. Wagner la reniera par la suite, raison pour laquelle elle ne figure toujours pas dans la programmation de Bayreuth.
Paris, 1839. Rienzi incarne finalement pour Wagner l’échec de son rêve parisien. A Paris, le jeune compositeur s’était vu supplanter la figure des plus grands compositeurs de Meyerbeer à Halevy, même les vaincre sur leur terrain : le grand opéra. Les trois derniers actes de Rienzi sont composés à Paris en 1839-1840. Wagner y recycle la leçon d’Auber dont il avait apprécié au plus haut point La Muette de Portici, important l’esprit insurrectionnel et révolutionnaire et aussi le sujet épique portant aux nues (puis dans sa déchéance solitaire), un tribun élu par le peuple aux plus hautes fonctions : Colà di Rienzo (figure populaire de la Rome du XIVème siècle). Chœur du peuple ivre de liberté, adoration d’un héros désigné… autant de « formules « désormais identifiées qui permettent la réalisation de l’esthétique du caractéristique, prônée par Hugo. Le feu d’une expression collective se répand ici dans les premiers actes ; puis, Wagner, dans le sillon de Halévy, change son écriture pour un schéma plus introspectif et clairement psychologique. Le dernier acte est le miroir d’un drame intérieur, celui de Colà di Rienzo : du collectif spectaculaire et fougueux à l’individuel tiraillé, solitaire et tragique, l’architecture dramatique s’inspire clairement de Halévy et surtout des Huguenots de Meyerbeer (1836). De toute évidence, Rienzi marque la maturité du jeune Wagner et aussi son échec amer à Paris, alors incapable de mesurer la modernité qui couve dans sa jeune inspiration…
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