mercredi 23 avril 2025

Robyn Orlin relit Haendel: une chorégraphe engagée. Arte, lundi 16 juin 2008 à 22h30

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Robyn Orlin
Chorégraphe engagée

Arte
Lundi 16 juin 2008 à 22h30

Documentaire. Réalisation: Philippe Lainé et Stéphanie Magnant. 1h30 mn, 2007.

Robyn de Johannesburg
A 53 ans, Robyn Orlin, née d’un père lituanien et d’une mère elle-même danseuse émigrée en Afrique du Sud, est l’une des chorégraphes engagées les plus controversées: marquée pas les inégalités liées aux différences de « couleurs » de peau, opposée à l’Apartheid et le système élitiste instauré par les africaners, l’artiste mène un combat militant sur la scène. Pour elle, danse et opéra sont des manifestations du goût bourgeois oppresseur. Autant dire que la confrontation avec le corps de ballet de l’Opéra de Paris, bien peu habitué à défendre un spectacle d’opinion voire de revendication, s’est avérée tendue et même électrique. D’un côté la chorégraphe n’est pas ou plus familière de la danse classique, trop « sérieuse » et connotée colonialiste; de l’autre, les danseurs et étoiles ne sont guère aidés par un maître de ballet qui d’emblée leur dit n’avoir pas de plan prédéfini et improviser en fonction de ce que lui donnent les danseurs… l’impasse est souvent récurrente dans ce travail en quête de sens, de langage, de formes, de signes. En plus des mouvements dansés, la chorégraphe a choisi de diffuser sur scène, des images de reportage qui montre les effets de la ségrégation… documents souvent insoutenables, miroir de la barbarie d’un monde qui est le nôtre…

Où commence l’art du danseur? Où s’arrête son travail? Yann Bridard incarne les angoisses de l’interprète confronté à ce qui le dépasse: « je veux bien faire ce que vous voulez mais ne me demandez pas d’être d’accord avec vous » précise le danseur lors d’une répétition collective où chacun se demande ce que la danse peut apporter en plus des images… Au demeurant le sens est au centre de la démarche d’une chorégraphe qui, si elle n’a pas trouvé véritablement son langage, reste une rebelle épidermique dont l’extravagance suscite de vives réactions. Nous l’avons vu récemment en mars 2008, sur la scène du Théâtre de la Ville à Paris, où dans un show décalé intitulé « Dressed to kill… Killed to dress« , Robyn Orlin offrait à des danseurs de la rue, d’être le temps d’une performance parisienne, des top-models bien peu « conformes »…

Plutôt dénoncer que plaire
Pour l’Opéra de Paris, l’artiste aussi menue que suractive, derrière ses lunettes de jeune fille faussement innocente, met en scène et en danse l’oratorio de Haendel, L’Allegro, Il Penseroso ed il moderato: la partition baroque datée de 1740, d’après le livret de Charles Jennens, est un vaste poème épique dessinant l’homme dans son rapport à la nature dont la chorégraphe sud africaine, née à Johannesburg, fait un parcours de la vie du danseur et surtout un acte violent et politique. Plutôt dénoncer que plaire. L’écart des disciplines est total: dans la fosse, William Christie et Les Arts Flo répètent, sans jamais être questionnés sur le spectacle qui se donne sur les planches… La troupe des danseurs se débrouille chacun selon sa résistance à la nouveauté… avec les indications parfois énigmatiques de Robyn Orlin. A vrai dire, celle qui a puisé dans la culture zoulou, les signes dénonciateurs de sa danse militante et d’intervention, est elle même peu à son aise sous les ors du palais Garnier, dirigeant une troupe plus familière de Giselle ou de la Bayadère… On admire le génie d’un Nicolas Leriche, danseur étoile aussi agile qu’espiègle, jamais en panne d’une idée esthétique et poétique, capable de transfigurer l’idée de la chorégraphe, en pose comme en maintien de grand style: qu’il s’agisse d’évoquer les mouvements d’un cygne, ou l’élégance maniérée d’un courtisan baroque, le corps du danseur canalise ce qui fait la grandeur de l’artiste: un sens inné de la ligne.

Choc des cultures
Le documentaire captive: en suscitant un choc de cultures et de sensibilités, il démontre l’identité des êtres invités à jouer ce ballet de l’analyse et de la critique, du dévoilement en recherche de sens, de la place du danseur dans le monde actuel… Si la danse doit être un engagement voire un combat par le langage du corps, le travail de Robyn Orlin a le mérite de mettre en lumière l’errance souvent démunie des danseurs de la troupe parisienne: mines et visages vidés, regards interrogatifs et dubitatifs… le vrai sujet du film est là: un danseur classique peut-il se libérer d’un langage dont il a fait son métier? Jusqu’où un chorégraphe peut-il emmener ses « disciples »? La scène doit-elle dénoncer, et l’artiste peut-il critiquer? Confrontés au dépassement, à la rupture, au défi de l’improvisation (ce que réussit pourtant Marie-Agnès Gillot), les danseurs de l’Opéra paraissent déconcertés par l’absence de règles et de cadre… Ce « vertige » perceptible, qui n’ôte en rien l’excellence de leur technique, reste l’apport criant du documentaire. Initiateur du projet, Gérard Mortier aime mêler les disciplines apparemment opposées ou inconciliables, surtout susciter la pertinence d’une culture engagée… A torts ou à raisons. Confrontation riche de sens. Captivant.

Robyn Orlin. L’Allegro, il penseroso ed il moderato de Haendel. Ode pastorale en trois parties (1740) d’après le livret de Charles Jennens d’après John Milton. Spectacle présenté en création au Palais Garnier, le 23 avril 2007.

Musique Georg Friedrich Haendel
Chorégraphie et vidéo Robyn Orlin
Réalisation vidéo Philippe Lainé
Costumes Olivier Bériot
Lumières Marion Hewlett

Kate Royal, soprano,
Toby Spence, ténor,
Roderick Williams, basse
Soliste du Tölzer Knabenchor

Nicolas Le Riche, Yann Bridard, Alice Renavand
Caroline Bance, Miteki Kudo, Béatrice Martel, Céline Talon, Alexandra Cardinale, Christelle Granier, Charlotte Ranson, Ninon Raux, Ghyslaine Reichert, Josua Hoffalt, Yong Geol Kim, Simon Valastro, Sébastien Bertaud, Vincent Chaillet, Vincent Cordier, Aurélien Houette, Alexis Renaud. Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet. Orchestre et Choeur des Arts Florissants. Direction musicale William Christie

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