jeudi 24 avril 2025

Saint-Saëns, De Falla. Orchestre National de Lyon, Jun Märkl Lyon, Auditorium. Les 7 et 9 février 2008

A lire aussi

Saint-Saëns, De Falla

Orchestre National de Lyon
Jun Märkl
, direction

Les 7 et 9 février 2008

Lyon, Auditorium

Camille Saint-Saëns : 3e Symphonie. De Falla : Nuits dans les Jardins d’Espagne.
Orchestre National de Lyon. Jun Märkl, direction. Alexandre Tharaud (piano)


Un compositeur-organiste en résidence à l’ONL jusqu’en 2010, un brillantissime spécialiste de musique française au piano, un chef de culture allemande qui aime lui aussi beaucoup la musique française : le trio Märkl-Escaich-Tharaud se lance dans les solennités de la 3e avec orgue de Saint-Saëns, et les intimités si debussystes des Nuits dans les Jardins, de Falla.


Camille et son deus ex machina
En résidence et pour trois ans : la place du compositeur dans la vie d’un orchestre a bien été restaurée par l’initiative de Jun Märkl renouant de ce point de vue avec l’époque Krivine. Et la présence de Thierry Escaich – que nous avions soulignée au printemps 2007 dès son intervention de « préfiguration » en musique de chambre – est désormais affirmée par plusieurs programmations au cours de chaque saison. Thierry Escaich ne se contente pas d’être un compositeur-conseiller : ses exceptionnels talents de « claviériste » lui assurent une vraie place au cœur de l’orchestre et devant les publics. Dans le concert des 7 et 9 février, il sera même le « deus ex machina » instrumental, au sens plein des termes de l’expression latine. Car la 3e Symphonie de Camille Saint-Saëns est une des rares grandes œuvres avec orchestre qui incluent les tuyaux dans leur discours, pas seulement au titre décoratif. Et quels tuyaux ! L’Auditorium de Lyon abrite en fond de scène un ensemble prestigieux, qui « bourlingua » d’emploi en emploi, depuis son installation au Trocadéro de l’Exposition Universelle (1878), et « finit » à Lyon, via sa mise au repos dans la Salle de Chaillot et son réemploi dans les musiques de scène du TNP de Jean Vilar, après la Libération. Depuis 31 ans, à l’Auditorium, le spectacle organistique est en fond du décor, quand on ouvre sur les verticalités habituellement dérobées au regard.

Des aberrations charentonesques ?
Quelle meilleure apparition que celle du tonnerre-accord de l’orgue au maestoso de la 3e Symphonie, ce triple appel débouchant sur le grandiose fugato du finale ! Et quelle intéressante réflexion ne peut-on mener, même si on demeure rebelle à l’incantation de Camille en 1885 (l’année de la mort de Victor Hugo et de ses funérailles qui réunirent tout le peuple de Paris…), sur la distance parfois bien courte de solennité concertée à manifeste de pompiérisme ! Ce qu’il y a de bien avec Saint-Saëns (1835-1921) c’est que sa longue, si longue carrière (le petit pianiste prodige de dix ans qui jouait à la salle Pleyel un concerto de Mozart…) en fit un musicien d’abord néo-romantique, avant que de tourner à l’austère néo-classicisme, hyper-français de surcroît (Ars Gallica, fondé en 1871), selon une théorie musicale analogue au poétique Parnasse du XIXe (l’art pour l’art, une élégante frigidité esthétique ?), qui se prolongea en magistère de morale artistique du début de (XXe) siècle. Et qui, en 1919, permettait à Camille d’admonester un chef et compositeur ayant osé diriger Protée, un ballet de Darius Milhaud : « Je vois avec douleur que vous ouvrez la porte à des aberrations charentonesques ( un célèbre asile psychiatrique de la région parisienne, NDLR) et que vous les imposez au public qui se révolte. Plusieurs instruments jouant dans des tons différents n’ont jamais fait de la musique, mais du charivari. » On ne s’amusait pas tous les jours avec l’illustre vieillard pète-sec et français toujours !

Aimez-vous la musique française ?
En revanche, des interprètes comme l’organiste, le(s) pianiste(s) – il y en a aussi dans la 3e, où ce clavier-là, 2 ou 4 mains, colore la sonorité de l’ensemble -, le chef et tout l’orchestre doivent y trouver du plaisir-en-grand : orgie sonore (mais contrôlée par la célèbre cérébralité du compositeur), occupation de l’espace, réverbération de l’éloquence… On n’attendrait pas forcément ici Jun Märkl, encore que son sens de l’architecture et de la couleur spatiales convienne parfaitement. Thierry Escaich, lui, avec son goût du théâtre sonore et même de la pratique virtuose et sportive, son métier impeccable d’organiste – passer de Saint-Etienne-du-Mont (orgue dont il reste titulaire à Paris) à l’ex-Trocadéro-recyclé-Auditorium, c’est sûrement pleins et grands jeux délectables -, est là en résidence très active dans l’orchestre. On se rappelle moins que la 3e inclut le piano, en complément de timbres et un pupitre comme les autres dans l’orchestre…Mais si c’est Alexandre Tharaud qui joue, on se doute que ce spécialiste de la musique française ancienne et moderne y sera en grande complicité : pour lui un complément de programme, puisqu’il vient surtout en soliste-concertant dans la plus française des partitions de l’Espagnol Manuel de Falla. Les Nuits dans les jardins d’Espagne, composé juste avant la 1ère Guerre Mondiale, sonne de façon séductrice, chatoyante : « dans une ténébreuse et profonde unité, vaste comme la nuit et comme la clarté, les parfums, les couleurs et les sons se répondent »… Impressionnistement, si on cultive le néologisme. Débarquant à Paris, le tout neuf Falla va chez Debussy et lui annonce : « J’ai toujours aimé la musique française. » A quoi Claude-Achille répond du tac au tac : « Ah, oui ? Moi, jamais. » Science amusante du paradoxe et du va-et-vient des influences, à laquelle on peut songer en écoutant les Nuits – mais gardant en mémoire d’autres partitions de Falla, si austères et anti-hédonistes qu’on les croirait venues d’une autre planète -, précédées par un Printemps de 1887, Debussy-avant-Debussy.
Du côté de chez Escaich, on n’oubliera pas d’aller devant le très grand écran (TGE) de l’Auditorium, samedi 16, parce qu’il y a projection du chef d’œuvre absolu de Dreyer, La Passion de Jeanne, et que le Résident (qui est fervent artisan de cinéma-muet-musiqué) improvisera sur l’orgue pendant la totalité du film…Histoire aussi de rappeler que Saint-Saëns le conservateur écrivit aussi la 1ère musique de scène filmique, en 1908, pour l’Assassinat du Duc de Guise…

Lyon, Auditorium. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Symphonie n°3 avec orgue. Manuel de Falla (1876-1946) : Nuits dans les Jardins d’Espagne. Claude Debussy (1862-1918) : Printemps. Orchestre National de Lyon. Jun Märkl, direction. Thierry Escaich (orgue), Alexandre Tharaud (piano). Jeudi 7 février 2008 (20h30), samedi 9 (18h). Carl Theodor Dreyer, La Passion de Jeanne d’Arc (1928), improvisation d’orgue par Thierry Escaich. Samedi 16 février, 20h30. Information et réservation : Tél. : 04 78 95 95 95 ou www.auditorium-lyon.com

Illustration: Camille Saint-Saëns (DR)

Derniers articles

CRITIQUE événement. COFFRET : BRAHMS / GARDINER. Symphonies n°1 – 4. Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam (2021, 2022, 2023 – 3 cd DG Deutsche Grammophon)

18 ans après les avoir jouées et enregistrées avec l’Orchestre romantique et révolutionnaire (2007), John Eliot Gardiner reprend l’étude...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img