samedi 10 mai 2025

Saison Fortissimo. 4 concerts. Lyon, Salle Molière. 9 octobre 2010, 8 janvier, 22 mars, 15 avril 2011.

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Saison 2010-2011 à Lyon

« Fortissimo »

4 concerts piano et musique de chambre

Les 9 octobre 2010,

8 janvier,

22 mars

et 15 avril 2011.

Lyon, Salle Molière



Fortissimo, association de concerts en musique de chambre et tout particulièrement piano, propose sa 2nde saison lyonnaise. Laurent Korcia le violoniste est en duo avec la pianiste Dana Ciocarlie pour Ravel, Franck et le moins connu Enesco ; Abdel Rahman El Bacha met en Miroirs Ravel et Chopin. Zhu Xiao Mei médite en Mozart de l’improvisation solitaire et Schubert de l’ultime Sonate. Brigitte Engerer célèbre Schumann et l’anniversarié de 2011, Liszt.


Madame de Citri s’ennuie au concert

« Madame de Citri, après avoir quitté les soirées pour des séances de musique, se mit à dire : « Vous aimez entendre cela, de la musique ? Cela dépend des moments. Mais ce que cela peut être ennuyeux ! Ah ! Beethoven , la barbe ! » . Pour Franck, pour Debussy, elle ne se donnait même pas la peine de dire « la barbe », mais se contentait de faire passer sa main, comme un barbier, sur son visage. Bientôt ce qui fut ennuyeux, ce fut tout. Finalement ce fut la vie elle-même qu’elle vous déclara une chose rasante, sans qu’on sût bien où elle prenait son terme de comparaison. » Vous voyez, auditeurs blasés, où risque de vous mener la désertion des salles de concerts, tout spécialement en musique de chambre ? Et que ne feriez-vous pour ne pas figurer comme clone-de-Mme-de-Citri dans la galerie des portraits culturels signés par Proust en Recherche du Temps Perdu ! Nous avions souligné ici même, l’année dernière, l’intérêt d’une série lyonnaise sise en Salle Molière, Fortissimo : la voici à nouveau – viva voce, ma piano e a quattre volte -, un concert par mois sur octobre, janvier, mars et avril. « Pari tenu en 2009-2010 », commentent les initiateurs de Fortissimo qui avaient annoncé : « des musiciens exceptionnels que nous aimons depuis longtemps ou que nous avons découverts plus récemment, mais qui à chaque fois ont su nous séduire par leur technique, leur personnalité, leur virtuosité et leur engagement sans faille au service de la musique. » Même si la louable intention de proposer le plus souvent possible des « œuvres rarement jouées et des compositeurs moins connus, voire oubliés » ne semble pas…pleinement passée en acte, on comptera au nombre des auteurs finalement mal connus du public français Georges Enesco(1881-1955), à part les Rhapsodies qui en ont fait le symbole du Musicien de l’Ecole Roumaine, comme le fut Bartok pour la Hongrie, et pour les mélomanes plus « anciens », le souvenir d’un interprète exceptionnel qui lui-même forma un certain Yehudi Menuhin, et vécut en France la plus grande partie de sa vie. Mais l’opéra Œdipe, dont les historiens de la musique disent l’importance extrême ? Les 3 Symphonies ? Et même la musique de chambre…Il est vrai que le style d’Enesco est fort difficile à définir, très évolutif, et en tout cas souvent surprenant par sa modernité (son étonnant Octuor, composé à 19 ans), qui frappe aussi dans la 3e Sonate violon-piano de 1926. « Une œuvre charnière qui révolutionne la musique de chambre, écrit Harry Halbreich, et où apparaît un folklore imaginaire fondé sur la mémoire de l’enfant Enesco transposant les « lautari », ménestriers itinérants de sa Roumanie natale, en même temps que s’y inscrit un quart de ton très novateur ». H.Halbreich souligne aussi dans cette Sonate la conception d’un « temps statique et long, analogue à celui de Messiaen, et l’introduction des sons de la nature, spécialement des oiseaux… »


Tzigane et conception cyclique

Au fait, si la Tzigane pour violon seul de Ravel enchante depuis longtemps les spectateurs des salles de concert – vous avez dit Tzigane ? Rom?, « on ne sait jamais bien avec ces errants perpétuels qu’il faudrait bien ficher pour un définitif hors de nos frontières… » -, il faut aussi se rappeler avec cette pièce d’une diabolique virtuosité ce que dit Jankelevitch dans son indispensable petit-grand livre sur Ravel : « Les victoires techniques nous libèrent des tragédies de la vie intérieure ». Et quand le violon ravélien s’unit au piano pour la Sonate en sol, on est « dans le plus parfait dépouillement d’écriture », avec des frottements harmoniques, de la bitonalité, du Blues. Voilà l’horizon pas si immédiatement séducteur où nous entraîne le 1er concert « Fortissimo » : mais il y a aussi la Sonate de Franck, chef-d’œuvre post-romantique de la conception cyclique (un motif initial est en « éternel retour » dans tous les mouvements), très aimé de tous les publics, et de surcroît – pour la catégorie culturellement spécifique des « proustophiles » – modèle plausible pour la Sonate de Vinteuil, accompagnatrice d’Un Amour de Swann…Ce beau 1er programme est proposé par un duo de la jeune et brillantissime école française. Le violoniste Laurent Korcia – lui-même formé par une élève de Jacques Thibaud et Georges Enesco -, et récompensé par de nombreux Prix – justement, le prix Enesco de la SACEM, Académie Charles Cros…- est spécialiste des récitals en violon seul – donc Bach, bien sûr, et Ysaÿe, son premier cd-, des tentatives un rien hors-normes, comme Danses, Doubles Jeux avec Michel Portal, un album Cinema – , et s’intéresse à la création, ainsi un Stabat Mater de Bruno Coulais. La pianiste Dana Ciocarlie, qui a évidemment puisé aux sources de l’école roumaine (Lipatti, Haskil, Lupu), et a travaillé ensuite auprès de Dominique Mermet, Georges Pludermacher et Christian Zacharias, a été récompensée à Zwickau (« Schumann est mon projet de vie », a-t-elle déclaré), au Concours Geza Anda de Zurich et Busoni en Italie. Multi-festivalière( La Roque d’Anthéron, Folle Journée de Nantes, Fontevraud, Auvers-sur-Oise, Saou chante Mozart…), très largement chambriste, elle peut être – sa discographie en témoigne – fort romantique (Schubert, Schumann), moderne (Debussy, Magnard, Lekeu), hongroise (Bartok, Kürtag, Eötvös), naturellement roumaine (Enesco, Consatantinescu, Radulescu), et crée en dédicataire F.Verrières, K.Beffa,H.Winkelman, D.Dediu).


Belle Ondine et poésie aérienne

En janvier, jeu de Miroirs entre Chopin et Ravel, par la présence toujours hautement mais sans tapage inspirée de Abdel Rahman El Bacha. A ce jeune Libanais – né en 1958 dans une famille de musiciens et de peintres -, Claudio Arrau avait tôt prédit « une grande carrière », qui s’inscrit en formation à Paris (Pierre Sancan), et lui « donne » à 19 ans le concours Reine Elisabeth de Belgique. Sa culture du concerto – une cinquantaine d’œuvres du répertoire, de Bach à Prokofiev – va de pair avec l’approfondissement de réflexion sur les œuvres en intégrale (au disque : Sonates de Beethoven, Chopin, Ravel) et il s’impose par son intériorité, comme l’écrivait à La Roque d’Anthéron le critique Alain Lompech : « Proposant une épure chopinienne, il n’est pas sec, il est aérien, et son jeu témoigne d’une quête vers la sagesse. » Egalement et tout aussi discrètement compositeur, il « sera » à Lyon Chopin dans sa diversité (3 Mazurkas, 4e Scherzo, 2 Nocturnes, Polonaise op.44) puis Ravel : dans les Miroirs passent « les papillons du crépuscule en Noctuelles, le statisme des Oiseaux Tristes, la fluidité d’Une barque sur l’océan, et la sécheresse ironique de l’Alborada del gracioso. Quant au redoutable Gaspard de la Nuit, le pianiste saura comme nul autre saisir les visions du romantique maudit Aloysius Bertrand : « la cloche qui tinte aux murs d’une ville, sous l’horizon », pour le Gibet, « le fuseau tombé de la quenouille d’une sorcière » pour le gnome Scarbo, et la belle séductrice Ondine « qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de la fenêtre »…


Improvisation de Mozart dans la nuit

Au jour du printemps reviendra la très sage et noble Zhu Xiao Mei : ses Variations Goldberg de l’année dernière avaient si légitimement et profondément impressionné les auditeurs de la Salle Molière en 2010 par leur densité spirituelle ; en 2011, elle conduira vers plusieurs de ces partitions « testamentaires » qui sont sa rencontre même sur un chemin de vie. Chez Mozart, elle passera de l’encore-enfant déjà génial – Variations sur « Ah ! vous dirai-je, maman » à l’adulte en tragédie de l’improvisation solitaire et nocturne (la Fantaisie K.475 ; le rare et profond Adagio K.540, choisi par les plus grands du piano et naguère imposé en concert par Claudio Arrau ou Alfred Brendel. Et pour Schubert, ce sera le sommet de la quête musicale spirituelle, l’ultime Sonate (D.960) de 1828, « égale » des dernières beethovéniennes, – et pourtant autre -, dans l’ardeur novatrice et la « projection » du sentiment d’être un wanderer dans le Temps.
Enfin Brigitte Engerer sera en son domaine privilégié de romantisme et de voyage, elle qui partit de Tunisie à dix ans et « passant par Paris » – jusqu’à 18 ans, devint en 1970 Russe, à l’école du Maître si exigeant que fut Stanislas Neuhaus. Ensuite ce fut à nouveau la France, et en raison de ses triomphes (concours Tchaikovski et Reine Elisabeth ; concerts avec Rostropovitch, Karajan et Barenboïm) une itinérance internationale qui ne cessera plus. Sauf lorsqu’elle anime pour la 5e année en Beauvaisis « son » festival Pianoscope, beau rendez-vous de la musique de chambre, en exergue duquel elle cite Baudelaire, qui dit aussi : »La musique souvent me prend comme une mer. » : tiens, c’est entre 8 et 10 octobre ! A Lyon, sept mois plus tard, elle jouera le moins connu des Deux Carnavals schumanniens, celui de Vienne – où figure l’écho politiquement incorrect d’une Marseillaise en terre de monarchie autrichienne répressive -, et éclaire deux visages de l’innombrable Liszt. Le transcripteur nous permet de rejoindre les lieder de Schubert, avant que le créateur absolu ne soit dans des extraits d’Harmonies Poétiques et Religieuses : selon Lamartine inspirateur par l’un de ses recueils les plus célébrés (1821) : « Des retentissements poétiques, quelquefois pieux, des impressions que l’heure, le jour, le site, l’anniversaire, la mémoire me donnaient, et que le souffle perpétuel de mon âme renvoyait à Dieu, des annotations en vers de ma vie intérieure… » Nul doute que de fortissimo en moderato cantabile ou pianissimo, ce concert-là contribue aussi à ouvrir l’horizon du mélomane lyonnais.

Lyon. Saison de musique de chambre, Fortissimo. Laurent Korcia et Dana Ciocarlie, 9 octobre 2010 (Ravel, Franck Enesco, Franck). Abdel Rahman El Bacha, 8 janvier 2011 (Ravel, Chopin). Zhu Xiao Mei, 22 mars (Mozart, Schubert). Brigitte Engerer, 15 avril (Schumann, Liszt). Salle Molière, 20h30. Information et réservation : T.04 78 39 08 39 ; www.fortissimo-musiques.com
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